Bras de fer juridique et budgétaire entre la Catalogne et l'Espagne

La majorité indépendantiste catalane a voté une nouvelle motion pour confirmer sa volonté de "déconnecter" la Catalogne de l'Espagne. Mais la rupture pourrait venir du débat budgétaire.
La tension reste forte entre Barcelone et Madrid

La majorité parlementaire indépendantiste catalane ne baisse pas la garde. Jeudi 7 avril, le parlement de Barcelone a approuvé une nouvelle motion rédigée le 5 avril confirmant sa volonté de poursuivre le processus de déconnexion avec l'Espagne. Le texte (traduit ici en français) voté par 71 voix contre 52 confirme une précédente motion, votée le 9 novembre 2015 et qui engageait les autorités catalanes à ne pas reconnaître l'autorité constitutionnelle espagnole dans le cadre du processus d'indépendance de la Catalogne. Or, ce texte a été invalidé par le Tribunal Constitutionnel (TC) espagnol.

Un nouveau défi à Madrid ?

En « réitérant les objectifs » de la motion du 9 novembre dans son article 1, la nouvelle motion confirme donc la volonté des Indépendantistes de ne pas reconnaître l'autorité du TC. D'autant que, dans l'article 2 de la motion, les députés assurent de leur « soutien » les municipalités catalanes poursuivies pour avoir affiché leur approbation à la précédente motion. De plus, la motion appelle le gouvernement catalan à accélérer le processus constituant du nouvel Etat catalan, notamment en donnant à ce processus un financement (articles 5 à 8).

Ce vote est un défi de plus envoyé à Madrid, qui confirme que le parlement de la Communauté autonome (région) de Catalogne ne reconnaît pas la légitimité de la décision du TC. En confirmant la motion invalidée, le parlement place la légitimité du programme indépendantiste issu de l'élection du 27 septembre au-dessus de la légalité constitutionnelle espagnole. C'est donc un pas de plus - au moins symbolique - vers la sécession.

Le refus de la désobéissance par Junts Pel Sí

Mais ce vote n'est pas encore réellement un vote de rupture. La majorité indépendantiste catalane est constituée de deux groupes. Le principal, Junts Pel Sí (« ensemble pour le oui ») qui regroupe les forces de centre-droite et de centre-gauche, dispose de 62 sièges. Quant à la gauche radicale indépendantiste de la CUP, elle dispose de 10 sièges. Or, sur deux articles de la motion, Junts Pel Sí s'est désolidarisée de la CUP. Le premier groupe du parlement s'est abstenu sur l'article 3 qui invitait les autorités municipales  à « ignorer les demandes des institutions non-démocratiques » de l'Etat espagnol. Et elle a voté contre l'article 4 qui demandait aux Mossos D'Esquadra, la police catalane, de ne pas exécuter les ordres de la justice espagnole dans le domaine du processus d'indépendance.

Cette divergence est essentielle : elle montre que Junts Pel Sí, principal groupe indépendantiste dont est issu le président catalan Carles Puigdemont, n'est pas disposé à engager véritablement la rupture avec l'Espagne. Malgré ce renversement de la hiérarchie des normes contenu dans la motion du 9 novembre, les Indépendantistes refusent d'en tirer les conséquences concrètes en appelant à la désobéissance à l'Etat espagnol. Le refus d'engager les Mossos d'Esquadra à ne plus obéir à la justice espagnole confirme que le gouvernement catalan entend demeurer dans le cadre de la légalité. Son objectif réel demeure donc d'engager des négociations de séparation avec Madrid.

Construire une majorité

Cette attitude s'explique par au moins deux éléments. Comme Carles Puigdemont l'a précisé dans une récente interview au quotidien économique espagnol Expansión, la proclamation de l'indépendance n'interviendra pas durant son mandat, dont la fin est théoriquement fixée à juillet 2017. Le gouvernement veut certes bien préparer les structures du nouvel Etat, mais il ne souhaite pas couper unilatéralement les ponts avec l'Espagne. Il est vrai que si les Indépendantistes ont obtenu la majorité des sièges et une majorité relative des voix (47,8 %) le 27 septembre, leurs forces dans la société catalane semblent encore insuffisantes pour engager la rupture. Il faut donc encore convaincre une majorité de Catalans et c'est le rôle du processus.

Ne pas gâcher les négociations espagnoles

Deuxième raison à la prudence de Junts Pel Sí est la situation en Espagne. Carles Puigdemont n'a pas de raison, pour le moment, d'effrayer les forces politiques espagnoles par un geste de rupture. Entamer une épreuve de force maintenant pourrait conduire à une unité des forces unionistes (Ciudadanos, Parti populaire, socialistes du PSOE) alors que des discussions sont en cours entre Ciudadanos, le PSOE et Podemos. Une option incluant Podemos pourrait ouvrir la voie à des négociations avec la Catalogne. Ce jeudi, le groupe proche de Podemos au parlement catalan s'est abstenu lors du vote de la motion. Dans ce contexte, il importait à Junts Pel Sí de ne pas rompre les ponts. La motion de ce 7 avril est donc relativement inoffensive. Elle constitue surtout une consolation donnée à la CUP. Mais dans l'accord passé le 10 janvier, la CUP avait « donné » deux de ses sièges à Junts Pel Sí pour garantir à ce dernier la majorité relative au parlement. Elle est donc pour le moment « neutralisée. »

