Islande : pourquoi la droite reste au pouvoir

Malgré les "Panama Papers" et la crise de 2008, la droite islandaise est parvenue à former une coalition, malgré la poussée de la gauche aux élections d'octobre.
Le nouveau premier ministre islandais, Bjarni Beneiktsson, était cité dans les "Panama Papers" comme son prédécesseur.

L'Islande restera donc à droite. Mardi 10 janvier, une coalition regroupant les conservateurs du Parti de l'Indépendance et deux partis centristes, Avenir Radieux et le parti du Renouveau. Ensemble, les trois partis disposeront à l'Althing, le parlement islandais de 32 des 63 sièges, soit une majorité absolue d'un siège. C'est le chef de file du parti de l'Indépendance, Bjarni Benediktsson, qui deviendra premier ministre, rendant à ce parti la direction du gouvernement pour la première fois depuis 2009.

Longues discussions de coalition après le « match nul » des élections

Cette coalition marque la fin de discussions entamées avec les élections du 29 octobre 2016 qui avaient débouché sur un « match nul ». A gauche, la poussée du Parti pirate, qui avait obtenu 14,5% des voix et 10 sièges, soit trois fois plus qu'en 2013, et la progression de l'alliance gauche-verte (15,9% et 10 sièges) n'avait pas suffi compte tenu de l'effondrement des sociaux-démocrates (5,74% et 3 sièges, soit 6 de moins). En face, l'écroulement du Parti progressiste (8 sièges contre 19 en 2013) de l'ancien premier ministre Sigmundur Davíð Gunnlaugsson qui avait dû démissionner après le scandale des « Panama Papers » impliquant une société de son épouse avait été en partie compensée par la bonne tenue du Parti de l'Indépendance (21 sièges contre 19). Au final, gauche et droite semblait faire jeu égal et, depuis octobre, les tentatives de formation d'un gouvernement, notamment celle des Pirates, avaient toutes échouées.

Un parti de référence, ancré au pouvoir

Finalement, ce sont donc deux partis centristes qui ont rejoint le vieux Parti de l'Indépendance pour le maintenir au pouvoir. Ce parti reste donc le parti dominant de la politique islandaise. Premier parti du pays depuis l'indépendance en 1944, sauf en 2009, il a gouverné le pays pendant 70 ans, à quelques rares exceptions près. Chassé du pouvoir en 2009 au moment de la grave crise financière au profit d'une coalition de centre-gauche, il avait réintégré en 2013 la coalition gouvernementale avec le Parti progressiste. Comme l'explique Mikaa Mered, enseignant en économie de l'Arctique à l'Université des Sciences Appliquées de Laponie, « le Parti de l'Indépendance, qui est celui qui a assuré l'indépendance islandaise sur le long terme, reste le parti de référence dans le pays. Sa base sociologique, formée de seniors, d'entrepreneurs, de classes moyennes et de travailleurs du secteur de la pêche, reste solide : près de 20% de l'électorat islandais a sa carte au parti ! »

Ce parti, qui mêle libéralisme économique et nationalisme islandais, n'est certes plus le même qu'avant la crise où il obtenait des scores compris entre 35% et 40% des voix. Mais en revenant à 29% des voix en octobre, il a montré sa solidité et la capacité qu'il conserve de capter une grande partie de l'électorat rural et âgé. La solidité de ce parti peut d'autant plus surprendre qu'il est celui des « années folles » de 1990-2009 qui ont conduit à l'explosion violente de la bulle bancaire. Mais, comme le souligne Mikaa Mered, c'est aussi «  le parti qui apparaît toujours comme le plus pragmatique économiquement après l'échec de la politique d'austérité menée par la coalition de Gauche après la crise de 2008 ».

La morale joue moins que la politique

Le nouveau premier ministre, Bjarni Benediktsson sait parfaitement, selon l'analyste, « jouer parfaitement de cet héritage ». En tout cas, le nouveau chef du gouvernement a parfaitement réussi à passer l'épreuve des Panama Papers où son nom, comme celui d'autres ministres de l'ancien gouvernement, était cité. « Bjarni Benediktsson a parfaitement su jouer le coup en réussissant à faire endosser le prix politique de cette affaire au seul Sigmundur Davíð Gunnlaugsson », explique Mikaa Mered.

Mais il souligne un autre phénomène intéressant : « tous les politiques cités dans les Panama Papers ont été réélus lors des élections d'octobre, y compris l'ancien premier ministre ». Pour l'analyste, ceci traduit le fait que les électeurs islandais n'ont pas voté en fonction de critères moraux, mais bien de critères politiques. Et que, dans ce cadre, les attaques des Pirates contre les politiciens de droite, à commencer par Bjarni Benediktsson, sont devenues inaudibles à mesure que le débat s'est orienté vers l'économie, le point faible du Parti pirate, divisé sur le sujet. L'image de l'Islande comme un pays « punissant ses banquiers » et « prenant une autre voie » pour régler la crise bancaire a sans doute conduit à une vision déformée à l'étranger d'un peuple s'inscrivant dans une démarche strictement morale. Ce n'est pas le cas.

Un accord sur un référendum sur les négociations d'adhésion à l'UE...

Quels sont les engagements de ce nouveau gouvernement ? Le grand sujet du moment, celui sur lequel la coalition a pu se former, c'est l'Europe. Le gouvernement de centre-gauche de 2009-2013 avait ouvert des négociations d'adhésion à l'UE qui s'étaient enlisées dans les problèmes liés à la pêche. La droite avait ensuite décidé, sans consultation des Islandais, d'en finir avec ces discussions et de retirer la candidature islandaise. Pour trouver un accord avec les deux partis centristes pro-européens, le Parti de l'Indépendance a convenu finalement de redonner la parole aux Islandais sur le sujet. Le nouveau gouvernement devra donc organiser un vote au parlement sur l'opportunité d'un référendum portant sur la réouverture des négociations.

