En Espagne, cette lettre à Bruxelles qui dérange Mariano Rajoy

En pleine campagne électorale, la presse espagnole publie une lettre du chef de gouvernement à Jean-Claude Juncker qui promet de nouvelles coupes budgétaires. Des révélations gênantes.
Mariano Rajoy embarassé par une lettre envoyé à Bruxelles.

C'est un coup de tonnerre dans la nouvelle campagne électorale espagnole. Ce mardi 24 mai,  le quotidien madrilène El País a rendu public une lettre de l'actuel président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, au président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Dans cette lettre, datée du 5 mai dernier, le locataire de la Moncloa se dit « disposé, une fois qu'il y aura un nouveau gouvernement, à prendre de nouvelles mesures budgétaires dans la seconde moitié de l'année. »

Levée de bouclier

Cette lettre a déclenché une levée de bouclier de la plupart des partis qui s'opposent dans la campagne au Parti populaire (PP), du chef du gouvernement sortant. Le secrétaire général du parti socialiste (PSOE), Pedro Sánchez, a accusé Mariano Rajoy de « mentir sans pudeur ». A Ciudadanos, parti de centre-droit, on lui reproche de « s'engager vis-à-vis de Bruxelles sans savoir s'il gouvernera ». Enfin, Unidos Podemos, l'alliance de la gauche radicale regroupant Podemos, ses alliés régionaux, les Communistes et les Verts, évoque, par la voix de la députée européenne Marina Albiol un « programme occulte du PP ».

Mise en danger du programme du PP

Il est vrai que la publication de cette lettre met en danger l'essentiel du programme économique du PP et de Mariano Rajoy. Ce dernier promet en effet certes de respecter la trajectoire fixée par la Commission, mais il promet de se limiter aux 4 milliards d'euros d'économies prévues cette année et de baisser les impôts ensuite pour dynamiser la croissance. Compte tenu du niveau du déficit public en Espagne, 5,1 % du PIB à la fin de l'année 2015, beaucoup d'observateurs se sont inquiétés des incohérences de ce programme, mais le PP a toujours rétorqué que ce programme était réaliste. Avec cette carte, il semble que Mariano Rajoy soit d'ores et déjà prêts à écorner ces promesses au nom de la trajectoire budgétaire et du respect des engagements européens.

Bienveillance ciblée ?

Faut-il voir un lien entre cette missive et la décision de la Commission européenne, mercredi 18 mai, de ne pas engager de procédure de sanctions à l'égard de Madrid et de Lisbonne ?  Selon le quotidien El Mundo du 20 mai, citant des sources gouvernementales espagnoles, l'Allemagne, Jean-Claude Juncker et les Conservateurs européens auraient été des partisans déterminants de la mansuétude de Bruxelles. Ce n'est pas le moindre des paradoxes de la part d'un camp souvent très sévère en matière d'orthodoxie budgétaire. Mais il semble qu'ayant eu les garanties de la lettre du 5 mai, Berlin et le PPE aient pu juger qu'il n'était pas temps de lancer une procédure qui aurait été préjudiciable à la campagne du PP. Mariano Rajoy tente, en effet, d'apparaître comme le candidat du respect des engagements européens et du « sérieux ». Une procédure de sanction contre sa gestion aurait sans doute été pénalisé cette campagne.

Un problème de méthode

Reste que la publication de la lettre pose un problème également. Sur la méthode, d'abord. Cette « lettre secrète » sur des mesures supplémentaires qui pourraient s'élever à 12 milliards d'euros n'est pas un détail. Tout se passe comme si, avec la bénédiction de la Commission - habituellement si prompte à dénoncer le procédé - le chef du gouvernement voulait se dissimuler derrière le prétexte d'une décision « d'en haut », autrement dit de Bruxelles, s'imposant à l'Espagne et le forçant à imposer une nouvelle cure d'austérité, une fois le scrutin passé.

Pourquoi Mariano Rajoy est-il si sûr de lui ?

Cette lettre pose un autre problème : celui d'un Mariano Rajoy sûr de rester au pouvoir, lui ou un membre du PP pour lequel il peut s'engager, après les élections du 26 juin. L'explication en est simple : comme Pedro Sánchez a échoué à allier autour du PSOE Ciudadanos et Podemos, le PP se considère, dans le cas d'une stabilisation des forces politiques, incontournable pour constituer un futur gouvernement. Dans le cadre des négociations, il suffira de faire du respect de la trajectoire dressée par Bruxelles une condition de l'alliance pour, in fine, après la revue de la Commission en juillet, imposer aux alliés, sans doute Ciudadanos, voire le PSOE, les « nouvelles mesures ». Dans ce cas, Mariano Rajoy ne s'est pas engagé que pour le PP mais pour ses futurs alliés...

