Histoire (s) de la (non) régulation bancaire (3/5) : comment les banques françaises ont détricoté la loi Moscovici

Alors que François Hollande avait promis de scinder les banques en deux, lors de sa campagne électorale, le lobby bancaire a obtenu que le projet de loi préserve le modèle de banque universelle à la française.
Christine Lejoux
Les grandes banques françaises ont défendu bec et ongles le modèle de la banque universelle, face à la volonté de réforme du gouvernement. Copyright Reuters

« Félicitations pour avoir aussi bien négocié. » Cette remarque amère, lancée par le député PS Pascal Cherki aux patrons des banques françaises auditionnés par la Commission des finances de l'Assemblée nationale, le 30 janvier dernier, résume bien l'histoire du projet de loi bancaire, définitivement adopté par le Parlement le 18 juillet. Si cette montagne a accouché d'une souris, si nombre d'observateurs fustigent une « réforme a minima », c'est en raison de l'intense travail de lobbying mené par les banques françaises depuis le 22 janvier 2012.

Ce jour là, au Bourget, en Seine-Saint-Denis, le candidat François Hollande déclare que son « véritable adversaire » n'est pas Nicolas Sarkozy, l'autre candidat à l'élection présidentielle, mais « la finance sans visage. » Comprendre les banques, que le candidat socialiste promet alors de couper en deux, avec, d'un côté les activités bancaires utiles au financement de l'économie et, de l'autre, les activités spéculatives. L'objectif étant d'éviter une répétition de la crise financière de 2008.

Seules les activités spéculatives pour compte propre seront cantonnées

Mais le projet de loi adopté par le Parlement, le 18 juillet dernier, n'a rien à voir avec un Glass-Steagall Act à la française, du nom de cette loi américaine de 1933, qui avait imposé une séparation stricte entre les activités de détail (collecte des dépôts, crédits à l'économie) des banques et leurs activités de marchés. Dans la version définitive du projet de loi français, seules les activités spéculatives réalisées pour le propre compte des banques (et non pour celui de leurs clients) seront cantonnées dans une filiale ad hoc, laquelle devra se financer seule, sans l'aide de sa maison-mère.

Une définition si restrictive de la notion de risque que deux des plus grandes banques françaises, le Crédit agricole et le groupe BPCE, n'auront même pas à créer de filiale, leurs activités spéculatives pour compte propre étant devenues si maigres que les deux banques envisagent de les arrêter, a déploré Gaby Charroux, député GDR (Gauche démocrate et républicaine), le 17 juillet, lors de l'adoption définitive du projet de loi par l'Assemblée nationale.

Le lobby bancaire n'a pas ménagé ses efforts pour assouplir le projet de loi

Le député Pascal Cherki a raison de dire que les banques françaises ont « âprement négocié » pour défendre leur business model. Le lobby bancaire n'a pas ménagé ses efforts. Ce puissant groupe d'influence agit via la Fédération bancaire française (FBF) - présidée, à tour de rôle, par les patrons des plus grandes banques du pays - et, de façon plus officieuse, par l'intermédiaire de banquiers en cheville avec le monde politique, pour la bonne raison qu'ils sont d'anciens hauts fonctionnaires. Comme François Villeroy de Galhau, directeur général délégué de BNP Paribas, et ancien directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn à Bercy. Ou Xavier Musca, recruté en juillet 2012 comme directeur général délégué de Crédit agricole, après avoir été directeur du Trésor et secrétaire général de l'Elysée.

Six mois plus tôt, la Société générale avait embauché en tant que secrétaire général adjoint Gilles Briatta. Alors à la tête du secrétariat général aux Affaires européennes, ce dernier était également le « Monsieur Europe » du Premier ministre, François Fillon. Quant à Ariane Obolensky, la directrice générale de la FBF est une ancienne du Trésor. Tout comme François Pérol, le patron de BPCE.

Et que dire du Conseil de régulation financière et du risque systémique (Corefris) ! Chargé de mener une consultation de place sur le projet de loi bancaire à partir de l'été 2012, il est composé du ministre de l'Economie, des régulateurs du secteur financier, mais aussi de « trois personnalités qualifiées, choisies en raison de leurs compétences », et parmi lesquelles figurent Jean-François Lepetit, administrateur de... BNP Paribas, et Jacques de Larosière, qui a conseillé durant une dizaine d'années le président de... BNP Paribas.

Les banquiers agitent le chiffon rouge du financement de l'économie française

Dès le discours du Bourget de janvier 2012, le lobby bancaire a pris langue avec l'équipe du candidat Hollande, à commencer par Karine Berger, la secrétaire nationale à l'économie du PS, qui sera ensuite rapporteur du projet de loi bancaire à l'Assemblée nationale. Une fois la gauche arrivée au pouvoir, les banquiers ont poursuivi leur opération de séduction auprès de Bercy, le ministre de l'Economie Pierre Moscovici ayant été chargé par François Hollande de réformer les banques.

Ces dernières plaident leur cause avec, pour argument principal, les vertus du modèle diversifié de la banque universelle, qui a permis aux établissements français de traverser la crise financière de 2008 sans trop d'égratignures. Les banquiers français agitent également le chiffon rouge du financement de l'économie française, qui risque de devenir dépendant d'acteurs étrangers si les banques françaises se voient dépossédées de leurs activités de marché.

Bingo ! Lors de la présentation du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, le 19 décembre 2012, Pierre Moscovici souligne le caractère « réaliste » de la réforme, « qui préserve le modèle français de banque universelle, lequel a fait ses preuves. » Le ministre de l'Economie a beau assurer qu'il « n'y a pas eu de compromission, pas de reniement, pas de trahison », et qu'il n'est pas « le copain des banquiers », son projet de loi bancaire est aussitôt taxé de « réforme a minima », y compris par nombre de députés de la majorité, qui tenteront de durcir le texte. Sans grand succès.


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Christine Lejoux

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