Lutte contre le blanchiment : les fintechs dans le viseur des régulateurs bancaires

N26 et Carrefour Banque sont dans le collimateur des régulateurs pour leurs manquements dans la lutte contre le blanchiment des capitaux. Ce qui sonne comme un avertissement pour l’univers des fintechs, souvent soupçonnées de prendre des libertés dans le domaine de la conformité, dont le poids est de plus en plus lourd dans l’activité des banques. D’autant que l’explosion du digital suscite un contrôle renforcé des régulateurs.
L'ACPR vient de sanctionner Carrefour Banque pour ses manquements en matière de lutte contre la fraude et le blanchiment.
L'ACPR vient de sanctionner Carrefour Banque pour ses manquements en matière de lutte contre la fraude et le blanchiment. (Crédits : ACPR)

Est-ce la fin de la lune de miel entre les fintechs et les régulateurs bancaires ? Londres avait inauguré le concept de « sandbox » (bac à sable) réglementaire en 2015 pour favoriser le développement des fintechs et le lancement de nouveaux services. En France, si la Banque de France s'est toujours refusée de suivre cette voie, elle s'est engagée à créer un guichet unique pour les jeunes pousses pour mieux les accompagner.

D'autres places financières souhaitent attirer les fintechs comme la Belgique, l'Irlande, le Luxembourg et même la Lituanie où Revolut a obtenu une licence bancaire. Si Londres a toujours été la place privilégiée de la fintech européenne, le Brexit change un peu la donne et de nombreuses fintechs britanniques sont désormais en quête d'un passeport européen.

Mais toutes les places ne sont pas logées à la même enseigne, même si les textes européens relatifs aux agréments d'établissement de paiement ou de monnaie électronique s'imposent en principe à tous. En effet, les interprétations peuvent différer d'un pays à l'autre. Par exemple, le régulateur français a la réputation d'appliquer une réglementation plus stricte en matière de fraude et de blanchiment des capitaux.

La digitalisation sous l'œil du superviseur

Mais, l'explosion des usages digitaux avec la pandémie, notamment dans le domaine du paiement, semble avoir entraîné un regain d'attention des régulateurs vis-à-vis des fintech. Le scandale de Wirecard en Allemagne en 2020, ex géant des paiements, et plus récemment, la faillite de Greensill au Royaume-Uni, ont sans doute également joué.

Déjà, le régulateur français, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), a mis le holà, début avril, sur la communication de certaines fintechs qui utilisaient abusivement le terme de « néobanque » sans disposer pour autant d'un agrément bancaire (qui permet de gérer des dépôts). Une mise au point qui a contraint certaines fintech, comme Qonto, à bannir, du jour au lendemain, le mot « néobanque » de leur communication commerciale.

Outre-Atlantique, c'est le régulateur californien qui a mis en demeure la fintech Chimesuccess story grâce à son application bancaire ultra-conviviale, de cesser d'utiliser le mot banque dans sa documentation commerciale, y compris dans son URL « Chimebank.com ». La fintech, valorisée près de 15 milliards de dollars et candidate à une prochaine introduction en Bourse, a vite promis de faire les changements demandés ! C'est aujourd'hui chose faite.

Le blanchiment en ligne de mire

Plus inquiétant pour les fintechs, les régulateurs se penchent sur la conformité des fintechs sur la question du blanchiment des capitaux. En Allemagne, le régulateur BaFin, sérieusement étrillé par l'affaire Wirecard, qui a coûté son poste à son patron, a ainsi nommé un commissaire spécial pour vérifier la conformité des mesures anti-blanchiment de banque en ligne. Une procédure extrêmement rare.

Déjà, le régulateur allemand avait mis en garde en 2019 la néobanque dans ce domaine, alors qu'elle était engagée dans une conquête effrénée de clients dans plusieurs pays européens, dont la France. Aujourd'hui, N26 compte 7 millions de clients (dont 2 millions en France) et vise une introduction en Bourse d'ici à 2023. Mais N26 se doit de mettre en place les procédures de conformité requises par la réglementation, et surtout de s'assurer qu'il dispose du personnel suffisant et qualifié pour les mettre en œuvre.

