Pour Patrick Ponsolle, "Morgan Stanley est l'un des deux derniers des Mohicans"

Dans une interview à la Tribune, Patrick Ponsolle revient sur les stratégies des deux dernières banques d'affaires américaines (Morgan Stanley et Goldman Sachs) qui vont probablement diverger.

Quel impact l'élection de Barack Obama peut-elle avoir sur la situation économique américaine et mondiale?

Si l'élection de Barack Obama témoigne, comme je le crois, de la confiance du peuple américain dans sa capacité à relever les défis des temps présents et à venir, et de son adhésion aux valeurs d'ouverture, d'énergie et de solidarité de son nouveau président, alors cette élection ne peut avoir que des effets positifs dans un monde que la confiance en l'avenir semble avoir temporairement désertée.


 Cette élection va-t-elle remettre en cause ou faciliter le plan de sauvetage des banques?

Il m'apparait que Barack Obama considérant, lui aussi, que la monnaie est pour toute collectivité l'instrument et le symbole du lien social, et donc qu'une désagrégation du système bancaire, monétaire et financier ne pourrait que conduire au désordre et à la régression, ne pouvait qu'être favorable à un plan de sauvetage des banques.Au demeurant, l'action du Gouvernement Américain a été jusqu'ici d'autant plus consensuelle qu'elle a été pragmatique et multiforme. Après que les Banques Centrales ont joué leur rôle traditionnel de prêteur de dernier ressort, la décision de faire jouer à l'Etat américain un rôle d'actionnaire de dernier ressort des neuf principales banques américaines, décision impensable il y a seulement quelques mois, n'a suscité aucune vraie querelle idéologique.

L'élection de Barack Obama change-t-elle la donne du plan de sauvetage de la finance américaine??
 

Le spectre de l'effondrement du système bancaire, près duquel nous sommes passés à plusieurs reprises au cours des derniers mois, semble en effet s'être éloigné. Mais il serait imprudent de considérer qu'il n'y aura pas de nouveaux accidents ponctuels, ou des soubresauts affectant de nouvelles catégories d'agents économiques. Je pense en particulier aux hedge funds dans la sphère financière et aux entreprises les plus fragiles de l'économie réelle. Tant que l'endettement de l'ensemble des acteurs économiques n'est pas revenu à des niveaux acceptables, c'est-à-dire des niveaux justifiant du retour de la confiance des prêteurs, la crise ne pourra pas être considérée comme réellement terminée.

 Ne faut-il pas redouter un retour de balancier du coté des Etats endettés ?

Les diverses garanties ou facilités publiques dont ont bénéficié les intermédiaires financiers, ont conduit à un transfert réel ou potentiel de l'endettement des agents privés vers les agents publics.A court terme, ce transfert n'a pas pénalisé le crédit des agents publics - principalement les Etats ou leurs émanations directes - parce qu'il a été contrebalancé par le désir des épargnants de s'investir dans les placements disposant d'une garantie publique. Mais le simple bon sens fait dire qu'on ne peut pas indéfiniment vivre à crédit qu'on soit un ménage, une entreprise ou un état. Un effort général de désendettement doit donc à terme intervenir dont les Etats eux-mêmes, une fois joué leur rôle de stabilisateurs automatiques, ne devraient pas s'exonérer. La seule manière saine - et réaliste d'y parvenir, c'est en retrouvant les voies de la croissance.

 Etes-vous de ceux qui croient à un retour de la croissance en 2010 ?

Je ne sais pas si nous assisterons à un retour de la croissance en 2010 ou 2011, mais je considère qu'il n'y a aucune raison de penser que la croissance économique mondiale ne reprendra pas son cours. Les besoins restent immenses sur l'ensemble de la planète et l'appétit des consommateurs chinois, indiens, brésiliens, etc... est loin d'être rassasié. Simultanément, plusieurs révolutions technologiques sont en déploiement, prometteurs de renouveau et de gains de productivités. Enfin, la transformation des modèles de développement eux-mêmes, va exiger un colossal effort d'investissement dans des infrastructures ou modes de production nouveaux.

L'élection de Barack Obama change-t-elle la donne du plan de sauvetage de la finance américaine??
 

Très vraisemblablement aux Etats-Unis, moins clairement en Europe. Aux Etats-Unis, dans la banque d'affaires, des quatre grandes banques qui dominaient le marché, Lehman Brothers, Merril Lynch, Goldman Sachs et Morgan Stanley, seules les deux dernières ont réussi à conserver leur indépendance. En Europe, les rapprochements nationaux tels celui de Lloyds et HBOS et Fortis avec BNP Paribas sont déjà engagés. En revanche, des rapprochements transfrontaliers, sont dans l'état présent de fébrilité des marchés, difficiles à exécuter. Ils supposeraient une approche amicale, acceptée, sinon voulue, par les Pouvoirs Publics et exigeraient que soient clairement démontrés les bénéfices effectifs qui en résulteraient. Ceci fait beaucoup de conditions à réunir à un moment d'incertitude sur l'état réel des comptes des protagonistes.


