"Matières premières : nous devons contrôler l'activité des banques"

Par Propos recueillis par Aline Robert et Christèle Fradin  |   |  800  mots
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Jean-Pierre Jouyet, président de l'AMF, fait le point pour La Tribune sur la régulation des marchés de matières premières.

On a beaucoup parlé ces derniers mois de régulation des marchés de matières premières. Mais avance-t-on vraiment ?

Il y a eu une vraie prise de conscience au sein du G20 de la nécessité de réguler les marchés des matières premières. Au sein de l'Organisation internationale des régulateurs de marché (OICV), nous sommes parvenus à un consensus sur cette question. Au niveau européen, l'équipe de Michel Barnier travaille dans le cadre de la directive Abus de marché, pour lutter contre les manipulations de cours et la révision de la directive Marchés d'instruments financiers intégrera les matières premières, avec une obligation de déclaration des positions accumulées sur les différents contrats à terme. Nous avons aussi fait un travail important au niveau national. Je suis convaincu que la régulation des matières premières sera l'un des résultats les plus concrets lors du G20 de novembre prochain. Ce serait aussi le signal politique le plus fort pour montrer aux citoyens que l'on lutte pour leur pouvoir d'achat et pour réduire les inégalités.

N'était-il pas plus simple de réunir l'ensemble des initiatives européennes en un seul texte ?

Il faut voir d'où l'on part. Nous avions un retard par rapport aux Etats-Unis, qui ont un régulateur spécifique. Bâtir une Commodity Futures Trading Commission n'aurait pas été une mauvaise chose. Nous avons choisi une approche différente avec, d'un côté, l'ESMA qui réglementera les marchés dérivés et qui devra travailler, de l'autre, avec les autorités en charge de l'énergie, de l'agriculture lorsqu'elles existent. Cette coopération peut s'inspirer de ce que nous faisons en France sur le CO2 avec la CRE. Maintenant, le principal problème, ce sont les matières premières agricoles : beaucoup dépendra de la façon dont l'Union européenne s'organisera sur la réforme de la PAC.

Quel est votre avis sur le degré de financiarisation des marchés de matières premières ?

Je vois certains avantages à ce qu'il y ait des investissements financiers dans les matières premières. Car cela permet de couvrir des risques, d'augmenter la liquidité et de soutenir le commerce international. La volatilité n'est pas liée uniquement à cette financiarisation, elle est aussi le fait de l'offre et la demande sur les marchés physiques. Que peut faire en ce domaine le régulateur des marchés financiers : limiter les excès de volatilité et réprimer les abus de marché et exercer la plus grande vigilance sur les produits destinés au public.

Êtes-vous favorable à une classification par type d'intervenants sur les marchés à terme ?

Oui. Il faudra aussi distinguer l'activité de couverture de la spéculation. Nous devons donc contrôler aussi l'activité des banques, notamment les banques d'investissement, sur les matières premières. Et à plus forte raison si elles développent des activités de gestion des stocks. Les banques doivent alors être considérées comme négociants, avec une obligation de reporting à la clé sur les quantités détenues (stocks et à terme), avant que ce marché, encore largement professionnel, ne dérive plus avant vers une distribution élargie aux particuliers, notamment via les fonds et surtout les autres instruments cotés sur indices (ETF, ETPS...).

La clé, c'est donc la transparence tant sur les marchés à terme que sur le marché physique et plus particulièrement pour les établissements financiers...

Oui, avoir des données sur le stockage mais aussi les anticipations de production y contribuera. De même, la détermination de limites sur les positions accumulées à terme, et la possibilité pour le régulateur de faire la différence entre le trading spéculatif et le trading à des fins de couverture. Cela nécessite une coopération entre régulateurs de marché, régulateurs industriels et autorités bancaires. Ces dernières pourraient d'ailleurs intégrer dans leur réflexion sur les critères prudentiels de Bale la question de la pondération des activités sur les matières premières.

Qui, de votre point de vue, doit fixer les limites de position ?

C'est d'abord aux Bourses de les définir. Mais il n'est pas interdit au régulateur d'intervenir et d'en fixer lui-même si nécessaire et a fortiori bien sûr de s'assurer du respect de ces limites. La CFTC a pris en main cet exercice de définition des limites de position, pour des raisons propres au marché américain où les opérateurs n'ont pas la même activité de service public que peuvent avoir nos anciens monopoles historiques. Nous pourrions faire de même si les opérateurs manquaient de moyens.