Fonds de pension à la française : l'attente inquiète des assureurs

Les assureurs à l'activité importante en retraite supplémentaire comptent sur la création des fonds de pension à la française, prévue par la loi Sapin 2. Ils permettront à la fois de développer cette activité et surtout d'améliorer sensiblement les ratios de solvabilité. Mais les autorités de contrôle pourraient rendre le projet moins attrayant
Ivan Best
La loi dite Sapin 2 prévoit notamment la création de fonds de pension "à la française"

 Les fonds de pension à la française, dénommés techniquement Fonds de retraite professionnelle supplémentaire (FRPS), seront-ils adoptés par le parlement comme prévu dans le cadre de la loi Sapin 2, pour mise en œuvre l'année prochaine ? Certains assureurs se veulent prudents, échaudés par de fâcheux précédents. Ainsi, la loi Thomas, pourtant votée début 1997, n'a jamais vu ses décrets d'applications publiés. La nouvelle majorité arrivée au pouvoir en mai 1997 ne voulait pas entendre parler de fonds de pension.

En fait, le « risque politique » semble aujourd'hui faible. Un consensus existe pour développer des tels fonds de pension, d'autant que le projet est limité aux régimes souscrits dans un cadre professionnel, c'est-à-dire un contrat d'entreprise ou un Madelin pour un indépendant. Il ne concerne pas les particuliers, qui peuvent, eux, souscrire des Perp ou assimilés (pour les fonctionnaires).

Un marché encore limité

Le problème n'est pas là, pour les assureurs, Axa, Generali, ou des groupes de protection sociale tels AG2R, associé avec la CNP sur ce dossier. Pour eux, la retraite supplémentaire - offerte par les employeurs, le plus souvent dans les grandes entreprises, elle vient en supplément de la retraite de base sécu et des régimes complémentaires obligatoires- est une opportunité de développement. Ce nouveau marché encore étroit a d'autant plus de chances de grossir que les inquiétudes sur l'avenir des retraites grandissent. Pour l'instant, il est assez limité, avec 5,3 milliards d'euros collectés en 2014 pour les contrats entreprise, et 1,27 milliard pour les contrats Madelin dédiés aux travailleurs non salariés. Alors que la dépense publique de retraite dépasse les 300 milliards par an ! Mais les assureurs s'attendent à ce que ces chiffres progressent.

Et surtout, sans attendre cette progression, ils voient surtout dans l'article de la loi Sapin 2, prévoyant l'instauration de fonds pension professionnels, la possibilité d'améliorer franchement leurs ratios de solvabilité. Même si une incertitude demeure sur l'ampleur de cette amélioration à venir.

Chute des ratios de solvabilité

Depuis le premier janvier 2016, c'est la directive Solvabilité 2 qui s'applique, et qui est sensée évaluer la solvabilité des différents acteurs de l'assurance. Il s'agit de tester la résistance de telle ou telle compagnie à une crise financière, de savoir si elle détient suffisamment de fonds propres pour faire face à une telle crise, sur la base de multiples scénarios. Pour certains acteurs, l'introduction de Solvabilité 2 a fait chuter les indicateurs de solvabilité. Une compagnie passe la rampe si elle atteint les 100% se solvabilité -elle a alors suffisamment de fonds propres- , mais toutes veulent afficher une marge de sécurité importante et donc se situer bien au-dessus. Ainsi, Axa annonce un ratio S2 de 205% au 31 décembre 2015, Allianz 200%, Generali 202%.

Le jackpot des fonds de pension à la française

Pour des acteurs moins importants, mais non négligeables en France, notamment sur le marché de l'assurance santé-prévoyance-retraite, la situation apparaît moins favorable. Ainsi, le groupe de protection sociale (paritaire) AG2R La Mondiale a publié un ratio de solvabilité en forte baisse entre l'ancien mode de calcul (S1) et le nouveau (S2). Le ratio, qui avait été porté à 150% avec l'ancien calcul, est tombé à 120% au premier janvier 2016, avec Solvabilité 2. Un affichage assez peu « confortable » vis-à-vis des investisseurs et de l'ensemble du marché, qui amène les dirigeants d'AG2R La Mondiale à chercher tous les moyens de l'améliorer. Comment ? Plusieurs solutions sont envisagées, qui pourraient se cumuler : renforcer les fonds propres, via l'émission de « certificats mutualistes », réduire la rémunération du portefeuille d'assurance vie, en favorisant la souscription de contrats d'assurance vie en unités de compte -où le risque est assumé par l'épargnant-, augmenter les marges en assurance prévoyance et santé...

