Fintech : les leçons à tirer du dur réveil de Morning

La startup toulousaine, au bord de la liquidation, est en conflit avec son actionnaire, la Maif. Son positionnement comme « néobanque » visant le grand public n’est pas viable selon cette dernière. Bien choisir son modèle, nouer une relation de confiance avec des partenaires, et peser sa communication : voici les leçons de cet accident tirées du milieu de la Fintech.
Delphine Cuny
Les divergences entre Morning et son actionnaire portent sur le positionnement de la startup, qui a changé plusieurs fois.

Les déboires de Morning, la startup qui voulait « réveiller la banque [...] en s'appuyant sur le digital et les nouveaux modes de consommation collaboratifs », promettant de « redonner pouvoir et transparence aux consommateurs », sont-ils révélateurs de l'atterrissage brutal du milieu de la Fintech, ces startups mixant finance et technologie, après une période d'euphorie ? Pour l'instant, ses 75.000 clients ont vu leur argent bloqué, gelé à la suite de la décision du régulateur, l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR),le 8 décembre. A court de trésorerie, la startup toulousaine a mis en cause son actionnaire, la Maif, qui lui rejette la faute, faisant apparaître de profondes divergences stratégiques. Résultat : la jeune pousse, qui emploie près de 50 personnes, risque de mettre la clé sous la porte.

Dans le petit milieu de la Fintech, personne ne se réjouit de cette affaire, mauvaise pour son image, mais on s'accorde à penser que le dirigeant de Morning a « déconné » en prélevant 500.000 euros du compte de cantonnement : « irresponsable », « une énorme faute de management », même s'il n'y a pas eu de détournement de fonds et que les clients, prioritaires, vont bien récupérer leur argent - la garantie des dépôts va jouer.

« Quand on tient un discours si agressif à l'égard des banques, il faut être irréprochable et ne pas jouer avec la réglementation », fait valoir une source bien au fait de l'écosystème.

Goût de la provoc et "dogme de l'indépendance"

Car la communication très provocatrice - un peu à la Xavier Niel au lancement de Free Mobile - du fondateur Eric Charpentier, et son « dogme de l'indépendance » selon un investisseur, a visiblement aggravé les choses. « Suicidaire » selon certains, elle semble en tous cas à rebours du discours de plus en plus axé sur la complémentarité entre startups et grands groupes dans le milieu.

« Au-delà des divergences avec l'actionnaire, l'origine des problèmes de Morning, c'est surtout d'avoir attendu trop longtemps pour sa levée de fonds. Nous avons été contactés à la rentrée, c'était trop court par rapport à son cash burn [rythme de consommation de trésorerie, ndlr] » confie une source bancaire. « Nous n'avons pas creusé car le fondateur n'était pas dans une logique de partenariat et ne nous inspirait pas confiance. »

Le fondateur de Morning avait évoqué une levée de fonds de 10 millions d'euros, en plus des 5 millions récoltés il y a un an, principalement auprès de la Maif (Bpifrance nous précise avoir accordé un prêt d'amorçage et des aides à l'innovation mais ne pas être actionnaire). Il lui aurait fallu de toute évidence un investisseur plus neutre, extérieur aux métiers de la finance, un fonds de capital-risque classique. Or les fonds se montrent un peu plus frileux depuis plusieurs trimestres à l'égard des entreprises de la Fintech dans le monde entier, après une période d'euphorie.

Maif fintech Payname Morning

[Au temps de la bonne entente entre la startup et son actionnaire, octobre 2015]

Le positionnement BtoC en question

Les divergences entre Morning et son actionnaire portent sur le positionnement de la startup, qui a changé plusieurs fois. Au départ solution de paiement en ligne des services entre particuliers (du babysitter au jardinier), étendue à la vente de biens entre particuliers, puis encore cagnotte en ligne, et depuis la rentrée des services de « néobanque », une banque nouvelle génération avec carte Mastercard à débit immédiat et autorisation systématique et une appli de pilotage de ses dépenses.Cela s'appelle "pivoter", c'est très fréquent chez les startups, mais cela s'accompagne souvent d'un changement d'actionnaire.

La Maif, qui a choisi d'investir dans des startups de l'économie collaborative via Maif Avenir, ne souscrit pas à ce changement de modèle vers le BtoC (grand public), qu'elle ne considère pas viable.

« Beaucoup de fintech se posent la question du BtoB ou du BtoC : en BtoB, on atteint plus facilement le point mort, on peut engranger plus vite de gros contrats ; en BtoC, il y a plus de prise de risque » relève un bon connaisseur du secteur.

Il existe cependant plusieurs exemples de belles réussites dans le grand public, notamment en France : Compte Nickel, un « compte sans banque » que l'on souscrit en quelques minutes chez un buraliste, la cagnotte en ligne Leetchi, rachetée par Crédit Mutuel Arkéa, qui a toutefois développé en parallèle un business de solutions aux entreprises, Mangopay. Dans le paiement, Lydia semble aussi creuser son sillon. Mais il faut (beaucoup) plus de patience et cela consomme plus de cash, en dépenses marketing pour se faire connaître et acquérir des clients.