Blocage politique

Cette publication peut profiter in fine à Unidos Podemos qui, précisément, après des débuts délicats, commence à progresser dans les sondages. Le 20 décembre, Podemos et ses alliés et Izquierda Unida avaient, ensemble, obtenu 24,4 %. Le dernier sondage réalisé par NC Report lui attribue 24,9 % des intentions de vote, ce qui le place en deuxième position derrière le PP (30,4 %, +1,7 point), mais devant le PSOE (21,1 %, -0,9 point) et Ciudadanos (14,5 %, +0,6 point). Dans ce contexte de grande stabilité des positions et compte tenu de la loi électorale espagnole qui favorise les grands partis, Unidos Podemos peut espérer progresser en sièges et peser davantage dans les négociations gouvernementales. Dans ce cadre, la question budgétaire sera centrale. Unidos Podemos réclame une renégociation des engagements avec Bruxelles. Une promesse qui sera aussi difficile à tenir que celles du PP.

Commentaires 12
à écrit le 29/05/2016 à 7:43
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L'héritage d'Ignace de Loyola semble bien vivant au PPE comme au PP Espagnol ...

à écrit le 27/05/2016 à 8:47
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curieux ? non ? celà ne fait pas une polemique aussi importante en Espagne que dans l'esprit de mr Godin ...toujours aussi prompte à intervenir pour critiquer toutes politiques " d'austerité " .

à écrit le 25/05/2016 à 9:54
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Scandaleux. Plus que n'importe quel pays, l'Espagne a fait de très lourds sacrifices et commence à peine à sortir la tête de l'eau. Et Bruxelles essaie de la couler une nouvelle fois. Pendant ce temps, des pays comme la France qui ne font aucunes réf...

à écrit le 25/05/2016 à 9:20
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La promesse de baisse d'impôts, c'est au final des profits supplémentaires pour les entreprises, donc des dividendes pour les actionnaires, direction les Paradis fiscaux. Pour les conservateurs, l'économie, c'est ne pas payer d'impôts et encaisser t...

à écrit le 24/05/2016 à 18:47
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Rajoy utilise comme il convient la démocratie : il s'engage et, s'il est élu, cet engagement devient de facto la feuille de route qui s'impose à tous. La démocratie molle basée sur la nécessité qui impose le statu quo au gouvernement est d'autant plu...

le 24/05/2016 à 19:24
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Relisez l'article avec le doigt : Rajoy fait campagne sur des économies de 4 milliards mais ne dit pas qu'ils s’engagent envers Bruxelles sur des économies de 12. Il y a donc un léger gap entre ses engagements de campagne et ses engagements envers B...

à écrit le 24/05/2016 à 18:43
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Ce Junker (ex banquier) ne vaut pas la corde pour le pendre, voila ce qui arrive et arrivera a tout les pays de la zone Euro qu'il faut quitter au plus tot. Et après vous direz que les gens sont des Euroseptiques, l'europe et l'euro sont une arnaque....

le 24/05/2016 à 21:49
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Je suis de droite et pourtant pour moi Juncker représente ce qu'il y a de plus détestable, notamment en nous imposant des quotas de migrants sans notre consentement. C'est le type qui dit aux autrichiens, anglais ou néerlandais voire français comment...

le 25/05/2016 à 8:03
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A la tête de l'Europe un mec qui dirigeait un paradis fiscal ! Lamentable

le 25/05/2016 à 9:40
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@chris: Juncker ou la Commission ne vous impose rien du tout, puisque ce sont les GOUVERNEMENTS qui décide s'ils acceptent ou pas les propositions de la Commission. Ils ont d'ailleurs toute liberté pour modifier les dites propositions.

à écrit le 24/05/2016 à 18:13
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Pour torpiller le référendum de Tsipras, on se souvient que la Commission et la BCE avaient organisé une panique bancaire en Grèce. Comme Rajoy est de leur bord, ils se font complices de ses escroqueries électorales et sortent le gant de velours...

le 25/05/2016 à 9:42
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Mais bien sur. La panique bancaire grecque a été creée d'elle m-eme par les grecs et le gouvernement tsipras...sous l'impulsion de Varfoufakis qui pensait que ca ferait cèder les gouvernements européens sous la panique. La BCE n'a fait que proteger l...

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