Pourquoi la nouvelle coalition au Portugal est une chance pour l'Europe

Le gouvernement portugais de droite devrait chuter mardi 10 novembre, renversé par une alliance de gauche. Ce nouveau gouvernement représente une nouvelle chance pour la zone euro. Saura-t-elle la saisir ?
Le Portugal va connaitre l'alternance à gauche.

L'annonce de la probable constitution d'une majorité de gauche au Portugal aura surpris plus d'un observateur qui, au lendemain du 4 octobre, avait annoncé la « victoire » de la droite comme celle de la politique d'austérité et qui avait présenté ce vote comme un « modèle. » En réalité, le Portugal est bel et bien en passe de proposer un modèle, mais certainement pas celui que les partisans des dévaluations internes et des « réformes structurelles » s'imaginaient alors.

Cette alliance portugaise modifie en effet le paradigme dominant au sein de la politique européenne. Au parlement européen comme dans la plupart des pays de la zone euro, les politiques de dévaluation interne bénéficient de l'appui des conservateurs et des sociaux-démocrates (qui, au Portugal sont représentés par le PS, le parti social-démocrate (PSD) étant un parti de centre-droit). Le Portugal ne faisait nullement exception à la règle jusqu'ici. En 2010, c'est le gouvernement PS de José Sócrates qui avait demandé un programme à la zone euro. Le PS avait accepté, avant les élections de 2011 qui l'ont chassé du pouvoir, de respecter les demandes de la troïka.

En finir avec le « chantage »

La décision de son leader d'aujourd'hui, Antonio Costa, de chercher une alliance avec la gauche radicale pour imposer un véritable tournant dans la politique économique du pays, est donc lourde de sens. Elle signifie que cette division construite depuis 2010 entre les « pro-européens », favorables à l'austérité, et les « Eurosceptiques » qui cherchent une autre voie, division qui est fort dangereuse pour l'Europe elle-même, n'est pas une fatalité. Le PS portugais entend ne pas abandonner son attachement à la construction européenne, mais il entend aussi prouver que celle-ci n'est pas incompatible avec une autre politique économique alternative. Autrement dit, Antonio Costa tente de sortir de l'habituel « chantage » consistant à accepter l'euro avec l'austérité ou à le rejeter. C'est, du reste, ce « chantage » qu'avait tenté d'opposer le président de la République Anibal Cavaco Silva en imposant un gouvernement de droite pour « sauvegarder les engagements internationaux du Portugal. » En refusant cette logique et en décidant de s'unir contre le gouvernement de droite, la gauche portugaise veut redonner sa place à la politique. Le fait qu'un parti social-démocrate - au sens européen -  adhère à cette ambition est important : il ramène l'austérité à un choix conservateur.

La fin d'une rupture historique

Ce choix est d'autant plus significatif qu'il prend place dans un pays où la division de la gauche est très profonde et très ancienne. Le PS portugais est un des premiers à avoir initié le « virage social-démocrate » et à avoir adopté la « rigueur. » Dès 1976, son leader Mario Soares, avait repoussé les demandes « révolutionnaires » du parti communiste et des mouvements de gauche issus de la Révolution des œillets. Il avait aussi pris des mesures de rigueur drastiques pour stabiliser l'inflation et l'escudo. Il en est résulté une division profonde avec le parti communiste (PCP) et le reste de la gauche radicale. Pour prendre conscience de cette division, il faut se souvenir qu'en 1983, le PS avait emporté les élections sans majorité absolue et avait alors préféré s'allier au PSD à droite qu'avec le PCP. On mesure donc d'autant plus ce qu'a pu représenter pour la direction du PCP, vendredi 6 novembre, l'acceptation de cette alliance avec le PS. De fait, la capacité de la gauche portugaise à s'unir montre qu'une véritable barrière psychologique et historique a été franchie. C'est dire combien cette coalition était difficile à construire.