Les relations (pas si simples) entre grands groupes et startups

Certains s'étonnent que l'actionnaire et la startup n'aient pas trouvé une solution d'attente, le premier fournissant « un bridge [financement relais] de 500.000 euros » le temps de trouver un investisseur. Voire un repreneur. Car il reste difficile d'atteindre une taille critique dans ce segment grand public, même avec un excellent bouche-à-oreille. Certaines belles startups ne trouvent d'ailleurs pas d'autre issue qu'un rachat comme l'allemande Fidor par BPCE. « Il faut vraiment proposer des usages différenciants, pas seulement une version digitale. On va rentrer dans le dur et cela va faire le tri » prédit un expert du secteur.

Mais la volonté farouche du maintien de son indépendance (malgré un actionnaire, la Maif, monté tout de même à 40% du capital) de Morning n'est pas compatible avec ce scénario.

« Il est important d'être très au clair sur ses attentes dès le début et avoir une grande confiance dans l'équipe, car le parcours ne se déroule jamais comme prévu » relève un spécialiste des relations entre grands groupes et startups.

Ces mésaventures sont-elles révélatrices des relations pas toujours simples entre startups, en l'occurrence Fintech, et grands groupes ? Olivier Goy, le patron de Lendix, plateforme de financement participatif aux PME (plutôt BtoB), l'une des Fintech françaises de premier plan, remarquait récemment que les banques n'étaient pas toujours ouvertes aux partenariats. Pour autant, ce n'est pas le sentiment d'Alain Clot, le président de l'association France Fintech:

« Les relations sont plutôt bonnes entre les Fintech et les banques, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de concurrence. Quand on voit le nombre de partenariats, d'accélérateurs, etc, les relations sont bien meilleures qu'il y a deux ans ».

Et il observe, philosophe, à propos de cette affaire :

« C'est bien la preuve que les Fintech sont régulées. L'ACPR fait son travail ».

Delphine Cuny

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Commentaires 12
à écrit le 16/09/2017 à 22:44
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An RIB

à écrit le 16/12/2016 à 14:45
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Que penser des plus d'un million d'euros dépensés dans la construction de locaux flambants neuf. Dépenser tout cet argent alors que l'on en gagne pas encore est une grave faute de la part du dirigeant.

à écrit le 16/12/2016 à 11:11
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Les leçons seront tirées après. Pour le moment il s'agit de savoir si le dirigeant de Morning a enfreint l'article L 522-17 I du Code monétaire et financier ou pas. Ensuite, ce n'est que conjectures. Il est facile de sous-entendre que le but des Fint...

le 20/12/2016 à 15:26
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Je ne sais pas de quel "code" vous parlez, mais Morning a reçu un agréement de l'ACPR qui exige de protéger les dépôts de leur clients sur un compte de cantonnement. Et, voici le compte rendu de l' ACPR: https://acpr.banque-france.fr/fileadmin/...

le 21/12/2016 à 11:26
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La situation a évolué depuis vendredi. Il est exact que Morning n'est pas une banque, il s'agit d'un établissement de paiement (comme Compte Nickel) et ça n'offre aucune garantie précise. Individuellement les clients ne déposent pas non plus des mont...

à écrit le 15/12/2016 à 15:50
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Le gendarme financier a bien fait de suspendre les opérations de Morning car le dirigeant a pioché dans le compte de cantonnement où sont placés tous les fonds des clients ce qui est strictement interdit (sauf à rembourser tout prélèvement indu en ...

à écrit le 15/12/2016 à 14:01
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Quand on prône le "dogme de l'indépendance" on ne laisse pas entrer des investisseurs à son capital c'est tout simple.

à écrit le 15/12/2016 à 10:55
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Je crois que c'est assez bien résumé la situation. Maintenant avant s'enterer une société, il existe des solutions, encore faut il calmer son ego, et écouter, ceux qui peuvent apporter des solutions. Quant à ceux dont j'ai pu lire leurs posts exprima...

à écrit le 15/12/2016 à 10:29
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Bonjour, il semblerait que la garantie des dépôts ne concerne que les banques, Morning étant un établissement de paiement et non pas une banque, cette garantie ne s'appliquerait pas.

le 16/12/2016 à 11:19
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Tout à fait. Ce qui est bien indiqué sur le site de Morning. Mais je suppose que tout le monde n'est pas encore familiarisé avec les néobanques ni avec le disruptif !

le 19/12/2016 à 14:34
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Je crois que certain ne comprenne pas le mode de fonctionnement en détaille de la garantie des depot qui s'aplique uniquement aux banques et par compte ouvert dans la même banque. Une néobanque qui cantonne les dépots de c'est clients dans une ban...

le 22/12/2017 à 0:02
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@shimano : la garantie des dépôts ne s'applique pas entre banques ni entre établissements de paiement.

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