Pascal Demurger (Maif) : "Nous ne voulons pas d’un passage en force au digital"

Dans un entretien à "La Tribune", Pascal Demurger, directeur général de la Maif, explique la stratégie de la mutuelle à l'ère du digital. Très présente sur l'assurance auto et habitation, la Maif se veut à la pointe de la rupture digitale, de la collaboration avec les startups. Mais pas question pour autant d’un passage en force, d’un remplacement des collaborateurs par des robots...
Pascal Demurger, directeur général du groupe Maif.

LA TRIBUNE - La Maif se veut à la pointe de la « rupture digitale ».  Quelle signification donnez-vous à cette transformation ? Jusqu'où voulez-vous aller, par exemple, dans l'exploitation des données de vos adhérents ?

PASCAL DEMURGER - Nous voulons être vigilants dans l'exploitation de ces données. Il s'agit avant tout d'améliorer l'expérience client. L'idée est bien d'avoir, via la donnée, une vision plus riche du sociétaire, et de se servir de cette vision pour lui fournir le meilleur conseil.

Certains assureurs songent à exploiter les données de leurs clients disponibles sur les réseaux sociaux (Facebook...). Irez vous jusque là ?

Il n'en est pas question, pour nous, d'exploiter des données dans le dos de l'assuré. Au contraire, nous nous inscrivons dans une réflexion de remise à disposition aux assurés de leurs données personnelles. En toute transparence. Et nous excluons évidemment toute commercialisation.

Ces engagements seront prochainement formalisés sous forme de charte. Il est important de les afficher, d'être explicite sur ce sujet.

Et les données comportementales ? Allez-vous lancer une assurance auto selon le comportement, de type « pay how you drive » ?

Nous avons lancé expérimentation Maif & Go, avec quelques milliers de volontaires, qui acceptent d'enregistrer des données de conduite. Mettre à la disposition de nos adhérents des outils de mesure, de conseil, de prévention, pourquoi pas ? Si ce système incite les conducteurs à modifier leur comportement, c'est naturellement bon pour tout le monde.

Mais faut-il tarifier l'assurance selon le comportement ?

Il faut être prudent. Une segmentation tarifaire à l'extrême pourrait conduire à l'exclusion des gens ne répondant pas complètement aux meilleurs critères.

Quels sont les premiers résultats de votre expérimentation ?

Elle n'est pas très ancienne. Ce qui apparaît aujourd'hui, c'est que la corrélation entre données de conduite et sinistralité n'est pas aussi pure que l'affirment certains. Le lien n'est pas aussi direct et clair. On ne peut à ce stade en tirer des conclusions radicales de prédictibilité du risque.

La rupture digitale peut être un gage de productivité accrue. Allianz, par exemple, attend 1 milliard d'euros de gains de productivité de ces investissements dans le digital. Et vous ?

Nous ne raisonnons pas en termes de gains de productivité, nous ne nous inscrivons pas dans cette une logique de gain immédiat. Il n'y évidemment pas de plan social en vue à la Maif.

Mais vous pouvez ne pas remplacer tous les départs en retraite...

Ce n'est vraiment pas dans notre actualité, au contraire, nous continuons à recruter en ce moment.

Il est clair que l'intelligence artificielle doit apporter un plus. Pour nous, l'optique est d'abord d'améliorer le service, et d'offrir des outils complémentaires à nos adhérents et à nos collaborateurs. Même si nous générons le meilleur taux de satisfaction client, ce score est encore améliorable en utilisant l'intelligence artificielle (rapidité de traitement des mails, par exemple). Et surtout, les collaborateurs pourraient être déchargés de tâches à faible valeur ajoutée, pour s'investir plus fortement sur le conseil. Mais il ne s'agit sûrement pas de mettre nos collaborateurs en concurrence avec des robots.

Quelles tâches peuvent-elles être laissées à des robots ?

On expérimente la mise à disposition des collaborateurs d'un logiciel capable de comparer tous les contrats du marché, et d'améliorer ainsi le conseil délivré à un assuré qui a un doute, qui exprime le souhait de partir vers la concurrence, ou hésite à nous rejoindre. Autre exemple : nous testons un outil qui permet de hiérarchiser les mails reçus et de proposer une réponse à nos collaborateurs, afin d'en accélérer le traitement.

