Zone euro : une reprise qui ne cache pas les échecs politiques du passé

La croissance européenne s'accélère légèrement, mais les fondamentaux restent très fragiles. Les conséquences des erreurs commises depuis 2010 se font encore sentir.
La croissance reste faible en zone euro

Avec une croissance au premier trimestre 2015 de 0,4 % après 0,3 % au trimestre précédent, l'économie de la zone euro accélère, mais elle accélère mollement. Surtout, le principal moteur de cette croissance reste la consommation des ménages.

Le détail de plusieurs chiffres nationaux n'est pas encore connu, il faut donc certes se montrer prudent. Mais la répartition géographique de la croissance laisse peu de doute sur ce sujet : les économies fortement dépendantes de la demande externe enregistrent de mauvais chiffres (la Lituanie et l'Estonie sont en contraction, l'Allemagne, la Lettonie et les Pays-Bas ralentissent fortement), ceux plus dépendantes de la demande interne et de la consommation font mieux que prévu (c'est le cas de la France, de l'Italie ou de l'Espagne).

Le cas français, où la croissance est tirée par la seule consommation, est sans doute caricatural, mais il n'est pas isolé.

Une croissance construite sur du sable ?

En soi, il n'y a pas là de problème majeur. Une croissance tirée par la consommation peut être solide. Mais l'ennui, c'est qu'ici, on n'y est pas.

La consommation européenne, aussi forte fût-elle, est bâtie sur deux éléments non durables.

D'abord, la baisse du prix du pétrole qui, se répercutant à la pompe, a dégagé du pouvoir d'achat pour des ménages qui, parfois, sortaient d'une longue période de contraction de leur pouvoir d'achat en raison des cures d'austérité.

Ensuite, l'allègement des mesures d'austérité un peu partout en Europe qui a non seulement redonné de l'air aux économies, mais redonné de la confiance aux ménages qui ont pu cesser de croire que l'avenir se limitait aux coupes budgétaires et au chômage inévitable. Un peu plus confiants, les ménages ont dépensé, rachetant notamment des produits dont ils s'étaient privés dans les périodes de "vaches maigres".

Les deux phénomènes se sont alliés et ont finalement compensé la relative atonie du reste de l'économie, empêchant la zone euro de tomber dans une spirale déflationniste.

Echec de la course à la compétitivité coût

Ce qui est remarquable dans cette reprise, c'est qu'elle a entièrement déjoué le discours dominant à Bruxelles et dans la plupart des gouvernements de la zone euro.

Si l'on se souvient bien, en 2013, la reprise européenne devait venir des exportations. C'était logique puisque l'austérité avait pour but d'améliorer la compétitivité de la région. Plus compétitive, l'économie européenne allait vendre ses produits à des tiers, puis ces exportations allaient irriguer le commerce interne à la zone euro afin, enfin, de faire baisser le chômage et de conduire à la hausse de la consommation.

Or, ce scénario ne s'est pas réalisé. La réalité semble même prendre le chemin inverse. C'est une nouvelle preuve des erreurs qui ont alors été commises. L'austérité n'a nullement produit de la croissance et ce sont des facteurs étrangers à cette politique ou pire, l'arrêt de cette politique qui a remis la zone euro sur le chemin de la croissance.

Du reste, l'échec est si patent que, même avec un euro déprécié, les exportations restent désespérément atones dans la zone euro. Preuve de l'impasse dans laquelle se sont fourvoyés les Européens depuis 2010 qui ont pensé qu'une consolidation budgétaire rapide, une libéralisation des marchés du travail et une baisse des coûts salariaux permettraient de conquérir des marchés.

Il n'en a rien été. Pire même, la mise en compétition des pays de la zone euro sur les coûts ne cesse de faire de nouvelles victimes, d'autant que l'Allemagne, entre 2010 et 2014, a continué à maîtriser ses coûts salariaux.

Du coup, même des pays jadis très compétitifs comme l'Autriche et la Finlande semblent désormais en panne de croissance et contraints à de futurs « ajustement » douloureux : la Finlande est retombée en récession au premier trimestre 2015 et va devoir faire face à une procédure de déficit excessif de la commission, l'Autriche stagne avec une croissance de 0,1 % sur la même période après 0 % sur le trimestre précédent.

Les conséquences sous-estimées de l'austérité

Cet échec s'explique par deux phénomènes qui ont été sous-estimés constamment par les doctes sages européens.

D'abord, en plongeant la zone euro dans la récession en 2011-2013 par une austérité débridée, les officiels européens ont affaibli la croissance chinoise en fermant un de ses débouchés. Dès lors, l'ancien Empire du Milieu a accéléré sa mutation vers la demande intérieure et s'est lancé dans une croissance du crédit risquée. La Chine ne s'en est toujours pas remise et l'affaiblissement de sa croissance handicape aujourd'hui l'ensemble de la croissance mondiale.

