L'usine de l'avenir se construit maintenant

Par Patrick Cappelli  |   |  1008  mots
Une chaîne de soudure de carrosseries robotisée de l'usine Kia, à Zilina, à 200 km au nord de Bratislava, capitale de la Slovaquie.
La révolution numérique bouleverse tous les secteurs, y compris l'industrie. L'usine de demain sera plus souple, plus agile et plus connectée. La France se prépare pour réussir ce rendez-vous stratégique.

L'usine n'avait pas subi pareil bouleversement depuis la révolution industrielle du XIXe siècle. La récente irruption des outils numériques est en train de modifier considérablement la production industrielle. Fabrication additive (impression 3D), cobotique (interaction entre un opérateur humain et un système robotique), logiciels de réalité virtuelle, dialogue entre machines (MtoM), Internet des objets : la liste de ces technologies émergentes est longue comme un bras robot articulé.

Cette évolution dite de la fabrication intelligente (smart manufacturing) a été l'objet de la première conférence du même nom, organisée le 28 novembre 2014 au palais des congrès de Versailles par l'établissement public Paris Saclay et le pôle de compétitivité Systematic.

Objectif de ce colloque : faire le point sur l'apport des technologies numériques aux processus industriels, et, par ricochet, tenter de donner du « glamour » à une usine qui en a bien besoin. En effet, les emplois industriels n'attirent plus les jeunes diplômés. D'après le palmarès des employeurs 2013 de Regionjob, seule Airbus fait partie du Top 15 des entreprises les plus attractives. Parallèlement, l'industrie pèse de moins en moins dans l'activité économique : entre 1980 et 2011, son poids au sein du PIB est passé de 24 à 12%.

Enfin, la France est un des pays développés qui possède le moins de robots industriels : 31 600 en 2014 selon l'IFR (International Federation of Robotics), soit 125 pour 10.000 salariés, contre 150 aux États-Unis, 282 en Allemagne et 437 en Corée du Sud. C'est pourquoi l'usine de l'avenir fait partie des 34 plans de la reconquête industrielle impulsés à la fin de 2013 par Arnaud Montebourg, alors ministre de l'Économie et du Redressement productif. Dans le cadre du programme d'investissements d'avenir, Bpifrance a annoncé en juin dernier qu'elle allait accorder 1,2 milliard d'euros de prêts « usine du futur » (jusqu'à 12 millions d'euros par entreprise).

Paris-Saclay : 15% de la recherche française

Selon Benjamin Gallezot, directeur général adjoint à la direction générale des entreprises du ministère de l'Économie, ce plan comporte trois volets : la mise en oeuvre de sites pilotes, avec 19 projets en cours dans lesquels « les pouvoirs publics s'impliqueront si nécessaire », un programme ambitieux de recherche et développement (R & D) et une amélioration des capacités de production des PME.

« Ce mariage de l'industrie et du numérique a trouvé un territoire naturel à Paris Saclay », selon Benjamin Gallezot.

Il est vrai que l'établissement public, fort de ses deux universités, dix grandes écoles et sept établissements de recherche, représente 15% de la recherche française, a rappelé son président Pierre Veltz.

Dans ce domaine stratégique de l'innovation, la compétition entre les grands pôles mondiaux fait rage. De la Silicon Valley californienne à la région de Boston avec Harvard et le MIT, en passant par Bangalore en Inde et Tsukuba à Tokyo, il faut absolument être identifié comme faisant partie du « circuit international des talents », selon Pierre Veltz, qui espère bien que les programmes autour de l'usine connectée aideront à placer Paris Saclay sur la carte.

Cette Industrie 4.0 - un concept allemand - est aussi un enjeu européen. Jean-Claude Juncker, nouveau président de la Commission européenne, veut faire passer le poids de l'industrie dans le PIB européen de moins de 16 % aujourd'hui à 20% d'ici à 2020. Et compte consacrer 2 milliards d'euros sur dix ans à la recherche sur ce thème.

Zeljko Pazin, directeur exécutif de l'EEFRA (European Factories of The Future Research Association), association chargée de nouer des partenariats public-privé (PPP) entre les entreprises et l'Union européenne, estime que « c'est à la fois beaucoup et peu : 75% des investissements en R&D sont privés ».

Des appels à projets sur six axes technologiques sont ouverts à destination des PME innovantes sur le portail de l'EEFRA (effra.eu) jusqu'au 4 février 2015, pour un budget global de 143 millions d'euros.

Une aide aux PME pour leur premier robot

Exemple de cette coopération entre public et privé : le programme Robot Start PME, conduit par le Cetim (Centre technique des industries mécaniques), le Symop (syndicat des entreprises de technologies de production) et l'institut CEA List qui a pour but d'aider 250 petites et moyennes entreprises à installer leur premier robot.

Jean Tournoux, délégué général du Symop, cite ainsi Pernoud, une PME de 100 personnes qui fabrique des moules pour l'industrie automobile. Une machine-outil usine les 150 à 250 pièces du moule et un robot les assemble. Ce robot travaille 24 h/24 grâce à une maintenance à distance. En cas de problème, un opérateur reçoit un SMS, se connecte via Internet sur la machine-outil munie d'une webcam, prend la main si nécessaire et peut remplacer l'outil, ou, s'il n'est plus disponible, changer la pièce en cours d'usinage.

Au premier rang des industriels concernés par cette fabrication intelligente, on trouve Dassault Systèmes, qui conçoit les programmes de modélisation numérique et de PLM (Product Lifecycle Management, gestion du cycle de vie des produits), et Fives Group, qui construit des usines pour l'industrie lourde et manufacturière. Le groupe lillois a créé dès 2010 l'Observatoire Fives des usines du futur, un groupe de réflexion qui organise des événements, comme le 17 décembre au Collège des Bernardins à Paris sur le thème de la place de l'homme dans l'usine.

Pour Michel Dancette, directeur de l'innovation de Fives Group, le plan 34 n'est rien moins « qu'une réflexion stratégique sur la nouvelle France industrielle : Comment allons-nous produire l'avion et le train de demain ? »

Chez Dassault Systemes, François Bichet, responsable de la stratégie technologique, annonce toujours plus de numérisation :

« Comme l'a prédit Michael Schrage du MIT, nous entrons dans l'ère de l'hypersimulation. Le numérique va libérer l'homme des tâches répétitives et fatigantes, pour qu'il puisse mettre ses fonctions cognitives au service de la qualité et de l'innovation. »

Une usine du futur à la fois ultranumérisée et mieux adaptée à l'humain : voeu pieux ou avenir probable ? Réponse dans les prochaines années.