L'austérité profondément rejetée

Cette alliance n'a, en réalité, été possible que parce que, pendant que les observateurs internationaux et les ministres de l'Eurogroupe tressaient les louanges de la politique du gouvernement du premier ministre sortant Pedro Passos Coelho, les Portugais rejetaient profondément sa politique. Si ce rejet a été visible à l'été 2013 lors des grandes manifestations, il a été un peu oublié par la suite, le calme étant revenu dans les rues portugaises. Mais ceci n'a jamais signifié qu'il a existé une adhésion de la majorité des Portugais à une politique qui limitait l'espoir des plus fragiles à retrouver un emploi précaire et mal payé ou à émigrer. Comme les Grecs en 2015, les Portugais ont majoritairement rejeté la politique d'austérité puisque l'alliance de droite au pouvoir a perdu 700.000 voix et que l'opposition a été majoritaire. C'est ce fait que l'alliance de gauche vient sanctionner. En cela, il est beaucoup plus significatif de la volonté des Portugais qu'un gouvernement minoritaire destiné à ne rassurer que l'Eurogroupe.

Equation complexe

Evidemment, tout reste à faire pour la gauche portugaise. L'expérience de Syriza en Grèce prouve que sa tâche sera difficile. Le prochain gouvernement sera un gouvernement PS, avec un soutien sans participation de la gauche radicale. Il devra réaliser un programme de rééquilibrage de l'effort budgétaire entre les entreprises et les plus fortunés, vers les classes les plus défavorisées. Il devra aussi reconstituer la demande intérieure du pays qui est absolument ravagée par l'austérité. Bref, rééquilibrer aussi le modèle économique. Le tout, et sur ce point le PS s'est montré très clair, dans le cadre budgétaire européen. L'équation ne sera certainement pas aisée à résoudre. Mais le Portugal n'est pas la Grèce.

Le Portugal n'est pas la Grèce

Le Portugal n'est plus sous programme, à la différence de la Grèce. Il ne dépend donc pas des fonds de la zone euro pour se financer. Certes, en retour, il dépend davantage des marchés où il se refinance. Et, déjà, on a constaté une tension autour du 10 ans portugais. Ce taux est passé de 2,35 % avant les élections à 2,73 % ce lundi 9 novembre. Une hausse certes notable qui dénote une certaine nervosité, mais on est loin des taux d'il y a un an encore (3,23 %). En réalité, ce niveau de taux est très faible pour un pays comme le Portugal et tout à fait soutenable. Il est peu probable que Lisbonne perde l'accès aux marchés pour la bonne raison que ces titres sont soutenus par la politique de rachat de la BCE et que cette dernière va s'intensifier sans doute dans les mois à venir. Du coup, le 10 ans portugais peut apparaître comme un titre sûr et plutôt rentable à une époque où le Bund allemand est de 0,69 %, celui de la France de 1,02 % et même celui de l'Espagne de 1,95 %. Bref, le danger est faible. Sauf, évidemment, si la BCE décide d'exclure le Portugal de ses rachats. Mais il faudra trouver un prétexte valable puisque, à la différence de la Grèce, il n'y a pas de programme pour le justifier. La marge de manœuvre de Lisbonne n'est donc pas si étroite, même si l'économie portugaise est très affaiblie.

Confrontation en vue avec la Commission

La plus lourde tâche sera de parvenir pour la gauche à mener une politique qui change réellement le quotidien des Portugais alors que la Commission européenne et l'Eurogroupe seront certainement sans pitié face à cette tentative inédite de rupture par un parti social-démocrate de l'alliance pro-austérité. Bruxelles va certainement faire pression sur Lisbonne pour que l'essentiel du programme du nouveau gouvernement soit abandonné, en commençant par les choix budgétaires. Le Portugal doit s'attendre à une offensive sans doute sévère. D'autant que, les cas espagnol et italien l'ont prouvé, Bruxelles cherche à prouver à Wolfgang Schäuble, qui veut lui ôter la surveillance budgétaire, qu'elle n'est pas laxiste. Antonio Costa devra donc se montrer solide. Il a une bonne raison pour cela : selon Público, le vote du budget par les deux partis de la gauche radicale n'est pas chose acquise. La pression sera donc maintenue. Et le futur premier ministre sait que s'il est renversé par sa gauche, ce sera le retour de la droite au pouvoir. Il devra donc choisir entre contenter Bruxelles et partir ou engager un bras de fer avec la commission et rester.

