Fintech : Arkéa se désengage toujours plus de ses pépites (Younited, Leetchi...)

Après Younited et Budget Insight, c’est au tour de Leetchi et Mangopay d’être rachetés par des fonds d’investissement, reléguant Arkéa à un rôle d’actionnaire minoritaire. Un désengagement qui marque la fin d’une époque pour la banque alors que les fintechs qu’elle a su développer affichent des ambitions européennes, avec des besoins de financement de plus en plus élevés, mais aussi sur des bases de valorisation de plus en plus élevées.
Sophie Coulon-Renouvel, directrice de la croissance externe et des partenariats stratégiques chez Arkéa est déjà la recherche de nouvelles pépites.
Sophie Coulon-Renouvel, directrice de la croissance externe et des partenariats stratégiques chez Arkéa est déjà la recherche de nouvelles pépites. (Crédits : DR)

C'était un premier signe. Crédit mutuel Arkéa n'avait pas participé, l'été dernier, à la nouvelle levée de fonds, d'un montant de 170 millions de dollars, de la fintech Younited. Et ce pour la première fois depuis son entrée au capital, en 2012, de cette star montante du crédit à la consommation instantané, aux ambitions désormais européennes. Et, coup sur coup, depuis le début du mois d'avril, Arkéa vient de céder le contrôle de ses principales pépites dans la fintech, à l'occasion de nouveaux tours de table.

 Il s'agit tout d'abord de Budget Insight, leader français de l'agrégation de données bancaires qui vient de lever 31 millions d'euros auprès du fonds américain PSG Equity, reléguant Arkéa au rang d'actionnaire minoritaire. C'était pourtant l'une de ses plus récentes acquisitions, en 2019. Même scénario, une semaine plus tard, avec la cession au fonds américain Advent de Leetchi, très populaire pour sa cagnotte, mais dont l'essentiel de sa valeur est concentré sur sa filiale Mangopay, qui a su se faire une place en or en tant de fournisseur de solutions de paiement pour les marketplaces, le segment le plus porteur de l'e-commerce.

Financeur de la Fintech

Est-ce la fin d'une époque ? Arkéa a su se faire une solide réputation dans les années 2010 de banque d'entrepreneurs, financeur de la fintech. Sur la période 2012-2017, la banque mutualiste concentrait à elle seule 30% des investissements dans la fintech française. Et son portefeuille était constitué des plus belles réussites, comme Younited, Leetchi et Mangopay, Linxo, Grisbee, Yomoni ou bien Pumpkin. Jusqu'à 15% de ses fonds propres étaient alors mobilisés pour le capital-investissement, une situation totalement atypique dans le paysage bancaire en France où ce ratio ne dépasse guère 5%.

Cette stratégie pour le moins audacieuse a été largement portée par un homme, Ronan Le Moal, directeur général, qui a quitté la banque en février 2020, sur fond de rumeurs de dissensions internes.  Son président, Jean-Pierre Denis, devait quitter le groupe un peu plus d'un an plus tard. C'est donc une nouvelle équipe qui tient désormais les rênes du groupe mutualiste, sous la houlette de son nouveau président, Julien Carmona, venu du groupe immobilier Nexity. Avec au programme, la revue stratégique du portefeuille de participations.

« Ces cessions ne sont en rien la fin d'une ambition mais elles résultent de la conjugaison de plusieurs facteurs », explique Sophie Coulon-Renouvel, la nouvelle directrice de la croissance externe, des partenariats stratégiques et du digital chez Crédit Mutuel Arkéa.

« Nous avons commencé à investir dès 2012 dans des jeunes pousses pour participer à leur développement sur des marchés en plein essor. C'était alors un véritable pari alors que cela paraît aujourd'hui comme une évidence. Mais ces sociétés ne sont pas encore matures sur leurs marchés cibles qui sont désormais européens, sinon mondiaux », poursuit-elle. Avec en face, des géants mondiaux de la Tech (GAFA...) et des paiements (checkout.com, Klarna, Paypal, Adyen, Visa, Mastercard...).

Assurer un développement européen

« Aujourd'hui, c'est bien cette réflexion sur notre capacité à accompagner le développement européen des fintechs sur la durée, avec des tickets de plus en plus élevés, mais aussi sur notre expérience propre à mener des stratégies à l'international qui nous a amené à revoir nos principales participations », résume Sophie Coulon-Renouvel.

« Nous travaillons avec beaucoup de fonds d'investissement et nous avons constaté qu'il existe une réelle expertise pour passer à l'international et cela nous a paru très pertinent de nous faire accompagner par des structures qui savent le faire », ajoute-elle.

Et ces structures sont, pour l'essentiel, des fonds américains, qui bénéficient d'une taille suffisante pour investir des dizaines de millions d'euros, voire plus, dans une société. On peut regretter au passage que les fonds français se font encore rares, au-dessus de certains montants, car ils réinvestissent peu dans les différents tours de table, faute de taille suffisante.