Deuxième élément : l'austérité a conduit à la destruction d'une capacité productive ravagée par l'effondrement de la demande intérieure, notamment des PME. L'accélération de la désindustrialisation du continent (hors Allemagne) rend plus difficile la capacité de certains pays de la zone euro à répondre à la demande externe.

Pas de rechute, mais un contexte peu porteur

Faut-il s'inquiéter alors d'une rechute ? Aucun économiste ne la prévoit. Mais la situation macroéconomique dans les pays émergents reste très préoccupante. La décélération est générale.

Les Etats-Unis n'ont plus guère la capacité d'entraînement de l'économie européenne qu'ils avaient jadis et l'économie américaine semble patiner. Bref, il serait assez illusoire de s'attendre à un redémarrage des exportations suffisant pour porter l'activité européenne.

Quant à la consommation des ménages, elle a peut-être mangé son pain blanc. Le pétrole repart à la hausse, certes encore modérée, et les effets d'apaisement de la fin de l'austérité vont progressivement disparaître. De surcroît, cette consommation ne s'appuie guère sur des produits de la zone euro et est compensée par une forte hausse des importations renchéris par l'euro faible.

Dans ce contexte, l'investissement ne peut qu'être un investissement de rattrapage, insuffisant pour porter la croissance. Bref, s'il semble difficile de prédire une « troisième chute » de l'économie européenne, la croissance risque de rester durablement faible, au-delà des variations trimestrielles parfois trompeuses. Et le chômage risque de demeurer élevé dans les pays en surcapacité.

La clé du crédit

Le seul vrai espoir réside dans une transmission de l'assouplissement quantitatif de la BCE à l'économie réelle via le crédit. On voit des signes encourageants de ce point de vue. Ce sera l'élément clé de la reprise de la zone euro dans les mois à venir. Mais, là encore, il faudra se montrer prudent : les investissements devront permettre la reconstruction industrielle de la zone euro autour de marchés porteurs.

Le secteur privé seul pourra-t-il relever ce défi ? Le plan Juncker saura-t-il mettre en place une stratégie adéquate ? Rien n'est moins sûr. Surtout, les politiques européens semblent toujours hantés par les mêmes principes théoriques. Aucune réflexion sérieuse sur les échecs de 2010-2014 et leurs conséquences n'est menée. Le cas grec prouve que la tentation de l'austérité demeure et menace, comme une éternelle épée de Damoclès.

Commentaires 28
à écrit le 15/05/2015 à 1:02
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Quel est le prix payé par la République pour mr Appolinaire qui faisait des vers sous les bombes. Nous sommes dans la vraie vie et pas dans les mots de hauts comités d’Etat en parlant croissance sous la moyenne trafic comptable inclus. On est pas dan...

à écrit le 14/05/2015 à 21:46
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Personne n'évoque l'impact de la circulaire Bolkestein sur le chômage, n'y a-t-il aucune étude sur cette circulaire et ses conséquences. Pourquoi ?

le 15/05/2015 à 1:22
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Le message précédent a peut etre un ordre d'un compte vers un autre en millions... C'est comme Camerone un pré carré qui tombe ou pas.

à écrit le 14/05/2015 à 20:02
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On entend parler croissance, seulement a-t-on donné à l’école la définition du pib. La définition parait compliquée, comme charger un chien peut avoir plusieurs sens. On trouve des bts en notariat à 3500 brut après plusieurs années, des professeurs d...

à écrit le 14/05/2015 à 16:07
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En Europe on a des pays dont les salaires baissent, pourquoi ne pas punir les responsables? Est-ce normal? Le système administratif ne doit-il pas être démantelé pour fabrique de chômage? Pourquoi ne pas faire un procès en austérité?

à écrit le 14/05/2015 à 15:55
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L’Etat décrète le PIB est équivalent à dire, démouler un cake c’est du pib… L’Etat enrichit-il la société ou bien l’appauvrit-il ? La question c’est comme pour libéralisme quelle est la définition pour démouler un cake. Ne fait-on pas des absurdités...

à écrit le 14/05/2015 à 15:41
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L’Europe c’est des retraités, des logements chers et des jeunes sans emploi dans un système sans croissance. A quand un programme à 6 millions de pré-retraites et des retraités sans retraite, un point d’indice sans réseaux et sans ancienneté, à l’ava...

à écrit le 14/05/2015 à 14:10
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La compétitivité des entreprises françaises, on rigole, il parait qu’on vent à l’étranger, pour qui on roule ? N’instruit-on pas le procès de l’euro qui fabriquerait le chômage ? La France est-elle un modèle avec une croissance sous la moyenne, le PI...