C'est au tour de Carrefour Banque d'être dans le collimateur du régulateur en France. L'ACPR vient même de lui infliger un blâme et une amende de 1,5 million d'euros sur pas moins de 12 griefs en matière de lutte contre le blanchiment et de surveillance de « personnes politiquement exposées ».

En cause, le compte courant C-zam, associée à une carte de paiement, dont la commercialisation a été stoppée au printemps dernier. Lancé en fanfare en 2017 sur le modèle du Compte Nickel, le compte C-zam affichait des objectifs ambitieux en misant sur la simplicité de l'ouverture du compte, sans justificatif autre que la pièce d'identité.

Mais Carrefour Banque a vite déchanté. Non seulement les ouvertures de comptes étaient loin des objectifs, mais la banque a été dépassée dans le suivi des clients, faute d'effectifs et de formation suffisants. Un problème qui affecte structurellement d'ailleurs les néo-banques.

Du coup, Carrefour Banque a eu bien du mal à traiter les alertes au titre de la lutte contre la fraude et le blanchiment et faisait face, selon l'ACPR, à quelque 100.000 alertes non traitées et 900 dossiers en suspens susceptibles de faire l'objet d'une déclaration de soupçon. Il faut dire qu'elle avait mobilisé qu'une seule personne pour examiner les dossiers de soupçons de fraude.

Le poids croissant de la conformité

Ces alertes, qui en succèdent à d'autres d'ailleurs, soulignent la nécessité pour les néobanques d'allouer davantage de moyens au respect des règles de conformité, surtout au fur et à mesure qu'elles gagnent des parts de marché. La conformité pourrait ainsi devenir un obstacle à leur développement, voire une barrière à l'entrée, alors que les banques consacrent des montants de plus en plus faramineux dans ce domaine, parfois 5% du produit net bancaire, comme pour le géant HSBC, qui a pourtant été fréquemment et lourdement sanctionné.

Le nombre même de personnels affectés à la conformité dans les grandes banques montrent d'ailleurs que ces fonctions sont encore exécutées à la main, à l'heure où la digitalisation semble pourtant régner en maître. Les banques avaient alors beau jeu de dénoncer les lacunes des fintech en matière de conformité.

Les fintechs sont conscientes du problème et consacrent davantage de ressources au respect des règles. Ce qui explique aussi l'essor des RegTech, ces fintechs spécialisées dans les exigences de conformité, tant dans la banque que dans l'assurance.

Citée par Finextra, Sian Lewin, co-fondatrice de Reg Tech Associates, a invité, lors de la conférence MoneyFest, les fintech à cesser de considérer les régulateurs « comme des organisations puissantes chargées de nous empêcher de faire certaines choses ». D'autant, précise-t-elle, que les régulateurs sont autant chargés de contrôler que de contribuer aux innovations technologiques au profit de toutes les parties prenantes.

De fait, les régulateurs ont commencé à s'associer entre eux pour multiplier les passerelles avec le monde des fintechs. C'est le cas notamment de l'Initiative Global Financial Innovation Network (GFIN), lancée en janvier 2009 sous la houlette du FCA britannique. Et les « bacs à sables » réglementaires favorisent les partenariats entre fintechs mais aussi entre les fintechs et les banques ou les assureurs. Reste que dans le domaine de la conformité, les fintechs devront jouer sur le même terrain que les banques. Avec, pour conséquence, une hausse irrémédiable de leurs coûts.

Lire aussi : « Fintech: c'est comme si l'économie du digital avait gagné quatre ou cinq ans d'un coup » (Guillaume Pousaz, CEO de Checkout.com)

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Commentaires 5
à écrit le 17/05/2021 à 15:54
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Les petits poissons se font attraper pas les gros.

à écrit le 17/05/2021 à 14:39
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Avec les cryptomonnaies les grandes "zinstitutions" ne sont pas au bout de leurs peines!

à écrit le 17/05/2021 à 10:14
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Et Orange bank ?

à écrit le 17/05/2021 à 8:39
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Nous sommes vraiment dans une situation d'inégalité totale vu que les millionnaires n'ont pas le droit de faire ce que font les milliardaires.

à écrit le 17/05/2021 à 7:52
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errata les fintechs britanniques sont en recherche de passeport, une fois que les problemes de peche, et autres problemes auront ete resolus sans possibilite de coup tordu pas pour tout de suite donc

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