Le Bund allemand a-t-il perdu son statut de valeur refuge ?

Par Sophie Rolland  |   |  674  mots
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Les marchés craignent que le coût des différents plans de sauvetage ne finisse par peser sur la solvabilité de tous les Etats de la zone euro, même ceux jusque là considérés comme les plus sûrs.

Un phénomène inédit perturbe les marchés depuis le début de cette semaine. On assiste à la fois à une hausse des taux allemands et à une forte remontée des rendements sur la dette des pays périphériques. 

Pourquoi est-ce si surprenant ?

Depuis le début de la crise, les marchés évoluent au gré de l'aversion au risque des investisseurs. Dans les périodes de stress, cette aversion au risque augmente. Les investisseurs ont alors tendance à se tenir éloignés de la dette des pays dits "périphériques" (Italie, Espagne, Portugal et Irlande) dont les rendements augmentent - sur les marchés obligataires, les rendements évoluent en sens inverse des prix. Ils trouvent alors refuge sur les Bund allemands, voire sur la dette des pays des "deux premiers cercles" de la zone euro (Finlande et Pays-Bas, puis Autriche et France).

Cette préférence pour la sécurité et la liquidité de la dette allemande a entraîné le rendement des Bund vers des niveaux historiquement bas ces dernières semaines. Le coût d'emprunt de l'Allemagne à 10 ans a ainsi clôturé à 1,17 % le 1er juin, après avoir touché un point bas à 1,13 % en cours de séance.

Un renversement de tendance depuis deux jours

Mais depuis deux jours, alors que les investisseurs n'en finissent pas de s'interroger sur les conséquences du plan de sauvetage des banques espagnoles, l'ensemble des rendements des dettes publiques de la zone euro sont orientés à la hausse. Les deux adjudications de dette qui ont eu lieu ce mercredi se sont passées correctement mais l'Allemagne (4,042 milliards d'euros d'obligations à 10 ans) et l'Italie (6,5 milliards d'euros de bons à 12 mois) ont dû payer des rendements plus élevés que lors des dernières opérations comparables.

Il faut dire que le plan annoncé le week-end dernier soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses. "Si l'aide est accordée par le FESF, cela entraînera une hausse des dettes publiques puisque les Etats de la zone se portent garants des fonds levés par le FESF. Pour la France, il serait question d'une augmentation de la dette d'un point de PIB",  explique l'économiste d'Aurel bgc Jean-Louis Mourier. Pour lui, c'est cette "incertitude sur le coût total du plan de soutien" qui explique que "les écarts de rendements entre le marché obligataire allemand et ceux des pays jugés fragiles d'un point de vue financier n'évoluent plus à l'inverse des taux allemands".

"L'Allemagne perd en qualité en raison du passif potentiel qui s'amoncelle sur le Bund."

De même, Andrew Bosomworth, le responsable de PIMCO - le premier gérant mondial de fonds obligataires - en Allemagne, a déclaré que les engagements de plus en plus lourds qui pesaient sur l'Allemagne avec la crise de la dette souveraine limitaient l'attrait de l'emprunt souverain de référence de la zone. Pour lui, les obligations allemandes sont toujours celles qui offrent la meilleure garantie parmi les dettes souveraines en Europe, mais leur prix n'est plus assez attractif. "Veut-on investir à des taux d'intérêt réels négatifs? Pas nécessairement", a-t-il dit à la presse. "L'Allemagne perd en qualité en raison du passif potentiel qui s'amoncelle sur le Bund."

Au-delà du plan de soutien aux banques espagnoles - qui pourrait s'élever à 100 milliards d'euros mais dont on ne connaîtra le montant qu'une fois que l'Espagne aura eu les résultats des évaluations actuellement effectuées par deux cabinets de conseil privés -, une possible contagion de la crise des dettes souveraines à l'Italie poserait un problème d'une toute autre ampleur aux pays de la zone euro. Pour les économistes d'Aurel bgc, Jean-Louis Mourier et Christian Parisot, "une intervention pour soutenir l'Espagne à laquelle s'ajouterait une aide totale ou partielle à l'Itale coûterait très cher à tout le monde. Les risques n'ont jamais été aussi importants car il n'y a jamais eu autant d'incertitudes tant au niveau institutionnel, qu'au niveau économique".

Rendement des emprunts d'Etat à 10 ans
  Allemagne France Italie Espagne
11 juin 2012 1,305% 2,559% 6,032% 6,508%
12 juin 2012 1,424% 2,729% 6,171% 6,705%
13 juin 2012 (17h) 1,500% 2,733% 6,217% 6,761%