Mais, pour AG2R, le jackpot, le moyen le plus puissant susceptible d'améliorer le ratio de solvabilité que scrutent les investisseurs, serait l'avènement des fonds de pension à la française. Pourquoi ? Tout simplement parce que les assureurs ont obtenu que les fonds en vue de la retraite aujourd'hui soumis à la règlementation de Solvabilité 2, basculeraient d'un seul coup dans un autre monde, celui de la directive européenne sur les Institutions de Retraite professionnelle (IRP) prévue pour les fonds pension. Avec à la clé, une règlementation beaucoup souple, beaucoup moins exigeante en capital, nos voisins britanniques ayant bataillé et obtenu au niveau européen de conserver cette grande liberté pour leurs fonds de pension. Pour AG2R La Mondiale, l'effet serait massif. Le ratio de solvabilité, aujourd'hui tombé à 120%, pourrait remonter d'un coup à 150% voire plus, dès lors que l'activité retraite supplémentaire existante (le stock déjà géré) et à venir serait basculée vers ces nouveaux fonds de retraite professionnelle supplémentaire, aux exigences allégées.

L'ACPR veille

Le hic, c'est que la directive européenne fonds de pension (IRP) va faire l'objet d'amendements notables, avant d'être totalement transposée en France. « L'ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution) voit d'un mauvais œil cette directive IRP qu'elle estime bien peu exigeante » affirme l'un des meilleurs experts du secteur. « Elle va peut-être imposer aux gestionnaires de ces nouveaux fonds de retraite des niveaux de couverture par des capitaux propres bien plus élevés qu'anticipé par les assureurs. L'idée est de se rapprocher un tant soit peu des normes de Solvabilité 2 ». Bref, les assureurs à l'activité retraite supplémentaire importante seraient beaucoup moins gagnants qu'ils ne le pensent en termes de solvabilité.

Chez AG2R, on ne se montre pas plus inquiet que ça. Le sujet a été identifié : les groupes qui risquent d'être « sanctionnés » sont ceux ayant en portefeuille une proportion importante de contrats à taux garantis. Ce qui n'est pas le cas d'AG2R. Tout dépendra des décisions de l'ACPR.

Ivan Best

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Commentaires 12
à écrit le 28/06/2016 à 21:56
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Le développement de ce type de fonds de pension ne devrait être autorisé que pour les indépendants. Sinon, la nature même de ces produits est sujette à une orientation économique sans retour ; soumise aux bulles spéculatives et surtout à la dictature...

à écrit le 28/06/2016 à 16:45
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Les syndicats avaient accepté de fermer les yeux pour le prefon des fonctionnaires, en tant que super-protégés ils ne risquaient pas grand chose et cela n'a jamais été très populaire. Étonnant on y revient, les syndicats seraient-ils un tout petit, ...

à écrit le 28/06/2016 à 16:45
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Les syndicats avaient accepté de fermer les yeux pour le prefon des fonctionnaires, en tant que super-protégés ils ne risquaient pas grand chose et cela n'a jamais été très populaire. Étonnant on y revient, les syndicats seraient-ils un tout petit, ...

à écrit le 28/06/2016 à 12:57
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Après les mutuelles obligatoires se substituant de plus en plus au régime de la sécurité sociale viendra le temps des fonds de pensions qui se substitueront progressivement aux retraites complémentaires et à la retraite générale de l'assurance vieill...

le 28/06/2016 à 19:07
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Les crises majeures à venir plus grave encore que 2008-2009, la volatilité toujours accrue des marchés, rend plus moderne et avant-gardiste que jamais, le système de retraite par répartition. Equitable, il serait excédentaire : comprenant Fonctios et...

à écrit le 28/06/2016 à 12:24
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Je ne comprends pas l'utilité en France de ces fonds (quel que soit le nom donné) ! Au Canada par exemple, le REER (régime enregistré d'épargne-retraite) est une complémentaire, car les retraites officielles (CPP ou OAS) sont peau de chagrin. L'avant...

à écrit le 28/06/2016 à 10:46
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Et quand ces fonds de pensions s'effondrent en bourse, pouvons nous récupérer notre argent ou comme aux états-unis c'est tout perdu ? c'est de la bourse, on gagne ou on perd !

à écrit le 28/06/2016 à 10:04
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vite , des bons fonds de resrves bien grasses, qui se feront siphonner copieux quand le regime general sera en faillite ( avec de la petite perequation sociale et solidaire) les gens n'utilisent les mecanisme qui touchent les retraites que lorsqu'il...

à écrit le 28/06/2016 à 8:50
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Les marchés financiers ne faisant preuve que d'incompétence et de compromission politique ce serait bien que l'on nous explique pourquoi on continue de les avantager au détriment de l'intérêt général à chaque fois.

le 28/06/2016 à 10:31
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Pcq ce sont les marchés financiers qui financent le déficit budgétaire de la France des 43 dernières années consécutives.

le 28/06/2016 à 10:50
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Tout simplement, parce que comme dans de nombreux autres domaines, les citoyens travaillant pour ces entreprises n'ont pas la volonté et le courage de faire primer l'intérêt collectif au détriment de leur intérêt personnel. Creuserais tu ta tombe si ...

le 28/06/2016 à 14:16
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Les marchés financiers financent les états parce que l'oligarchie l'a décidé ainsi, les états auraient très bien pu s'en passer et ne jamais être endettés de ce fait. Maintenant la professionnalisation de la politique à rendu les politiciens dépe...

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