"Le matraquage contre les banques est allé trop loin ! "

Un an après son arrivée chez Mastercard, Ajay Banga a été nommé le 1er juillet à la tête du du numéro deux mondial des cartes de crédit. Dans un entretien paru ce samedi dans le quotidien belge L'Echo, il explique pourquoi, à ses yeux, les attaques de l'opinion publique et des médias contre les banquiers sont excessives. Il revient également sur la limitation, aux Etats-Unis, des commissions imposées aux commerçants lorsque les achats sont réglés par une carte bancaire.

Quelques jours après votre prise de fonction, comment voyez-vous votre rôle chez Mastercard ?

Nous en sommes à une étape importante dans l'industrie du paiement où la proportion des paiements en cash et en chèques va se réduire au fil du temps. Cela a déjà commencé dans de nombreux pays en Europe, et aux Etats-Unis. En Italie, 80% des dépenses de consommation se font en cash, au Japon de 70% à 80%, en Russie et en Inde cela représente plus de 90%. Aux Etats-Unis et en Europe, c'est un peu plus de 40%. La part de cash se réduit, mais il reste encore un long chemin à faire. La globalisation a fait évoluer le rapport avec l'argent liquide. Les gouvernements ont envie de voir les opérations en cash se réduire car le cash est inefficace. Il a des implications dans l'économie souterraine et pose aussi des questions du point du vue de la transparence fiscale. Aux Etats-Unis, l'administration a décidé que d'ici 2013 chaque paiement à la sécurité sociale se ferait par carte prépayée ou dépôt direct à la banque. Le vent est en notre faveur. C'est comme cela que je vois notre société : comme un bateau sur la mer qui doit toujours s'adapter à la direction du vent.

C'est pourtant une période agitée pour le marché des cartes de crédit et débit. Vous avez montré une forte opposition aux propositions du Sénat américain qui limitent les commissions d'interchange bancaire (versée par la banque du commerçant à celle du porteur de cartes) sur les cartes de débit. Pourquoi ?

Je tiens d'abord à dire qu'une fois que la législation sera adoptée (NDLR: le Congrès a voté la réforme financière jeudi), votre question ne se posera plus et nous devrons appliquer les nouvelles règles. Il faut avoir conscience que les systèmes de paiement créent de la valeur pour tout le monde. Si l'on se place du côté des commerçants, des études montrent que si vous acceptez les paiements par carte, vos ventes augmentent et qu'il y a moins de vols dans les magasins. Les consommateurs, eux, sont récompensés (NDLR: via des programmes de fidélité par exemple). Pour les banques, le traitement du cash engendre des coûts de personnel importants. Rien ne montre que des mesures restrictives bénéficieront au consommateur. En Australie où de telles règles ont été adoptées, les « rewards » ont été réduits, les chèques ont fait leur retour et les commissions ont augmenté.

Redoutez-vous un impact sur vos revenus ?

Nous ne gagnons pas d'argent avec l'interchange. Cela n'impacte donc pas nos revenus qui proviennent des commissions que nous chargeons aux banques. L'impact indirect pourrait être que les banques deviennent moins intéressées pour poursuivre leur activité de cartes bancaires. Mais il faudra plusieurs années pour le savoir. Pour en revenir à l'image du bateau, je ne pense pas que cela représente une tempête sur notre route.

Comment renforcer la protection des consommateurs ?

Il ne faut pas seulement raisonner en terme de régulation mais aussi en terme de besoins des consommateurs. Les paiements par téléphone mobile et le e-commerce se développent. En Inde par exemple, il y a des projets de paiements par empreintes digitales via les téléphones mobiles. Il faut être capable d'investir dans les technologies innovantes, même dans les périodes de difficultés économiques. Je consacre la moitié de mon temps à gérer nos activités et un quart à l'innovation. Le reste porte sur la diversification de nos revenus. Aujourd'hui, 45 % de nos revenus proviennent des Etats-Unis et les autres 55% de l'étranger.

A terme, à quel niveau souhaitez-vous porter la part de vos revenus tirée en dehors des Etats-Unis ?