Avez-vous des objectifs de basculement des ventes vers le digital ?

Ce n'est pas notre optique. Il faut évidemment, mettre à disposition des sociétaires tous les outils possibles, pour qu'ils puissent faire eux-mêmes toutes les opérations qu'ils jugent possibles et nécessaires. Mais nous ne voulons pas d'un passage forcé au digital.

D'autant qu'à moyen terme, si d'autres concurrents arrivent sur le marché de l'assurance, comme les GAFA, cela changera la donne : soyons raisonnables, on ne rivalisera avec Google pas dans la collecte de la data ! Pour toute entreprise, la stratégie pertinente est celle qui valorise ses propres actifs, non duplicables : s'agissant de la Maif, notre premier actif, c'est une relation de confiance particulière avec nos sociétaires. Notre orientation stratégique est donc de maximiser ce niveau de confiance. L'objectif est le que le sociétaire se dise : « même si Google m'offre beaucoup en termes de segmentation, de prix, etc...  je préfère la Maif pour des raisons de confiance, de tranquillité d'esprit. Je sais qu'ils me traiteront bien, que je serai correctement remboursé en cas de sinistre, que le panel de services est relativement large, et qu'ils ne feront pas n'importe quoi avec mes données ». Je pense que cette proposition peut avoir beaucoup de valeur.

 Le numérique a-t-il un impact sur le réseau ?

Nous avons un réseau d'agences peu développé : nous en avons 150, il serait difficile de descendre en dessous. Les autres assureurs mutualistes tels que Macif, Maaf et GMF ont 450 à 700 agences. Nous n'avons l'intention ni d'augmenter ni de diminuer notre réseau.

 Vous voulez aussi offrir de nouveaux services aux adhérents, via le digital. Mais pourquoi avoir lancé un agrégateur de comptes ? Parce que c'est la mode ?

Nous avons lancé Nestor quelques mois avant tout le monde, nous avons lancé la mode ! Face aux ruptures du digital, nous devons faire pivoter l'entreprise sur son cœur d'activité. Que ce soit la donnée, l'intelligence artificielle, nous devons voir comment nous pouvons intégrer tous ces éléments dans notre offre et notre chaîne de valeur. Pivoter c'est aussi traiter le problème du tarissement de la matière assurable. L'exemple le plus frappant est la voiture autonome, qui peut diminuer le nombre de sinistres à terme, et donc l'activité d'assurance automobile.

Nous regardons comment la Maif peut devenir une plateforme et proposer d'autres services que l'assurance pour ses sociétaires, avec lesquels nous avons un lien de confiance extrêmement fort. Nous pouvons élargir notre capacité de prescription de services, au-delà de l'assurance, dans tout le champ financier, dans lequel nous ne souhaitons pas entrer en direct. Quand j'ai pris la direction de la Maif en 2008, nous avons renoncé à lancer une offre bancaire classique. Nous pensons clairement avoir la possibilité d'être disrupteur de l'activité bancaire traditionnelle d'une autre manière.

 Quel accueil a reçu cet agrégateur auprès de vos sociétaires ?

Une expérimentation fermée a débuté en juin dernier à destination de quelques milliers de sociétaires sur 3 millions. L'ouverture du service auprès du grand public a commencé il y a tout juste un mois et les premiers chiffres sont au-delà de nos objectifs. Nous pensons que cela va vite devenir un standard, c'est un vrai plus en termes de service, de confort d'utilisation.

Cet agrégateur est celui de la startup Linxo : votre relation est-elle uniquement partenariale ?

Nous ne sommes pas actionnaires de Linxo [Crédit Mutuel Arkéa et Crédit Agricole le sont déjà, ndlr], pas encore, mais nous l'envisageons. Notre politique d'investissement dans les startups n'est pas cantonnée à celles qui vont transformer le métier. Par exemple, nous avons investi 1 million d'euros dans SamBoat : c'est pour nous un des moyens de renouer avec le monde de la plaisance. C'est l'exemple typique d'un investissement qui n'est pas considérable mais nous permet de pénétrer la communauté des plaisanciers. Et SamBoat marche bien, ça décolle.