à écrit le 14/05/2015 à 13:56
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La compétitivité des entreprises françaises, on rigole, il parait qu’on vent à l’étranger, pour qui on roule ? N’instruit-on pas le procès de l’euro qui fabriquerait le chômage ? La France est-elle un modèle avec une croissance sous la moyenne, le PI...

à écrit le 14/05/2015 à 12:48
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c'est limite mélanchoniste vos histoires d'austérité qui ont tout redéglinguer :p

à écrit le 14/05/2015 à 11:48
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Il faut voir le monde comme des vases communicants mais l'erreur est de vouloir intervenir localement sans fermer "les frontières"!

à écrit le 14/05/2015 à 9:45
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Tout ce qui est dit là s’applique, en pire, aux USA, avec, en plus, un déficit budgétaire encore plus massif.

à écrit le 14/05/2015 à 9:28
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très bon article. Il est clair 1. que la théorie de l'offre ça ne marche pas 2. que l'ouverture sans contrôle engendre forcément la récession pour les pays riches. cependant comme c'est toujours la demande et l'inflation qui ont tiré la croissance, i...

à écrit le 14/05/2015 à 9:14
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N'importe quoi ! Quand il n'y a pas de croissance ça va pas; et quand il y en a c'est pareil...C'est vrai qu'il faut bien noircir du papier ! Les "experts" de La Tribune qui voyaient la valeur de l'Euro en dessous de celle du Dollar dans un avenir pr...

à écrit le 14/05/2015 à 7:57
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La croissance est là et l'on ne peut que féliciter ce gouvernement pour sa clairvoyance et son efficacité. Grâce aux mesures de serieux qu'il a pris, la crise est vaincue et le chômage commence à diminuer. Il va donc être possible d'accompagner tout ...

le 14/05/2015 à 8:21
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On peut toujours rêver mais il n'y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir

le 14/05/2015 à 8:55
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Il est grand temps de faire de nouvelles élections,quand on entend des bêtises pareilles, le plus fort c'est qu'il y croit et nous on le paye

le 14/05/2015 à 9:46
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Nous ne sommes pourtant pas le 1er Avril. Il doit s'agir de sarcasmes.

le 14/05/2015 à 11:27
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"L'état doit prendre..."Vous voulez vraiment encore plus d'état?Encore plus de fonctionnaires?Encore plus d'assistanat?La crise est vaincu et le chômage commence à diminuer,mais vous habitez où?Imposer encore plus les "riches",mais les riches,ils son...

à écrit le 14/05/2015 à 5:58
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Avec un carcan fiscal comme en France, qui veut investir et créer des emplois ? Personne ! C'est donc bonjour tristesse pour tout le monde et pas seulement à Dunkerque comme le souligne une célèbre actrice. Vivement des indemnités non-imposables ...

à écrit le 13/05/2015 à 21:10
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La croissance par la consommation n'est pas saine, ni viable car elle repose sur l'endettement ; elle est même pernicieuse car elle conduit les populations à considérer qu'il est un droit de consommer plus que ce qu'on produit (voir la Grèce).

le 14/05/2015 à 7:08
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Affirmatif ! La consommation parlons en dans les grandes surfaçes ou les supermarchés ou sont les clients chez Cora on fait crédit pour Juillet et vous parlez de reprise, je comprends pas.

à écrit le 13/05/2015 à 19:24
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Au dela de tous ces aspects évoqués il faudra s'attaquer a l'optimisation fiscale de manière sérieuse et eventuellement taxer les entreprises sur le net et favorisant celles avec une présence physique pourvoyeuses d'emploi.

à écrit le 13/05/2015 à 18:19
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Très bon billet, je dirais cependant un tantinet trop optimiste, la reprise reste encore floue et il ne faut pas répéter les mêmes erreurs d'appréciation du passé. Attendons les résultats du deuxième trimestre sans y faire trop de histrionisme car on...

le 13/05/2015 à 18:47
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Oui vous avez raison, il est encore trop tôt pour sabler le champagne mais l'analyse de M Godin est la bonne à mon avis. Cela fait des années que nous suivons aveuglement la politique économique de la commission européenne sur injonction de Tata Merk...

le 13/05/2015 à 19:37
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On est déjà convaincu que l’euro représente un obstacle à la croissance et au développement du pays, mais nos dirigeants restent hostiles à une sortie, en raison des inquiétudes plutôt alarmistes exploitées par une presse qui fait des prédictions cat...

à écrit le 13/05/2015 à 17:50
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Cette demande interieure paraît d'autant plus fragile qu'elle repose sur la consommation d'energie qui risque d'être absente au second trimestre. Par ailleurs, la configuration du premier trimestre aurait dû conduite a une acceleration des exportatio...

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