Le comportement des Sociaux-démocrates décisif

Dans ce cadre, le comportement des partis sociaux-démocrates européens sera décisif. Cette famille politique est, pratiquement partout en Europe (à l'exception de l'Italie), en pleine crise par son alignement sur les politiques d'austérité. L'alliance portugaise représente l'opportunité de refonder une véritable alternative. Si les gouvernements sociaux-démocrates abandonnent Antonio Costa comme ils ont abandonné Alexis Tsipras, alors preuve sera faite encore une fois que, dans la zone euro, l'alternative économique n'est pas possible. L'euro sera alors clairement en danger, car son identification avec l'austérité sera une nouvelle fois, après le cas grec - que l'on peut toujours prétendre particulier - prouvée.

Finalement, la gauche radicale portugaise, en acceptant les conditions socialistes, a décidé d'ignorer le précédent grec en "essayant" une nouvelle fois de changer la donne dans l'euro. Le Portugal tente donc d'effacer le traitement "politique" de la crise grecque.  Il est donc de l'intérêt des sociaux-démocrates de soutenir l'alternance au Portugal et de le faire non pas seulement par des mots comme le PS français l'a fait samedi, mais par des actes, au Conseil européen. L'expérience portugaise est une nouvelle opportunité. L'Europe saura-t-elle le saisir ?

Commentaires 28
à écrit le 12/11/2015 à 20:28
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Le gouvernement du Portugal change. Est-ce un problème ? Le 10 ans du Portugal est à 2.78%... Cordialement

à écrit le 12/11/2015 à 16:51
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Antonio Costa, patron du PS portugais, futur premier ministre, ex-ministre, député européen et ex-maire de Lisbonne. Si Monsieur Costa gère les affaires du pays comme il a géré les affaires de la ville, je crains le pire... Promenez-vous dans Lisbonn...

à écrit le 12/11/2015 à 13:31
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Monsieur Godin, Une fois n'est pas coutume, je tenais à vous remercier pour cet article que je trouve, comme d'habitude, très pertinent, d'une analyse en décalage avec la pensée économique unique actuelle, et porteur d'espoir pour les nouvelles géné...

à écrit le 12/11/2015 à 12:46
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Je crois que cette alliance va constituer un Syrisa à la Portugaise... on rale contre l'austérité des traités de l'Union Européenne mais on oublie volontairement d'expliquer qu'ils ne sont pas modifiables (article 48 du Traité sur l'Union Européenne ...

à écrit le 12/11/2015 à 8:44
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mr Romaric Godin , je ne comprend plus : je croyais que , la " chance pour l'Europe " c'etait votre copain Tsipras ... alors ? pourquoi , maintenant , serait ce Costa au Portugal ? celà va si mal , en Grece ?

à écrit le 11/11/2015 à 10:51
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J'adore le titre du professeur Godin, qui explique doctement ses élucubrations et donne libre cours à ses théories sur des alliances et des intriques produits de son imagination. Cela me rappelle une maxime: "ce n'est pas parce qu'on n'a rien à dire ...

à écrit le 10/11/2015 à 21:43
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Article totalement débile. Avant de critiquer l'austérité, il faut se demander pourquoi elle est là ? Or si, il y a l'austérité dans les pays comme le Portugal, l'Espagne et La Grèce c'est à cause de la politique mené avant pendant des décennies. Le ...

à écrit le 10/11/2015 à 21:11
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Très bien vu : se dire de "gauche" et réussir à être élu permet aux plus pauvres d'espérer alors qu'ils restent dans la misère la plus grave. La preuve, le "communisme" de la russie et de la chine est une réussite économique qui leur permet de s'impo...

à écrit le 10/11/2015 à 21:10
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Amusant mais un peu long pour dire tant d'âneries!

à écrit le 10/11/2015 à 19:01
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Mon petit Romaric je t'aime bien mais il faudrait que tu grandisses un peu. Ton optimisme sans faille est rafraichissant, c'est mon rayon de soleil dans ce monde de brutes, mais attention à ne pas se fracasser sur le mur de la réalité. Déjà, tu es co...

le 10/11/2015 à 20:35
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Ah, parce qu'hors UE on pourrait couper à l'austérité budgétaire ? Bien au contraire, sans monnaie unique ni les filets de sécurité de l'UE, il faut faire preuve d'une rigueur budgétaire encore bien plus grande.

le 10/11/2015 à 21:48
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Syriza là elle même reconnut: la Grèce hors de l'euro reconnaitra une austérité mille fois pire qu'avant. L'asutérité n'est pas dû à l'euro mais à la politique débile mené des décennies avant '(vivre au dessus de ses moyens). L'euro ne fait qu'aggra...

le 10/11/2015 à 22:12
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L'euro étouffe l'économie grecque. Une sortie de la zone euro (et un défaut de paiement) peut être une bonne chose sur le long terme si les réformes structurelles sont faites (fin de la corruption,...) mais à court terme, ce serait un désastre. voilà...

