"Le franc suisse baissera quand les marchés arrêteront de s'inquiéter pour la zone euro"

Pour Sara Carnazzi, économiste chez Crédit Suisse, le franc suisse continuera d'être fort tant que durera la crise de la zone euro. Car cette monnaie est une valeur refuge. En attendant ? Les exportations, le tourisme et la consommation suisses trinquent.

Le franc suisse s'est apprécié de 40% depuis 2008, et de 13% depuis le début de l'année. Comment expliquez-vous la rapidité de cette appréciation ?

Lorsqu'il y a une crise, les acteurs financiers se rabattent sur les valeurs qu'ils jugent les plus sûres. Le contexte actuel d'insécurité sur les marchés financiers, avec la crise de la dette dans la zone euro et les inquiétudes sur les Etats-Unis, amène à un déplacement de l'intérêt des marchés vers l'or et le franc suisse, qui sont des valeurs refuge. Cette réaction était prévisible car elle n'est pas nouvelle, la Suisse a déjà connu des phénomènes similaires à plusieurs reprises. En revanche, tout le monde a été très surpris de la dimension et de la rapidité de cette ruée sur le franc. C'est presque du jamais vu dans un laps de temps aussi court, et cela traduit une crise profonde. Cela force les acteurs de l'économie suisse, c'est-à-dire les entreprises qui exportent dans le monde et dans la zone euro en particulier, à s'adapter rapidement pour ne pas trop en pâtir.

Dans quelle mesure l'appréciation du franc menace-t-elle les exportations ?

Les exportations pâtissent de la surévaluation du franc et vont continuer à en pâtir, c'est une conséquence qui me paraît inévitable. Depuis peu, nous assistons à une baisse de la demande mondiale, principalement des pays européens mais aussi des Etats-Unis par exemple. Les industries dites plus classiques, comme le textile ou les produits alimentaires de base, sont vraiment sous pression à cause des coûts de production plus élevés que dans les pays d'Europe de l'Est, notamment au niveau des salaires. La surévaluation du franc pose des problèmes de compétitivité à ces sociétés. Pour les entreprises qui exportent des produits à forte valeur ajoutée, la pression est différente. Elle ne porte pas tellement au niveau du volume des exportations mais des profits que les entreprises peuvent réaliser. La situation est donc moins critique pour ce type de sociétés, mais elles doivent s'attendre à une érosion des profits, et il faudra qu'elles s'y fassent. Des emplois sont de fait menacés.

Pourtant, les exportations ont augmenté de 5,7% au premier semestre 2011...

Les exportations suisses ont bien résisté car le pays s'est déplacé ces quinze-vingt dernières années vers la production et l'exportation de produits à forte valeur ajoutée, comme l'horlogerie, l'industrie pharmaceutique, la machinerie, les instruments de précisions, bref des industries de pointe. C'est la recette gagnante de l'industrie suisse, qui se fonde sur la qualité et les innovations techniques et technologiques. Nous développons des secteurs dans lesquels nous sommes les meilleurs, ce qui préserve une partie de notre industrie de la concurrence mondiale des pays à niveau de salaire plus bas, notamment ceux d'Europe de l'Est ou d'Asie.

Les conséquences de l'appréciation du franc ne sont donc pour l'instant pas dramatiques, grâce à une demande étrangère qui est restée robuste jusqu'à récemment. Cette croissance s'explique aussi par grâce au développement des économies asiatiques, notamment chinoise, et de l'attrait nouveau de ces pays pour les produits de luxe. Il y a également un aspect conjoncturel car les pays asiatiques sont dynamiques, ils compensent en quelque sorte la demande européenne déclinante. Pour 2011, les exportations devraient continuer à croître, mais moins fortement que prévu, à 3,5% sur l'année.

Vous vous inquiétez également pour le secteur du tourisme...

C'est l'autre secteur qui risque de subir le plus. Pour des clients qui viennent de l'étranger, la facture en franc suisse est nécessairement plus chère. La clientèle étrangère a baissé de 0.9% au premier semestre. L'appréciation du franc a contribué à faire fuir les touristes provenant d'Europe (-4.7%) et des Etats-Unis. Les touristes belges (-9.5%) ou Allemands (-7.6%)sont moins venus en Suisse. En revanche, la clientèle étrangère asiatique (+19%) est en plein boom. Mais elle ne compense pas les touristes occidentaux que nous avons perdus.

Comment jugez-vous les réactions de la Banque nationale suisse (BNS), qui envisage d'attacher temporairement le franc à l'euro ou qui s'apprête à mettre en place des taux d'intérêts négatifs pour contrer le franc ?

Ce ne sont pas des alternatives valables, et je crois qu'elles seraient inefficaces. Attacher le franc à l'euro ne me paraît pas une bonne idée. Pourquoi fixer la monnaie d'un pays très compétitif et en bonne santé tel que la Suisse à une monnaie qui ne semble pas vraiment avoir d'avenir ? Le franc a atteint un niveau qui commence à faire mal à l'économie, donc la pression sur la BNS se fait très forte. Elle est dans une situation où il faut dire quelque chose et essayer de faire. Mais la meilleure action pour la BNS serait de garder le franc aux alentours de 1,10 euros. Depuis qu'elle est intervenue sur les taux d'intérêt, on a l'impression que le franc se stabilise un peu, mais ce sont des impacts à court terme. Il n'est pas exclu que la BNS fasse quelque chose comme acheter de la monnaie européenne sans le communiquer. En réalité, l'enjeu dépasse la BNS. Son pouvoir face aux pressions sur les marchés est faible. Il faut accepter le fait qu'on n'a pas beaucoup d'options ni de moyens.

Y'a-t-il uniquement des inconvénients à un franc suisse très fort ?

Non. Grâce à ce biais, les prix des importations baissent. Le problème est que les entreprises ne répercutent pas forcément ces baisses de prix sur les produits, ce qui pénalise la consommation. Malgré tout, les Suisses payent moins cher certains produits qui viennent de l'Union européenne car le taux de change est plus avantageux. Le touriste suisse qui va en vacances onéreuses. Les taux très bas de la BNS encouragent aussi à l'investissement et à l'emprunt. Mais les conséquences négatives sont largement prépondérantes.

Le franc va-t-il, selon vous, rester longtemps à ces hauteurs ?

Le franc redescendra lorsque la crise de la zone euro se calmera. Malheureusement, rien n'indique que l'on se dirige vers cette direction et je n'ai pas l'impression que l'Europe soit sur la bonne voie. L'Union européenne n'est pas prête à regarder en face la seule solution qui lui reste : laisser partir le sud de l'Europe. Il faudrait revenir aux anciennes monnaies et garder l'euro seulement avec un groupe de pays plus forts et plus proches économiquement. Cette solution ne semble pas valable aux yeux des dirigeants européens, mais je ne vois pas comment le mécanisme de soutien aux pays endettés (le FESF) pourrait régler la crise car il n'a pas les moyens d'aider un gros pays comme l'Italie. Tant que les marchés ont des doutes sur l'Italie et l'Espagne, ils vont maintenir la pression sur le franc suisse.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 25/08/2011 à 12:21
Signaler
Tout est de la faute de l'Euro ! C'est un point de vue ! Et c'est pas complétement faux... Petite question : alors pourquoi le dollar a encore plus dégringolé que l'Euro face au CHF ? Le problème n'est pas la crise de l'Euro ni de l'Europe ! Pas seul...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.