Encore loin de l'adhésion

A priori, ce vote devrait autoriser la tenue du référendum car, signale Mikaa Mered, « la gauche a retenu la leçon de 2010 et 2011 et milite à présent pour que la population soit consultée, entre autres sur la reprise des négociations d'adhésion à l'UE ». Mais, une fois ce vote effectué, le référendum se tiendra et la campagne risque de déchirer la coalition, le Parti de l'Indépendance défendant le « non » et ses alliés le « oui ». Si, néanmoins, la reprise des négociations l'emporte, ces dernières seront délicates. Avant 2013, la bonne volonté du gouvernement social-démocrate n'a pas suffi et la question de la pèche, notamment, a conduit à un blocage de fait. Avec un chef de gouvernement eurosceptique, les discussions n'ont pas de raison de mieux se tenir. On se demande, du reste, comment Bjarni Benediktsson pourrait mener des négociations d'adhésion alors qu'il fera campagne contre cette adhésion... Le mouvement pourrait donc être symbolique et garder la porte ouverte sur l'UE plus que mener à une adhésion réelle. Rappelons que l'Islande est membre de l'Accord européen de Libre échange et a, de ce fait, accès au marché unique européen, sauf sur quelques produits, dont ceux de la pèche. Comme selon les sondages, les Islandais semblent encore majoritairement pencher pour un rejet de l'adhésion, cette dernière semble une perspective assez éloignée.

Divergences économiques

Sur le plan économique, les deux alliés du parti de l'Indépendance sont assez modérés, mais la coalition n'est pas entièrement cohérente. Le Parti du renouveau est une scission pro-européenne du Parti de l'Indépendance et, sur les sujets économiques, les deux formations sont assez proches. Elles s'accordent sur une volonté d'attirer les investisseurs étrangers par un cadre fiscal attractif, sur une plus forte utilisation des ressources naturelles (notamment l'exploitation pétrolière dans la zone maritime exclusive) et sur la privatisation de l'exploitation touristique. Le parti Avenir Radieux est nettement différent sur ce point. Plus proche de « l'écolo-centrisme », c'est une formation qui, un temps, a été proche des Pirates et qui réclame notamment une réglementation des logements touristiques à Reykjavik, la capitale, où les prix grimpent, et une gestion plus raisonnée des ressources.

Coalition fragile

Selon Mikaa Mered, l'influence d'Avenir Radieux sera concentrée « sur la réforme très attendue de la sécurité sociale et les arbitrages environnement contre industries, des dossiers épineux susceptibles de conduire les 4 députés Avenir Radieux à voter avec la Gauche, mais aussi de conduire des députés de l'opposition à voter avec la majorité ». Comme dans d'autres pays nordiques, affirme l'analyste, « chaque texte de loi peut se négocier » et un vote négatif au parlement ne conduit pas forcément à la rupture d'une coalition, même si « un changement de partenaires en cours de mandature, sous le leadership de Bjarni Benediktsson » est possible. Il semble en tous cas que la droite soit capable de rester au pouvoir jusqu'en 2020.

Politique de diversification

Le nouveau gouvernement islandais devrait donc confirmer la politique du précédent, avec peut-être même une inflexion fiscale. Car la droite islandaise, quoique très libérale, a retenu quelques leçons de la crise de 2009. « Le nouveau gouvernement va chercher à éviter que le tourisme, en croissance exponentielle, ne génère un nouveau phénomène de "maladie hollandaise" », explique Mikaa Mered. Ce phénomène décrit une trop forte dépendance à un seul secteur. Pour cela, le gouvernement entend jouer sur le levier fiscal pour attirer des investisseurs dans les infrastructures et dans des grands projets énergétiques. Mais dans l'immédiat, il n'est pas question de relancer un mouvement de dérégulation financière de grande ampleur. « Il est encore trop tôt, la crise impacte encore notamment les retraités, le ressentiment à l'égard des anciens « Golden Boys » reste fort, et cela ferait fuir les partis centristes », pour Mikaa Mered. L'Islande demeure traumatisée par la violence du choc de 2008-2009 qui a été suivi, malgré les choix faits en matière de sauvetages bancaires, d'une austérité sévère et d'une crise existentielle. L'effondrement des Sociaux-démocrates, qui ont réalisé ces politiques, le prouve. La droite islandaise assume son libéralisme, mais tente d'éviter de reformer une bulle dans l'île nordique...

Commentaires 3
à écrit le 13/01/2017 à 12:08
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Contrairement a ce que l'on croit, en ce qui concerne l'UE de Bruxelles, l'union ne fait pas la force car elle ne fait qu'affaiblir ses composantes!

le 14/01/2017 à 9:27
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Ah bon ? A part peut-être l'Allemagne, que pèserait chaque pays européen face à des Etats Unis dont on peut maintenant redouter le pire y compris les coups les plus bas (et sans doute illégaux au regard même des règles de l'OMC) ? Avec des Etats Uni...

à écrit le 13/01/2017 à 11:13
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Peut-être également que droite et gauche ne veulent plus dire grand chose d'un point de vue électoral non ? Prenez du recul sur trump, le brexit, le parti socialiste français, les partis sociaux démocrates européens, les verts qui nous montrent un vi...

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