La consolidation peut-elle s'étendre à d'autres secteurs de l'industrie financière, notamment aux assureurs ?

Le mode de financement et de régulation des compagnies d'assurances les rend beaucoup moins fragiles que les banques. Certes, leur portefeuille d'actifs subit l'impact des variations boursières, mais leur passif est extrêmement stable pour ceux qui ne se sont pas abandonnées aux délices des spéculations sur produits dérivés. Quoi qu'il en soit, la quasi-faillite d'AIG et la réduction du périmètre de ce qui a été la première compagnie d'assurance mondiale, va conduire à une significative redistribution des cartes à l'échelle de la planète.


Morgan Stanley partage-t-elle une part de responsabilité dans la crise??


Nous nous avons participé à l'euphorie générale du gonflement massif de l'endettement depuis quatre ans. Nous avons aussi commis notre lot d'erreurs et pris, à l'automne 2007, des positions malheureuses sur des portefeuilles de crédits « subprime » sur lesquels nous avons réalisé de fortes pertes. Nous avons reconnues nos erreurs et engager une réduction des coûts, de larges provisionnements de nos actifs à risque et une réduction de 20% de notre bilan depuis fin 2006.

Souhaitez-vous un changement dans le mode de rémunération des banquiers??
La variation de la rémunération des banquiers d'affaires en fonction des profits me paraît parfaitement saine. En revanche, sont à mes yeux pervers, pour ne pas dire «pousse au crime», les systèmes de rémunération impliquant une opération risquée pour la banque sans que le développement dans la durée ait pu être mesuré.

Les banques ont-elles, à vos yeux, correctement apprécié les risques qu'elles ont pu prendre ?

Une des leçons les plus importantes que nous a apporté cette crise, c'est l'importance de la juste identification, valorisation, et gestion dynamique de l'ensemble des risques, de ceux que les banques elles-mêmes ont pris, comme de ceux prix par un bon nombre de leurs clients investisseurs pourtant avisés.

Il ne fait pas de doute que l'abondance des liquidités, la vigueur de la concurrence ont conduit à sous-estimer l'existence des risques et à fixer à un très bas niveau le coût de ceux-ci, attitude dont l'ensemble du secteur bancaire paie aujourd'hui lourdement le prix.

Par ailleurs, la multiplication des produits financiers complexes et opaques, qui ont été diffusés de par le monde, a été par trop facilement acceptée par les investisseurs qui se trouvent maintenant souvent confrontés avec leur assez large illiquidité.

Que vous impose votre nouveau statut de banque commerciale ?

Notre nouveau statut de «bank holding» nous soumet au contrôle et à la régulation de la Federal Reserve alors que nous étions jusque là soumis à ceux de la SEC. En contrepartie nous pourrons accéder sans restriction au guichet de réescompte de la Banque Centrale, et développer la collecte des dépôts.
Nous pourrions progressivement adopter le modèle de banque universelle en développant une activité de dépôt, soit de manière organique ou à travers l'acquisition de banques de détail. Mais il serait plus cohérent avec les gènes de Morgan Stanley à rester sur nos métiers actuels tout en repondérant leur importance, et en modifiant leur mode de gestion pour nous adapter à l'environnement des prochaines années.

Plus concrètement que voudrait dire ce second scénario ?

Quelque soit le choix stratégique final de notre maison et de son Conseil d'Administration, entre les deux scénarios que je viens d'évoquer, nous ne ferons pas l'économie d'une phase de transition un peu douloureuse durant laquelle nous devrons poursuivre la réduction de notre bilan et de nos coûts. Mais l'essentiel devrait consister à réduire l'importance relative de nos activités de marché les plus consommatrices de capital et à donner la priorité à celles qui ne le sont guère, comme la banque d'affaires, la banque privée et la gestion d'actifs.

Le modèle de la banque d'investissement à l'américaine reste-t-il?

Je suis convaincu que l'intermédiation des banques commerciales ne pourra pas satisfaire à elle seule la totalité des besoins de financement ou de couverture de risques des agents économiques, et qu'il y aura toujours besoin dans le futur d'intervenants indépendants pour faciliter l'accès direct de ces agents aux marchés financiers. J'ai en effet beaucoup de mal à concevoir le développement de ces marchés de capitaux ou d'instruments de couverture des risques, en l'absence d'opérateurs qui leur soient dédiés et qui ne soient pas en conflit d'intérêts permanents avec leurs propres activités de crédit ou d'assurance.

Le développement dans la banque privée et la gestion d'actifs se fera par vos propres moyens ou par acquisition ?

Les deux. La voie de développement organique, notamment pour la banque privée, est la plus évidente. Mais rien n'est exclu.

