Vestager : « Amazon et McDonald sont les prochains sur la liste»

La commissaire à la concurrence a été à la fois louée et critiquée dans l’affaire Apple. Alors que l’Irlande souhaite contester la décision en justice, la Commission a elle d’autres dossiers en cours concernant des compagnies américaines. Un article de notre partenaire Euractiv.
Margrethe Vestager est la commissaire européenne à la concurrence, responsable de du contrôle des aides d’État et des réglementations antitrust.

Euractiv.fr - Le scandale Luxleaks a attiré l'attention du monde entier sur les réglementations fiscales luxembourgeoises. Pourquoi l'affaire d'Apple en Irlande est-elle la première à laquelle s'est attelée la Commission ?

Margrethe Vestager - Le Luxembourg était le premier cas, parce que le cas Fiat était un des premiers, mais il était beaucoup moins important, évidemment. Seulement 20 ou 30 millions d'euros. C'est une échelle complètement différente. Mais sur le principe, c'est la même chose : il s'agit de donner un avantage à une entreprise, qui bénéficie d'une réglementation fiscale particulière qui n'est pas accessible aux autres entreprises.

Est-ce que l'appel de l'Irlande contre votre décision risque de fragiliser la Commission ?

Non, au contraire ; on a préparé le cas pour qu'il soit le plus solide possible. J'ai demandé à mes équipes de changer d'angle et de mettre à l'épreuve le dossier aux arguments de l'opposition. Notre position est donc robuste. Nous savions qu'il pourrait y avoir un appel.

Ensuite, il n'y aura plus de remise en question. Aux yeux des États membres et des autres sociétés, notre position sera renforcée.

Quand  le cas sera-t-il examiné par la justice ?

C'est à la Cour européenne de justice de fixer le calendrier. Pour l'heure, nous avons demandé aux autorités irlandaises de calculer le montant exact des taxes qui n'ont pas été payées. Elles devront procéder à cette évaluation en suivant notre propre méthodologie. Ensuite les montants en question seront versés sur un compte bloqué. Les procédures ont été les mêmes pour les affaires de Starbucks et de Fiat : l'appel n'est pas suspensif. L'argent sera donc perçu de toute façon.

Les autres États sont également invités à réclamer leur dû à Apple. Seules l'Espagne et l'Autriche ont visiblement l'intention de le faire. Espérez-vous que d'autres pays suivent le mouvement ?

Si une société se développe dans un pays, et génère des profits, il faut que les autorités fiscales s'y intéressent. C'est bien sûr à elles d'en juger. Il est toutefois difficile pour les autorités fiscales d'avoir le recul nécessaire. En effet, il règne une certaine opacité sur les régulations fiscales et sur l'activité des entreprises pays par pays. Ce cas a attiré l'attention seulement parce que le Sénat américain a commencé à poser des questions ! C'est pourquoi je suis vraiment en faveur d'un reporting public pays par pays, cela changera complètement notre attitude face à l'imposition des sociétés et la culture des entreprises.

Les États-Unis ont fait une lecture politique de la décision concernant Apple, affirmant qu'elles soulèvent des questions sur la souveraineté de la fiscalité. Quelle est votre réponse ?

Nous prenons cela très au sérieux. Il ne s'agit pas d'une décision politique, instinctive ou anti-américaine. C'est simplement l'application de la régulation européenne des aides d'État. Aux États-Unis, ce n'est pas interdit. Nous les avons donc invités à considérer la question à travers le prisme européen. C'est la législation européenne qui doit être appliquée dans cette affaire, la législation propre à l'UE. C'est ce que nous faisons depuis des décennies.

Une des raisons pour lesquelles nous avons besoin que les Etats-Unis comprennent bien notre décision, c'est qu'ils représentent un partenaire crucial au niveau mondial.

Nous avons besoin d'eux pour faire avancer des dossiers sur les taxes à l'OCDE, au G20. Tout le monde doit se rendre compte que c'est une question globale, pas européenne. C'est important de laisser le dialogue ouvert, dans le cadre d'une coalition globale sur la question fiscale, pour aller vers une taxation équitable.