L'Espagne demande à la Catalogne de réduire son déficit

Pour autant, la tension reste vive entre Madrid et Barcelone. Elle a même encore monté d'un cran cette semaine sur la question budgétaire, une question très sensible. Lundi, on a appris que le déficit public espagnol en 2015 a dépassé les prévisions du gouvernement de Mariano Rajoy à 5,4 % du PIB. La Commission européenne exige que ce déficit soit ramené à 2,8 % du PIB en 2016. Le ministre du budget espagnol « en fonction » (issu du précédent gouvernement), Cristóbal Montoro a donc demandé une contribution des Communautés autonomes. La Catalogne est particulièrement mise à contribution puisque son déficit a terminé en 2015 à 2,7 % du PIB contre 0,7 % prévu.

Dans une lettre envoyée mercredi, Cristóbal Montoro a donné 15 jours à la Generalitat, le gouvernement catalan, pour transmettre à Madrid les mesures qu'elle comptait prendre pour réduire de 1 à 1,2 milliard d'euros ses dépenses. Cette demande a provoqué la fureur du vice-président de la Generalitat, Oriol Junqueras, par ailleurs président de la Gauche Républicaine ERC. Il a considéré que la demande de Cristóbal Montoro  était « arbitraire » et « gravement préjudiciable » aux intérêts des Catalans. Il a assuré qu'il n'y aura pas de nouvelles coupes budgétaires, quitte à entrer en conflit avec Madrid.

Le rejet de l'austérité par Barcelone

Pour la majorité indépendantiste, cette question budgétaire est en effet très sensible. ERC a toujours fait campagne sur l'idée que la sécession avec l'Espagne était un moyen d'assurer la survie de l'Etat-providence en Catalogne. Le programme du gouvernement convenu avec la CUP comprenait, du reste, un « plan de choc » prévoyant des dépenses publiques supplémentaires. En se soumettant aux demandes de Cristóbal Montoro, Carles Puigdemont risque de connaître le même sort que son prédécesseur Artur Mas que la CUP n'a pas voulu investir en raison de sa politique d'austérité menée en 2012. La majorité indépendantiste ne survivrait pas à un nouveau plan d'austérité.

Une rupture d'abord budgétaire ?

Finalement, la rupture pourrait donc venir de ce point en réalité plus sensible que le problème juridique de la motion. La Generalitat ne peut se permettre politiquement de se soumettre à une diète budgétaire, mais elle s'expose à des représailles financières de la part de Madrid. C'est ici que la tension peut devenir la plus forte. D'autant qu'un gouvernement espagnol incluant le PSOE ou Ciudadanos n'est pas susceptible de revenir sur l'engagement de baisse du déficit. Dans ce cas, la seule solution que le gouvernement catalan pourrait proposer serait la rupture avec le maintien en Catalogne des « impôts catalans ». Selon les indépendantistes, en effet, c'est le « déficit fiscal », l'ampleur des transferts de la Catalogne vers le reste de l'Espagne qui explique le déficit public catalan. Une telle rupture du pacte fiscal espagnol induirait cependant l'indépendance.

Le vendredi 8 avril, le Tribunal Constitutionnel a lancé un nouveau défi à la Catalogne en annulant une loi qui faisait partie du "plan de choc" catalan : la loi sur la pauvreté énergétique qui permettait de donner l'accès à l'électricité aux familles les plus fragiles. Le bras de fer s'annonce donc musclé.

Commentaires 6
à écrit le 20/04/2016 à 19:00
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De la façon dont est tourné cet article, comme tous les articles de R Godin sur ce sujet, on a le sentiment que la Catalogne, serait une colonie spoliée, n'ayant pas droit au chapitre. En fait à "madrid" siége un gouvernement élu par la majorité de...

le 11/05/2016 à 8:21
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bien d'accord avec vous; la " polemique " Catalane a été relancée par A. Mas ; il a échoué et a été proprement mais fermement ...remercié ; clap de fin . de ttes manières : la Catalogne ( comme les autres régions d'ailleurs ) ne lève pas ses impo...

à écrit le 10/04/2016 à 11:59
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L'UE de Bruxelles, est elle pour ou contre? Hypocrite, elle ne fait d'ingérence officielle que si cela arrange son dogme de construction!

à écrit le 08/04/2016 à 16:00
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Catalans, basques,on peut comprendre qu'ils n'aient pas envie de rester dans une Espagne qui fût franquiste, anti-démocratique, atlantiste et désormais soumise à Bruxelles. La droite espagnole alliée objectivement à l'Eglise catholique reste dangereu...

à écrit le 08/04/2016 à 13:46
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Ce n'est pas l'objet principal de l'article, mais je voulais quand même revenir dessus: l'Espagne, ce pays qu'on nous vend comme le "bon élève ayant fait les réformes", a donc un déficit public de 5,4%, abyssal et surtout moins bon que prévu. Et ce m...

le 11/05/2016 à 8:27
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vous devriez vous interesser un peu plus aux ...tendances ; oui , le deficit reste elevé ( trop ) , mais les reformes ont payées , le chomage baisse ( fortement ) et la croissance est revenue .

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