Vous apparaissez comme le 5e investisseur le plus actif dans les startups françaises cette année. Quel est le sens de votre démarche ?

Nous avons créé en juillet 2015 le fonds Maif Avenir, doté de 125 millions d'euros. Il a été en effet très actif et a investi  dans une trentaine de startups et quelques fonds comme Partech et Daphni, pour un total d'une soixantaine de millions d'euros.

En 2014, nous avons réalisé notre premier investissement dans Koolicar, la location de véhicules entre particuliers. Nous avions la conviction, pas si répandue à l'époque, d'un décalage entre la propriété et l'usage, qui allait impacter considérablement la manière d'assurer. Nous voulions être absolument les premiers à inventer une offre d'assurance adaptée.  Cela pose plein de problèmes inédits pour l'assureur. Il ne s'agit plus seulement d'assurer un véhicule du 1er janvier au 31 décembre mais de couvrir sur des durées parfois très courtes quelqu'un que l'on ne sélectionne pas ! Il y a aussi la question de l'intensité d'usage : en général, le propriétaire d'un véhicule l'utilise 5% du temps. Si ce dernier est loué pour une après-midi, cette intensité va fortement augmenter pendant cette période.

C'est aussi une des raisons pour lesquelles nous avons investi dans ces startups : pour apprendre sur ces nouveaux usages. Koolicar est une de nos participations les plus importantes (5 millions d'euros en deux tours) avec  GuestToGuest (4 millions d'euros).

Plus récemment, vous avez investi 3 millions dans SeaBubbles. Quel est l'objectif ?

Ce qui nous a plu, c'est l'audace du projet [un petit véhicule de transport de personnes qui « vole » au-dessus de l'eau, Ndlr]. Alors que Paris tousse, c'est un bel exemple d'innovation mis au service du développement durable. Depuis son origine, MAIF accompagne la mobilité. Celle d'hier avec l'automobile, celle d'aujourd'hui avec Koolicar notamment et maintenant celle de demain. Avec Seabubbles, la révolution du transport pourrait aussi avoir lieu sur l'eau et ce sera un peu grâce à la MAIF. Seabubbles était très courtisé, je suis heureux que nous puissions les accompagner.

Il y a aussi Morning, l'ex-Payname dans laquelle vous avez investi 4 millions d'euros en octobre 2015 et qui a frôlé la liquidation. Où en êtes-vous ?

Nous avons investi il y a un an et demi dans Payname qui était une entreprise de co-banking tout à fait dans l'esprit de nos investissements dans l'économie collaborative. Nous avons accompagné le pivot de l'entreprise vers la Néo banque depuis début 2016. Aujourd'hui, et comme nous l'avons toujours dit, nous souhaitons l'entrée d'un nouvel investisseur au capital pour permettre de développer des synergies qui accéléreront le projet de Morning. Plusieurs projets ont été étudiés et un accord a été trouvé vendredi dernier à l'unanimité des actionnaires pour avancer sur l'un d'entre eux. Dans ce cadre, la MAIF va apporter la trésorerie nécessaire pour assurer la continuité d'activité en attendant l'arrivée effective de ce nouvel actionnaire.

 Vous n'investissez pas dans les Insurtech, les startups de l'assurance, mais plutôt dans la consommation collaborative, pourquoi ?

Nous sommes d'abord entrés par l'économie collaborative, qui est un univers proche de l'assurance : tout ce qui touche à la mobilité, à l'habitation. Dans les Insurtech, il n'y a qu'un seul exemple : nous avons investi dans Inspeer (qui permet de mutualiser ses franchises d'assurance avec ses proches). Sur ce sujet, nous aimerions faire des choses nous-mêmes ou en partenariat. Il faut aussi constater que les dossiers ne courent pas les rues en France dans l'Insurtech.

Quid des RegTech, ces startups qui apportent des solutions technologiques pour simplifier les contraintes réglementaires des acteurs de la finance ?