Je ne le sais pas encore. Cela fait à peine 10 jours que j'ai pris mes fonctions ! La croissance économique provient aujourd'hui de zones géographiques différentes d'il y a 10 ans. La taille des marchés aux Etats-Unis et en Europe les rend toujours attrayants. Mais les croissances les plus fortes sont en Asie, Amérique latine, Pologne, Hongrie ou au Moyen Orient. L'Afrique sera aussi une importante source de croissance dans les 10 à 20 prochaines années.

L'Inde fait partie de ces pays émergents. Est-ce que cela explique le nombre croissant de CEO indiens à la tête de multinationales ?

Au cours des dernières décennies, beaucoup de ces compagnies ont lancé des filiales en Inde, et y ont trouvé un grand nombre de salariés avec un bon niveau de formation, qui parlaient bien l'anglais et qui étaient prêts à partir à l'étranger. Il y a une vingtaine d'années, les opportunités étaient limitées en Inde. Aujourd'hui, c'est plus dur de trouver des candidats à l'expatriation car la croissance est forte en Inde. Les Indiens qui sont partis il y a des années commencent à faire tomber les barrières et à atteindre des postes élevés dans le top management. Aujourd'hui, la plupart des Indiens qui occupent de hautes fonctions ont étudié en Europe ou aux Etats-Unis. C'est seulement maintenant que des gens comme moi, qui ont fait toutes leurs études en Inde, parviennent aussi à ces niveaux. Mais je ne pense pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec les marchés émergents.

En septembre 2009, Mastercard a annoncé 130 suppressions de postes. Envisagez-vous des réductions d'effectifs supplémentaires ?

Ce que je veux dire tout d'abord, c'est que je souhaite que nos employés aient le pouvoir de prendre des décisions. Ceux qui sont au plus proche des clients doivent recevoir de plus en plus de pouvoir pour prendre des décisions. Cela signifie que les managers doivent faire un arbitrage entre le risque et la récompense. J'appelle cela une prise de risque réfléchie. Si vous n'avez pas les connaissances suffisantes, alors adressez-vous à une autre personne qui les a. Ce qui compte aussi, ce sont les opportunités de croissance. Par exemple, nous allons ouvrir un bureau aux Pays-Bas dans les prochains mois car il y a du potentiel dans l'industrie des paiements. Je ne peux pas dire si ce que nous sommes en train de mettre en place va donner lieu à une réorganisation ou une restructuration mais, à ce stade, je n'ai pas de plan de restructuration.

Après presque 14 ans chez Citigroup, vous avez rejoint Mastercard en 2009. De nombreux banquiers sont partis à la concurrence. Est-ce que cela peut s'expliquer par la pression sur les salaires et les bonus ?

Personnellement, je suis parti parce que cela représentait la chance d'une vie. J'ai travaillé pour Nestlé, Pepsi Cola, Citibank. J'ai vécu dans 9 différentes villes en Inde, à Londres, Bruxelles, New York et Hong Kong. J'ai beaucoup d'énergie à mettre au service de Mastercard. Cela n'a rien à voir avec ce que Citibank traverse. Citibank m'a donné les meilleures 14 années de ma vie. Je pense que Vikram (NDLR: Vikram Pandit, CEO de Citibank) est un manager remarquable et qu'il est l'une des meilleures personnes pour Citi. C'est là où j'ai appris l'importance de la délégation au management local.

Ne pensez-vous pas malgré tout qu'il y a un risque de perte des talents pour les banques ?

Je crois que les changements en matière de régulation et que tout le matraquage contre les banques amené par les médias, mais aussi sous la pression de l'opinion publique sont allés trop loin. J'ai bien peur que cela entraîne un exode des talents dans le secteur financier. Les gens veulent travailler là où ils se sentent respectés et demandés. Imaginez : si à chaque fois que vous allez à une « cocktail party » et qu'à l'évocation de votre profession, le réflexe des gens est de vous tourner le dos, alors très vite vous risquez de vous remettre en question. C'est tout l'enjeu ! Les banques jouent un rôle dans la société. Elles n'ont sans doute pas joué le bon rôle au cours des deux dernières années. Nous devons tous retenir une leçon par rapport à ce qui n'a pas fonctionné. Nous devons travailler très dur pour faire du secteur bancaire un environnement meilleur.

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