LA TRIBUNE - Pour les Français de l'étranger, le premier tour des législatives est marqué, d'une part par une forte abstention - 80,9 % - mais aussi par l'arrivée en tête de la majorité présidentielle dans presque toutes les circonscriptions de l'étranger. Une tendance déjà marquée lors de la présidentielle. Comment l'expliquez-vous ?
CATHERINE WIHTOL DE WENDEN - Ce qui est intéressant c'est qu'il s'agit d'une initiative assez récente. Les Français de l'étranger peuvent voter pour leurs représentants au Sénat depuis 1983 - 12 sénateurs - et depuis 2012 aux législatives - 11 députés. On a aujourd'hui, une implication qui n'a cessée de croître. J'ai été étonnée par les scores colossaux qu'a obtenus Macron lors de la présidentielle. Mais cela peut s'expliquer par le rejet du discours xénophobe du Front national. La dimension "sortir de l"Europe" en plus de la xénophobie du FN ont pesé en faveur du vote Macron. Surtout, le débat s'est concentré sur l'Europe. Cela a beaucoup accentué la tendance légitimisme à l'égard d'En marche. Le vote pro-Macron, si j'ose dire, correspond au profil des Français de l'étranger: grosso modo, classe moyenne-supérieure pas encore très riche, appartenant ni à l'extrême droite, ni à l'extrême gauche. La population française à l'étranger est relativement jeune. Beaucoup partent pour une période qui n'est pas forcément définitive: de jeune diplômés qui cherchent à s'insérer dans le marché du travail, qui tentent leur chance à l'étranger.
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Les électeurs s'identifient-ils nécessairement à leurs représentants ?
Le fait que les candidats aux législatives soient jeunes compte. Mais aussi, il y a l'image. J'ai enseigné pendant un mois à l'étranger. Emmanuel Macron y a une très belle image. Peut-être même plus qu'en France. Tous les conflits qu'on a en Métropole, sur la loi travail par exemple, ne concernent pas les Français de l'étranger. Le côté militant, d'extrême gauche, et de gauche qui a un peu poussé sur la sellette Macron ne transparaît à l'étranger. Ni dans la presse à l'étranger.
Vous parlez beaucoup de l'image renvoyée par Emmanuel Macron. Pour autant, son programme a-t-il séduit les Français de l'étranger ?
Je pense qu'ils sont attachés aux deux. Le débat portait beaucoup sur l'Europe. Et les Français de l'étranger sont très attachés à l'Europe puisque, pour beaucoup, il s'agit de leur cadre de travail, de leur lieu de vie. Le fait que ce soit un sujet si important pour Macron a joué. C'était le cas pour la présidentielle, ce sera le cas pour les législatives. Il y a aussi les jeunes issus de l'immigration: au Canada, aux Etats-Unis, dans d'autres pays européens qui cherchent à fuir les discriminations à l'emploi, qui sont "anti-Le Pen" par définition qui se tournent plus facilement vers Macron.
La France insoumise (FI) de Jean-Luc Mélenchon arrive en deuxième position derrière LREM dans deux circonscriptions des Français de l'étranger (4e et 5e circonscriptions des Français de l'étranger). Comment l'expliquez-vous ?
Il y a une prolétarisation des Français de l'étranger, par l'activité notamment: la restauration, l'hôtellerie, les petits jobs d'été, la multiplication des postes très précaires en termes de durée, des contrats locaux par exemple. Je crois qu'il faut insister sur cette précarisation des Français de l'étranger. Il n'y a pas que des gens très confortablement installés dans leur entreprise. Loin de là.
Et le PS ?
Il n'a pas la cote! Il a une image tellement fragile. Les Français de l'étranger sont d'autant plus sensibles à la mise en scène. Ce qui les flatte c'est quelqu'un qui représente bien la France aux yeux du monde. Macron est pro-européen, l'image est positive pour eux.
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N'y-a-t-il pas également un sentiment de "ras-le-bol" général ? Un procès des candidats aux législatives sortants ?
Sans doute. On a voulu sortir de la politique des tas de gens qui y étaient depuis 30 ans. La politique, ce n'est pas nécessairement un métier à vie. Beaucoup de candidats LREM sortent de la société civile. Comme ce ne sont pas nécessairement des habitués de la politique, ils ont pu faire quelques bourdes mais je ne pense pas que cela aura un effet sur les votes. Cela marque un renouvellement de la politique. De ce fait, ce n'est pas étonnant que les Français de l'étranger aient rejeté des gens comme Thierry Mariani (ancien ministre et député Les Républicains, sortant de la 11e circonscription des Français de l'étranger, Ndlr), qui est issu de la droite très classique et dure de Sarkozy. Ou encore qu'il y ait quelques émergences d'électeurs de Mélenchon par exemple.
En quoi le choix des électeurs de l'étranger et des votants en métropole diffère-t-il le plus ?
Il y a des similitudes mais en métropole, il y a tout le travail de sape des partis politiques, des syndicats, qui veulent continuer à avoir une sorte de plaidoyer critique et militant. Cela va être gommé pour l'électorat des Français de l'étranger. Dans la presse étrangère, ils ne reprennent pas le discours de la CGT ou de tel groupe militant... Ces foyers de contestations n'ont pas de répercussions internationales. Et puis, la participation reste faible du côté des Français de l'étranger. Ils possèdent 11 députés. Ce ne sont pas eux qui vont changer la majorité à l'Assemblée nationale.
Propos recueillis par Audrey Fisné