Histoire (s) de la (non) régulation bancaire (5/5) : Goldman Sachs, ou comment contourner la règle Volcker

La règle Volcker, imaginée par dans le sillage de la crise financière de 2008, interdit aux banque américaines de spéculer pour leur propre compte, et avec leur propre argent. Mais, sous couvert d'investissements à long terme, Goldman Sachs continue à faire du trading pour compte propre à court terme.
Christine Lejoux
Goldman Sachs est l'une des banques les plus pénalisées par la règle Volcker, selon les analystes de JPMorgan. | Reuters

S'il y a un nom que les banquiers américains abhorrent, c'est bien celui de Paul Volcker. Dans la foulée de la crise financière de 2008, l'ancien président de la Réserve fédérale américaine (Fed) a imaginé une réglementation qui privera les banques américaines de certaines de leurs activités les plus lucratives.

Dans le détail, la règle Volcker, dont la mise en application ne cesse d'être différée en raison du lobbying des banques et des mésententes entre les différents régulateurs, interdit aux établissements de crédit de spéculer avec leur propre argent pour leur propre compte, plutôt que pour celui de leurs clients. Le but de la manœuvre ? Limiter la prise de risques susceptibles d'acculer une grande banque à la faillite et, partant, de menacer le financement d'une partie de l'économie.

Goldman Sachs est la banque qui a le plus à perdre de la règle Volcker

Oui, mais voilà, le trading pour compte propre - le « prop trading », dans le jargon financier anglo-saxon - a rapporté pas moins de 15,6 milliards de dollars de chiffre d'affaires aux six principales banques américaines, de 2006 à 2010, selon l'organisme chargé du contrôle des comptes publics des Etats-Unis, le Government Accountability Office. Difficile de tirer un trait sur un métier aussi rentable... Surtout quand on s'appelle Goldman Sachs. La célèbre banque d'affaires américaine est en effet celle qui a le plus à perdre de la règle Volcker, d'après les analystes de JPMorgan Securities, qui estiment que son bénéfice par action pourrait être amputé de 14%, bon an mal an.

Pourtant, il y a un an, devant quelque 400 personnes réunies lors d'un déjeuner organisé par le Club économique de Washington, Lloyd Blankfein, le patron de Goldman Sachs, jurait ses grands dieux que la banque avait « cessé (ses) activité de trading pour compte propre », et ne comptait donc plus parmi ses ouailles de « traders prenant les risques qu'ils veulent en misant l'argent de la banque. »

MSI investit les fonds propres de Goldman Sachs et n'a pas de clients autres que la banque

Des propos « qui ont dû surprendre les collaborateurs d'une entité secrète de Goldman Sachs, dénommée Multi-Strategy Investing (MSI) », ironisait Bloomberg, dans un article publié le 8 janvier 2013. Selon l'agence de presse, qui a enquêté auprès d'une vingtaine d'anciens employés et de partenaires de MSI, cette filiale de Goldman Sachs MSI appartient à la division « Situations spéciales » de la banque, division qui utilise l'argent de cette dernière pour miser sur des PME en retournement, et qui a été un centre de profits très important pour le groupe, ces dernières années.

MSI a plus précisément pour vocation de placer les fonds propres de la banque, à hauteur de 1 milliard de dollars, sur des actions et des obligations d'entreprises, comme le cimentier mexicain Cemex ou l'établissement de crédit immobilier Ocwen Financial. Et MSI n'a pas de clients. Ou, plus exactement, elle n'en a qu'un : Goldman Sachs. C'est dire si cette entité - qui emploie une dizaine de personnes et est gérée par deux anciens de l'université de Princeton, Daniel Oneglia et Geoff Adamson - répond parfaitement à la définition du trading pour compte propre, interdit par la règle Volcker.

Le trading pour compte propre perdure, sous une appellation différente

A ceci près que cette dernière interdit le courtage pour compte propre lorsqu'il s'agit de placements inférieurs à 60 jours, alors que MSI « investit à long terme », affirme Michael Du Vally, l'un des porte-parole de Goldman Sachs. Une allégation que réfute Ashkan Marsh, un ancien salarié de MSI cité par Bloomberg : « MSI ressemble beaucoup à un hedge fund [fonds d'investissement spéculatif ; Ndlr]. » De fait, la filiale de Goldman Sachs s'est fait une spécialité du « short selling », cette pratique, très prisée par les hedge funds, qui consiste à emprunter des actions pour les vendre, afin d'accélérer la chute de leur cours, et à les racheter à un prix inférieur au prix de vente, pour empocher la différence. Une stratégie très éloignée d'une optique de long terme...

« Nous avons modifié la stratégie historique de MSI, afin de la mettre en conformité avec notre interprétation de la règle Volcker », proteste Michael Du Vally. Mais, pour Tamin Pechet, un autre ex-collaborateur de MSI interviewé par Bloomberg, « cette entité de la banque n'a jamais changé de stratégie. » Goldman Sachs n'a fait que rebaptiser en « investissements de long terme » l'activité de « prop trading » à court terme de MSI, ce qui permet à cette dernière de passer sous les fourches caudines de la règle Volcker. Mais, dans les faits, rien n'a changé, MSI continue de miser à court terme l'argent de la banque, pour le compte de cette dernière. Et le régulateur n'a que ses yeux pour pleurer, Goldman Sachs n'étant pas tenue de publier les comptes de MSI.

La « Volcker rule » limite les participations des banques dans les fonds de capital-investissement

Un autre exemple de contournement de la règle Volcker par les banques américaines ? Là encore, c'est Goldman Sachs qui le donne. Au-delà de l'interdiction du trading pour compte propre, la « Volcker rule » limite les participations des banques dans les sociétés de capital-investissement, jugées particulièrement risquées. Qu'à cela ne tienne, Goldman Sachs a trouvé une parade, en lançant, en avril dernier, un fonds de dette coté, Goldman Sachs Liberty Harbor Capital, qui investira dans des obligations de PME américaines non notées par des agences de notation.

C'est dire s'il s'agit là de titres très risqués, et, donc potentiellement très rémunérateurs. Tout ce que la règle Volcker cherche à empêcher. Mais, grâce à son statut de « business development company » (BDC), Goldman Sachs Liberty Harbor Capital ne tombe pas sous le coup de la « Volcker rule »...


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Christine Lejoux

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