Le modèle d'origine des banques suisses, aujourd'hui pourtant assez décrié, est-il votre modèle futur ?

La réussite d'une entreprise résulte moins, à mes yeux, de son adhésion à un modèle que de la cohérence de sa stratégie, et de la qualité de la mise en ?uvre de cette stratégie. Le modèle de la banque universelle aujourd'hui portée aux nues a connue autant d'échecs que de réussite (Fortis versus BNP) tout comme celui de la banque d'affaires d'ailleurs (Lehman versus Goldman Sachs). Ce n'est pas la combinaison des activités de gestion d'actifs et de banque d'affaires qui a été à l'origine des problèmes d'UBS, ce sont principalement les erreurs de gestion et d'investissement de la direction de sa banque d'affaires.

Comment va évoluer Morgan Stanley avec son nouvel actionnaire Mitsubishi ?

Morgan Stanley a aujourd'hui trois actionnaires institutionnels importants: le fonds souverain chinois CIC, à hauteur de 10%, le groupe Mitsubishi à hauteur de 20%, et le gouvernement américain sous forme d'actions de préférence à hauteur de 10 milliards de dollars.

Avec Mitsubishi, qui est le premier groupe financier japonais et dispose d'un total de bilan de 1.800 milliards de dollars et de 1.100 milliards de dollars de dépôts de ses clients, Morgan Stanley ambitionne de développer un partenariat stratégique qui aille très au-delà des relations habituelles avec un grand actionnaire qui devrait être particulièrement actif dans les domaines ou les régions dans lesquelles la présence des deux groupes est complémentaire. Mitsubishi est un important prêteur international aux entreprises alors que notre activité de crédit est très modeste; nous sommes présents sur l'ensemble des activités de la banque d'affaires alors que Mitsubishi n'est actif que dans certaines d'entre elles. Réussir un vrai partenariat d'affaires est un projet long et difficile qui va réclamer de la part des deux groupes, patience, ténacité et créativité. C'est pourquoi nous prenons le temps de discuter de tous ces thèmes de coopération possible avec notre nouveau partenaire, en vue de premières décisions pour la fin de l'année.

Ce partenariat avec Mitsubishi va-t-il vous différencier de Goldman Sachs ?

Goldman Sachs et nous sommes les derniers des Mohicans de la banque d'affaires américaine et nos problématiques sont très proches. Mais nos cultures sont différentes notamment en ce qui concerne l'appétit pour le risque, ce qui nous a conduit à des styles de gestion assez opposés, et nous conduira probablement à des stratégies différentes. En ce qui nous concerne, quoique conscients de la dureté probable des temps à venir, et de l'importance des efforts à accomplir, nous sommes confiants dans nos chances de réussite. Nous sommes adossés à trois actionnaires puissants et, grâce à leurs apports, nous sommes aujourd'hui la banque au monde qui dispose des fonds propres les plus élevés avec un ratio tier 1 de 19% environ L'accès au guichet de réescompte de la Federal Reserve nous met largement à l'abri de problème de liquidités. Nous avons provisionné nos risques de manière plus large que la plupart de nos concurrents.Nous continuons jour après jour à réduire notre endettement. Nous avons fait, tout au long de 2008, la preuve de notre capacité à rester raisonnablement profitables dans les environnements les plus mouvementés. Nous sommes associés à l'un des meilleurs partenaires internationaux envisageables. Nous bénéficions naturellement de la disparition d'un certain nombre de nos anciens concurrents pour augmenter nos parts de marché. Dès lors, comment pourrions-nous douter de notre capacité à convertir les difficultés auxquelles nous-mêmes et nos clients sommes et allons être confrontés, en autant d'opportunités de développement ?

Qu'en est-il de l'activité de Morgan Stanley en France ?

Morgan Stanley France se porte aussi bien que possible dans les circonstances présentes. Si certaines de nos activités souffrent de la conjoncture, d'autres en revanche vont réaliser des performances très satisfaisantes : le courtage action et la banque d'affaires par exemple vont réaliser des résultats record. Ceci est à mes yeux le résultat de la robustesse et de la stabilité de l'équipe parisienne et du souci permanent de nos banquiers d'investir dans la relation avec nos grands clients. C'est ce qui nous a permis d'être le conseil de Lafarge pour son acquisition d'Orascom Cement, de Crédit Agricole et de Société Générale pour leurs augmentation de capital, de Fortis pour ses cessions à BNP et au gouvernement hollandais, ainsi que de beaucoup d'autres entreprises de taille plus modeste pour leurs transactions 2008. L'année 2009 sera inévitablement en recul par rapport à 2008 et exigera une attention toute particulière à l'évolution de nos coûts, au redéploiement de nos ressources, voire à leur réduction, mais dans des proportions qui ne nous conduiront pas à réduire substantiellement notre voilure sur le marché français.
 

 

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