Un fonds doit en effet veiller à sa diversification de ses risques et, en fonction de sa taille, éviter une participation trop importante de nature à déséquilibrer son portefeuille. Et force est de constater que sur les récentes levées de fonds importantes, c'est bien les fonds américains (voire chinois avec Tencent) qui dominent.

Participations minoritaires

« Mais, nous n'avons plus besoin d'aller aux Etats-Unis pour attirer les fonds. Les capitaux américains viennent désormais à nous avec des équipes françaises. C'est un joli changement dans l'attractivité de l'écosystème de la fintech française qui s'est opéré ces dix dernières années », note cependant Sophie Coulon-Renouvel.

Pour autant, Arkéa souhaite tirer profit de ses investissements passés et conserve toujours une participation minoritaire dans les sociétés dont elle a cédé le contrôle, sans en préciser d'ailleurs la hauteur. Toutefois, Arkéa semble apparemment plus impliqué dans Budget Insight que dans Leetchi/Mangopay.

« Nous restons actionnaires minoritaires, toujours présents au conseil d'administration, pour en tirer les bénéfices financiers, mais aussi stratégiques, car la manière dont ces fintechs vont désormais se développer nous intéresse. Et puis, sous l'angle entrepreneurial, nous gardons des liens très forts avec les équipes dirigeantes de ces sociétés », confirme la banquière.

En attendant, Arkéa compte renouveler son portefeuille de participations dans des fintechs, toujours ciblées sur la transformation de la banque de détail, le B2B, et donc à « l'affût » de nouvelles opportunités, et surtout des nouvelles pépites de demain. Plusieurs annonces sont ainsi attendues sur ces participations d'ici la fin de l'année.

Reste que le désengagement d'Arkéa de fintechs à succès est un choix stratégique qui pose question sur la capacité du secteur bancaire à résister aux nouveaux entrants. Mais aussi sur la stratégie stand alone d'Arkéa au sein du groupe Crédit mutuel, dont la surface financière est bien plus importante. Certaines banques françaises ont ainsi fait le choix d'accompagner les fintechs dans leur croissance, comme BNP Paribas (Nickel) ou Société Générale (Treezor, Boursorama, Shine...).

Sang neuf

Toutefois, l'arrivée d'un nouvel actionnaire peut être positif pour les fintechs concernées pour marquer une nouvelle étape dans leur développement, tant sur le plan financier que managérial. D'autant que ces investisseurs professionnels n'ont pas forcément le même plan de marche, ni les mêmes intérêts, qu'une banque.

Ainsi, le fonds Advent injecte, en plus de sa prise de contrôle du tandem Leetchi/Mangopay quelque 75 millions d'euros. Une manne qui sera consacrée pour l'essentiel à accélérer le développement de Mangopay autour de trois priorités : l'innovation, l'internationalisation en Europe mais aussi aux Etats-Unis, et enfin, le recrutement, avec l'objectif de doubler les équipes qui ont déjà été multiplié par quatre en quatre ans, de 60 à 250 salariés aujourd'hui.

« Nous sommes les mieux positionnés sur le marché pour répondre à la complexité des flux de paiements des marketplaces », estime Romain Mazeries, directeur général de Mangopay. De fait, ce qui fait la force de la startup est d'avoir d'emblée viser les places de marché en ligne, et construit son offre en conséquence (2.500 plateformes en portefeuille), alors que les géants du paiement, comme checkout.com, commencent tout juste à s'intéresser à ce segment.

« Nous étions pionniers alors que la très grande majorité de l'écosystème était quasi exclusivement tournée sur l'e-commerce et la transaction et non, comme nous, sur la gestion des comptes de paiement via des wallets. C'est un pari aujourd'hui gagnant et notre solution en marque blanche permet à nos clients d'adapter leurs flux de paiement et son expérience utilisateur, le tout sur un même système », résume le cofondateur de Mangopay.

Enfant de la DPS2

Pour lui, le potentiel est énorme. L'offre est encore très fractionnée, non seulement par pays mais aussi par verticales ou typologies de paiement. Très présent dans l'économie circulaire (C2C), avec Vinted ou Le Bon Coin, mais aussi dans le B2C (La Redoute, Rue du commerce...), Mangopay entend se renforcer dans le B2B, encore peu digitalisé.

En 2022, Mangopay devrait traiter 13 milliards d'euros de volume de transactions et gère plus de 30 millions de vendeurs pour le compte de ses clients. On reste certes encore loin des 516 milliards d'euros de transaction d'un Adyen en 2021...

En attendant, cet enfant de la DSP2 (directive européenne des paiements permettant la banque ouverte) attend beaucoup de la révision en cours de la directive (DSP3) : un texte plus orienté fintechs de paiement que néobanque et une plus grande uniformisation européenne, notamment sur la question de la lutte contre la fraude et le blanchiment.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.