Ce n'est pas notre priorité. Nous sommes dans une démarche de business, de diversification. D'où notre entrée dans l'économie collaborative avec sa dimension de services en plus. Nous apportons du capital et des débouchés, dans une relation durable, nous essayons de les intégrer dans notre chaîne de valeur.

Nous avons par exemple investi dans Mesdépanneurs.fr, qui permet de trouver en urgence un serrurier, par localisation en fonction de ses notes. Et nous l'avons intégré dans la chaîne de règlement du sinistre, pour apporter une solution concrète au sociétaire même lorsque le contrat ne permet pas de prendre en charge financièrement le sinistre. La plateforme prend une commission de 10% ou 15% sur l'intervention, l'artisan peut de son côté combler les périodes de creux. Autre exemple : CBien, une appli pour enregistrer son patrimoine, l'évaluer et accélérer le règlement en cas de sinistre.

Nous n'avons pas seulement investi dans l'économie collaborative, mais aussi dans l'accélérateur de startups Numa et dans le digital avec Cozy Cloud, qui permet de se réapproprier ses données personnelles et de les stocker dans un cloud sécurisé à soi, à domicile ou chez un tiers de confiance.

Et il n'est pas question de s'arrêter là : nous sommes prêts à augmenter le capital de MAIF Avenir si c'est nécessaire pour participer aux seconds tours des startups dans lesquelles nous avons investi.

 Ces investissements ont-ils surpris vos sociétaires ?

Oui, sans doute un peu, car on n'attend pas tellement la Maif sur ces sujets. Mais je n'ai senti aucune réticence : nous avons fait notre université d'été 2015 sur les thèmes de l'innovation et du digital et nous avons senti de l'adhésion, de l'enthousiasme, et de la fierté que la Maif ne soit pas distancée.

Nous investissons sur des dossiers qui amènent du service et nous permettent d'aller sur de nouveaux territoires. Nous voulions créer un écosystème de startups autour de nous afin de transformer la culture en interne. On l'a vu avec notre agrégateur Nestor que nous avons sorti en trois mois. Travailler avec des startups, c'est un accélérateur phénoménal en termes de gouvernance.

 Avez-vous nommé un responsable de la transformation numérique ?

Nous avons recruté un Chief Digital Officer il y a deux ans, Romain Liberge (33 ans), venu de l'agence Web la Netscouade, et on aurait du mal à s'en passer ! Il a un rôle complètement transverse, il anime le digital dans les différentes directions.

Comment se présentent les résultats de la Maif, dans ce contexte ? 2016 sera-t-elle une année aussi bonne que 2015 ?

L'année 2015 a été exceptionnelle, 2016 sera très belle. Une année exceptionnelle, c'était 50.000 personnes physiques en plus, 175 millions de résultat pour le groupe, un ratio combiné à 98. 2016 sera donc une très bonne année. Nous gagnons encore des parts de marché.

Quel a été l'effet pour vous de la résiliation à tout moment ?

S'agissant de l'ensemble du marché, la loi Hamon a fait passer le taux de résiliation en assurance auto de 13,5 à 14,7% pour 2015. Pour la Maif, le taux de départ volontaire de la maif est de... 0,8%. Ce qui montre que notre modèle économique est radicalement différent. Quand on connaît le coût d'acquisition d'un nouveau client, ce sont ainsi des dizaines de millions d'euros économisés chaque année sur la conquête de la clientèle. Des dizaines de millions réinvestis dans la gestion des sinistres, la qualité de la relation

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Commentaires 2
à écrit le 27/12/2016 à 17:23
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Investir dans des start ups de l'économie digitale de la part de la Maif c'est bien,c'est la mode mais il faut être vigilant et bien analyser le CV et le parcours entrepreneurial des fondateurs de start ups pour éviter les investissements à perte c...

à écrit le 24/12/2016 à 18:15
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Quand il dit qu'il n'est pas question d'exploiter les données facebook des usagers, ce monsieur oublie de dire en revanche que la DRH de sa belle entreprise n'a aucun scrupule à surveiller les blogs de ses salariés et les faire convoquer en entretien...

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