L'OCDE est leader en matière de lutte contre évasion fiscale, comme le montre le projet BEPS, qui est maintenant reconnu par tout le G20. Ce travail est précieux, il est arrivé au bon moment : on peut légiférer en fonction de cela.

Vos prochaines décisions politiques pourraient-elles concerner une autre entreprise américaine ?

Je n'ai pas le choix, j'ai beaucoup de dossiers concernant des sociétés américaines ! En Europe il y a une étrange fascination pour les entreprises américaines, mais la grande majorité de nos décisions concernent des sociétés européennes, et pas nécessairement pour des questions fiscales. La règle, c'est que cela implique des sociétés européennes, mais comme c'est notre travail habituel, cela ne fait pas les gros titres et ne devient pas un débat public.

Nous avons encore besoin de réponses pour l'affaire Google, mais Amazon, McDonalds, et d'autres sociétés américaines très connues, sont déjà sur la liste.

Tout comme Ikea.

Oui, nous sommes en train de regarder ce que les Verts nous ont transmis, mais il est un peu tôt pour en tirer des conclusions.

Les taxes ne relèvent pas des compétences de l'UE. C'est pourquoi vos équipes ont abordé la question dans le cadre de la politique de concurrence, ce qui est une première. Vous avez certainement également connaissances des problèmes liés au dumping social. Pensez-vous que cette question pourrait également être gérée en s'appuyant sur la concurrence ?

À mon avis, le dumping social doit être abordé directement. Nous pouvons observer dans de nombreux États membres que les autorités nationales ont l'herbe coupée sous le pied par des personnes prêtes à effectuer le travail pour bien moins cher.

Je pense que pour gérer cela efficacement, les prix devraient être les mêmes pour les mêmes services, dans une Europe sociale. Ce serait cohérent avec nos valeurs d'équité.

Dans le cadre de la fusion de Bayer et Monsanto, il y a eu d'importantes inquiétudes au sujet d'une potentielle augmentation du prix de la nourriture et la concentration de la production de graines génétiquement modifiées. Allez-vous vous pencher sur la question ?

Il est encore trop tôt pour que je commente ce cas en particulier. Ce qui est important, c'est que les fermiers aient le choix des produits, qu'ils puissent utiliser différents types de graines, et qu'ils ne soient pas contraints d'utiliser un seul pesticide. L'agriculture concerne tout le monde, donc c'est un secteur très important.

Ce que nous constatons, c'est que sur les dix dernières années, il y a eu une augmentation dans le niveau de concentration dans le secteur appelé « protection des plantes ». Au niveau de la recherche et du développement, un élément très important pour le futur de l'agriculture, nous voyons aussi une concentration accrue. Nous devons garder cela en tête.

Les dirigeants européens parleront beaucoup de sécurité et de défense au sommet de Bratislava le [16 septembre]. Comment faire rêver les Européens en parlant sans cesse de ces sujets ?

Nous ne devrions pas avoir peur de lire le journal le matin. La sécurité est un élément de base. Il s'agit d'avoir la certitude que nous pouvons y arriver seuls. Comme l'a dit le président Jean-Claude Juncker, nous avons un mode de vie européen et nous nous y tenons. Ça vaut la peine de développer et préserver cet endroit où il fait si bon vivre.

C'est mon avis, en particulier en tant que femme. Dans toute l'histoire du monde, vous ne pourriez espérer trouver un meilleur endroit pour vivre en tant que femme. Je suis consciente que nous avons des problèmes et je ne dis pas que tout va bien. Nous avons néanmoins tendance à oublier quel endroit merveilleux est l'Europe.

L'UE est pourtant un monde d'hommes. Quel est votre secret pour vous faire entendre en tant que femme ?

Je n'en ai pas, c'est simplement moi ! Pendant des années, j'ai eu la chance d'avoir du pouvoir. Je pense que quand vous avez du pouvoir, vous devriez laisser la population apprendre à vous connaître un peu. J'essaie d'avoir un peu plus de personnalité qu'un simple uniforme.

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Par Aline Robert, Cécile Barbière, Euractiv.fr

(Article publié le vendredi 16 septembre 2016)

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Commentaire 1
à écrit le 20/09/2016 à 10:10
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Ça y est! On singe les US! On ne va pas tarder a signer le TAFTA et tout ce que l'on ne veut pas!

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