à écrit le 10/11/2015 à 16:16
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La question des partis au Portugal n'est plus qu'une question personnelle de place pour les politiques. Le pays ne peut sortir de l'euro et sa politique économique lui est dictée par Bruxelles, comme d'autres il est sous-tutelle. Le piège européïste ...

le 10/11/2015 à 21:54
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Je trouve que vous exagérez de dire que le Portugal est sous tutelle. Cependant, là où vous avez raison c'est de dire que c'est avant tout une histoire personnel. Le chef du PS a fait tout cela par pur ambition personnelle (au mépris de l'intérêt gén...

à écrit le 10/11/2015 à 12:44
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le PS portugais ne fera pas plus bouger les lignes en Europe que Tsipras en Grèce. Il est bien trop petit et faible pour cela. Le Portugal va un peu moins mal que la Grèce et M. Schauble loue les louanges du PAssos Coelho pour s'auto promouvoir lui ...

à écrit le 10/11/2015 à 8:57
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Le P.S. étant un parti S. Démocrate, il serait judicieux et responsable qu’il se rapproche des S.Démocrates même s'ils sont Centre-Droit, plutôt que de le faire avec de Staliniens qui dans le passé ont tenté e nous imposer une sorte de Révolution Bol...

à écrit le 10/11/2015 à 8:18
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Depuis quand une coalition de gauche est une chance pour l'E.U...? alors que le marxo/socialisme est en fin de cycle....même en France....

le 10/11/2015 à 9:43
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L'Empire US est mal en point. Les BRICS et d'autres ne font plus des achats en dollar et l'Empire a des difficultés pour ses fins de mois... Cherchez vous trouverez des infos !

à écrit le 09/11/2015 à 23:44
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Portugal est tombe sur la tête ? il vas devenir ? La tristesse une vrais misère devant le monde

à écrit le 09/11/2015 à 23:25
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dommage, le portugal s'en sortait pas mal du tout, et il va replonger avec cette politique

le 10/11/2015 à 16:47
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Cher thaurac, qu'en savez vous sur le Portugal Qu'est que vous permet d'affirmer que le pays s'en sortait pal mal du tout ?? Faut pas seulemet croire a ce qu'on lit par ci par lá. Avec toute l'austérité, voire la misére qui grasse dans le pays mais q...

le 10/11/2015 à 17:13
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Je confirme les propos d'ANAM. Un exemple: on a construit de belles autoroutes un peu partout avec rigoureusement personne dessus. Dans le coin de Vila Real, Bragança, Vila Pouca de Aguiar par exemple avec des ouvrages d'art titanesques en veux-tu en...

à écrit le 09/11/2015 à 21:33
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Décidément , notre ami R Godin est incorrigible ! le voilà reparti pour quelques semaines , voire quelques mois avec sa réthorique .... vous savez c'est le meme qui il y a quelques mois , nous a parlé de la Gréce ....

à écrit le 09/11/2015 à 20:52
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C'est surtout une nouvelle chance de faire la preuve par l'absurde, exactement comme en Grèce, qu'il n'existe pas d'alternative à une grande rigueur économique et à l'austérité sur la dépense publique. Aucun doute, si la coalition portugaise tente de...

à écrit le 09/11/2015 à 18:08
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Bonjour, Déjà, quand je lis " L'expérience portugaise est une nouvelle opportunité. " je me pose des questions, car on ne dit pas, lorsque la droite arrive au pouvoir qu'il s'agit d'une "expérience". Non. Comme une expérience est par définition de c...

le 09/11/2015 à 20:54
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Quelques mois probablement, en effet. Si la coalition cherche à rompre avec l'orthodoxie budgétaire le pays sera vite dans l'impossibilité de se refinancer et retombera vite sous programme d'assistance. Et dans le cas contraire, la coalition ne tiend...

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