LA TRIBUNE- Pour quelles raisons Orange a-t-il décidé de racheter la participation de 22% de Groupama et détenir 100 % du capital d'Orange Bank ?
PAUL DE LEUSSE- La principale raison de cette opération est que nous sommes dans une forte accélération du développement de la banque, avec plus de 40.000 nouveaux clients tous les mois, une présence en France et en Espagne et de nouveaux projets à l'international. Or, Groupama nous a clairement indiqué qu'il n'avait pas vocation à accompagner cette croissance tout en souhaitant rester notre partenaire commercial. C'est pourquoi Groupama sort du capital d'Orange Bank mais il se réengage parallèlement avec nous comme distributeur, avec une exclusivité sur nos produits de banque de quotidien et de crédit qui est prolongée jusqu'en 2028. Groupama restera donc un partenaire important, entre 30 et 40 % de notre production de crédit cette année, mais son poids dans l'activité va logiquement diminuer avec la croissance de notre activité.
Orange aura-t-il les moyens de financer seul la croissance d'Orange Bank alors que le groupe est déjà engagé dans de lourds investissements dans les télécoms ?
Oui, Orange a les moyens de financer seul le développement d'Orange Bank et va réinvestir dans sa filiale en réalisant une augmentation de capital de 230 millions d'euros, ce qui est très conséquent. Et pourquoi notre actionnaire s'engage à nouveau ? Car il constate à la fois notre dynamique commerciale, notre forte hausse des revenus, 57 % sur un an au premier semestre, et la baisse continue de nos coûts de gestion par client, de 35 % en trois ans grâce à nos efforts de digitalisation des processus. Nous sommes dans une trajectoire financière vertueuse, qui nous permettra d'atteindre la rentabilité d'ici à la fin 2024.
Pourquoi les discussions que vous avez engagées avec des banques pour une éventuelle entrée à votre capital n'ont-elles pas abouties ?
Nous cherchions effectivement un partenaire qui puisse prendre la place de Groupama, c'est-à-dire devenir un actionnaire minoritaire, et nous apporter des briques technologiques dont nous ne disposions pas forcément. Mais les partenaires avec lesquels nous avons discuté cherchaient à prendre le contrôle de la banque alors qu'Orange souhaitait rester majoritaire. Mais l'autre raison est que l'avantage industriel n'était pas évident. Nous souhaitons continuer d'investir dans notre plateforme de banque au quotidien, notamment les paiements qui représentent le cœur de notre offre.
Mais sur les autres briques de notre offre, que ce soit notre offre pour les professionnels, le crédit à la consommation ou les assurances, nous préférons aller chercher des partenaires qui puissent externaliser ces solutions. Et, nous nous sommes aperçus qu'il fallait mieux se tourner vers le monde de la fintech que vers celui de la banque traditionnelle pour trouver des solutions à la fois digitales, efficaces et surtout rapides à mettre en œuvre. Finalement, la grande leçon est que si nous voulons aller vite, nous ne pouvons pas tout faire.
D'ailleurs, les fintechs l'ont très bien compris et elles couvrent rarement toute la chaîne de valeur. C'est ce fonctionnement en écosystème que l'on trouve très pertinent et c'est dans cette direction que nous souhaitons aller. C'est pour cette raison que nous avons racheté la fintech Anytime sur le segment des professionnels et des PME, que nous avons noué un partenariat dans le crédit avec Younited et que nous avons lancé un appel d'offres dans l'univers de l'assurance affinitaire.
Face à certains de vos concurrents de banque digitale, votre rythme d'acquisition clients semble cependant moins élevé. Cela vous inquiète-t-il ?
Aujourd'hui, nous avons 1,6 million de clients en Europe, moitié bancaire et moitié assurance, une proportion que l'on retrouve en termes de conquête, soit environ 20.000 clients bancaires et 20.000 clients qui souscrivent une assurance. Mais nous avons surtout fait le choix de la valeur : plus de 90 % de nos nouveaux clients prennent un produit payant, un crédit, un compte bancaire premium ou une assurance, qui d'ailleurs génère bien plus de chiffre d'affaires récurrent qu'un compte bancaire de base ! Le nerf de la guerre est bien d'avoir des clients actifs avec des services payants. Nous avons ainsi fait le choix, un choix totalement assumé, de réduire la conquête de clients bancaires au profit de clients plus actifs et des services payants. Nous avons aussi réduit au passage notre coût d'acquisition par client de 25 % en trois ans !
Selon vous, qu'est-ce qui peut faire la différence entre toutes les banques digitales actuellement sur le marché ?
Tout d'abord, il y la qualité des offres. Toutes ces offres ne sont pas de qualité égale, lorsqu'on regarde notamment les indicateurs, comme le NPS (solde des avis positifs et négatifs). Sur cet indicateur, nous nous situons au-delà de 40 alors que les banques traditionnelles oscillent entre -10 et +10. Le deuxième sujet est celui de la valeur, qui est d'ailleurs liée à la qualité. La gratuité des services n'est évidemment pas tenable dans le temps. Enfin, le troisième élément, qui est pour nous un élément de différenciation fort, c'est la capacité de distribution.
Nous sommes une banque digitale mais l'entrée en relation se fait le plus souvent en boutique Orange. C'est très important car cela nous permet de toucher des clients qui ne se seraient pas engagés dans la banque digitale. Aujourd'hui, pour 100 actes commerciaux sur le mobile en boutique Orange, 35 actes commerciaux bancaires ou assurances sont réalisés. Nous avons réussi à mettre la banque dans l'acte commercial du vendeur.
Quels bénéfices attendez-vous du rapprochement de l'univers des télécoms avec celui de la banque ?
Il y a de fait une hybridation des services télécoms et financiers. Mais le plus intéressant à nos yeux est qu'un client Orange est plus fidèle quand il a aussi son compte chez Orange Bank et inversement. Les clients eux-mêmes valorisent cette hybridation. Un opérateur télécom comme Orange dispose en effet de nombreux actifs fondamentaux pour une relation bancaire : connaissance fine des clients et de leurs besoins, expérience client 100% digitale, capacité d'innovation et bien sûr un réseau de boutiques. A nous de mettre ces actifs aux services de nos clients bancaires.
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