La banque, maillon faible de l'Allemagne

Comment une économie aussi puissante a-t-elle pu produire un système aussi fragile? Reposant sur trois piliers, le modèle allemand a vécu, selon les observateurs: trop de banques, c'est plus donc trop de risques. Un article de notre partenaire Le Temps.
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Manque cruel de fonds propres, investissements hasardeux, management débordé, modèle éculé... Les critiques contre les banques allemandes sont nombreuses et... justifiées. Si Berlin aime vanter la baisse de son taux de chômage, la hausse de ses exportations et la chute de son déficit public, il est bien un domaine où la «locomotive de l'Europe», pour reprendre les termes de l'hebdomadaire britannique The?Economist, est à la traîne: la finance.

Une seule banque allemande figurait au mois de janvier dans le classement mondial des 50 premiers établissements financiers en termes de capitalisation boursière, établi par Relbanks. Perdue à une bien modeste 33e place, Deutsche Bank est notamment devancée par six groupes chinois et quatre enseignes... australiennes. Les investisseurs ont, il est vrai, de bonnes raisons d'hésiter à placer leurs billes dans des banques francfortoises, car la crise financière a montré les immenses faiblesses du «modèle rhénan». «Le système bancaire allemand est un des moins performants en Europe», résume Katharina Barten de l'agence de notation Moody's.

Prenez Hypo Real Estate (HRE) par exemple... L'établissement spécialisé dans le financement des projets immobiliers et des collectivités locales a affiché, jeudi dernier, un bénéfice imposable de 257 millions d'euros pour 2011, contre une perte de 859 millions en 2010. Mais les chiffres sont parfois trompeurs. Car ce groupe se contente aujourd'hui de lancer des obligations sécurisées (Pfandbriefe). Ses «actifs toxiques» qui encombraient son bilan ont été transférés à hauteur de 173 milliards d'euros vers une structure de défaisance baptisée FMS Wertmanagement, dont les pertes sont entièrement financées par l'Etat allemand. En clair, les contribuables paient les pots cassés du groupe qui a été nationalisé après le versement de 175 milliards d'euros d'aides publiques diverses et variées.

Mais HRE n'est pas le seul «vilain petit canard» de la finance allemande. Loin de là. Plombée par une dépréciation de ses titres grecs de 700 millions d'euros au quatrième trimestre et pénalisée par une exposition à hauteur de 12,3 milliards aux dettes souveraines les plus risquées de la zone euro (Portugal, Italie, Irlande, Grèce, Espagne), Commerzbank a été contrainte, le 23 février, d'annoncer une augmentation de capital de 1 milliard d'euros (1,2 milliard de francs) afin de renforcer son bilan et de se conformer aux exigences de l'Autorité bancaire européenne (ABE). «Nous ne pouvons pas être satisfaits» de cette situation, avait alors jugé Eric Strutz, ex-directeur financier de la deuxième banque allemande, dont l'Etat détient 25% des parts depuis qu'il a injecté plus de 18 milliards d'euros de fonds publics pour renflouer ses caisses.

Le démantèlement de la banque régionale WestLB devrait, quant à lui, être mis en place avant la fin du mois de juin. Lorsque cette opération sera bouclée, l'ancienne plus grande des Landesbanken du pays, qui a déjà transféré 77 milliards d'euros d'actifs à risque dans une bad bank, se contentera de fournir des services financiers aux caisses d'épargne qui contrôlent son capital conjointement avec le gouvernement de la région de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Son bilan sera alors divisé par quatre, à 45 milliards d'euros, et ses effectifs devraient être réduits de 80% pour ne pas dépasser 1000 salariés.

WestLB n'est d'ailleurs pas l'unique banque régionale en difficulté. En novembre, Moody's a dégradé d'un à trois crans la note de dix d'entre elles. Et, en décembre, l'Association bancaire pour l'euro (ABE) estimait que les banques allemandes devaient trouver 13,1 milliards de fonds propres pour passer ses tests de résistance, alors que ses estimations publiées deux mois plus tôt tablaient sur un montant de 5,2 milliards.

Si Deutsche Bank pense pouvoir ajouter à son capital les 3,2 milliards d'euros exigés par l'autorité européenne en puisant dans ses confortables bénéfices, de nombreux autres établissements devront faire appel au marché pour trouver des financements car, comme le rappelle Caroline Klein, économiste à l'OCDE, «la rentabilité des banques allemandes est faible comparée au reste du monde». Sur la période comprise entre 2000 et 2007, soit avant la crise, la rentabilité avant impôts des actifs (ROA) des groupes rhénans ne dépassait ainsi pas 0,25%, contre 0,71% en Suisse et 1,65% aux Etats-Unis.

Alors comment une économie aussi puissante a-t-elle pu produire un système bancaire aussi fragile? Le modèle allemand repose sur trois piliers. Les banques commerciales privées, qui représentent un dixième des établissements de crédit du pays et près d'un tiers du volume d'affaires, recouvrent les grands groupes comme Deutsche Bank et Commerzbank ainsi que les banques privées et les rares succursales de banques étrangères. Les banques coopératives, telles que les banques populaires (Volksbanken) et les banques de crédit mutuel agricole (Raiffeisenbanken) se sont, elles, surtout spécialisées dans le crédit à court terme. Les banques du secteur public comprennent les caisses d'épargne qui appartiennent aux administrations publiques régionales (celles des Länder) et les Landesbanken, qui sont détenues conjointement par les caisses d'épargne et les gouvernements régionaux.

Ce système a engendré une «surcapacité structurelle du secteur bancaire qui est très fragmenté, surcompétitif et peu rentable», résume Mme Klein. Le pays abrite ainsi pas moins de 1930 banques et 39?531?agences. «La part de marché des cinq plus grandes banques ne dépasse pas 30%, ce qui est très faible, calcule Sylvain Broyer de Natixis. Le gros du marché est contrôlé par des établissements de petite taille et par des banques publiques subventionnées qui sont accusées de distorsion de concurrence.» Certains «piliers» se sont toutefois montrés plus solides que d'autres quand la tempête financière s'est levée.

Les Sparkassen, qui ne se concurrencent pas entre elles puisqu'elles ne servent que les particuliers et les PME vivant dans leur région, «ont prouvé leur utilité pendant la crise car elles ont continué à offrir des crédits à leurs clients, alors que les banques privées refusaient tout nouveau prêt», souligne Isabelle Bourgeois, maître de conférence à l'Université de Cergy-Pontoise. Les banques coopératives ont aussi bien tenu le choc.

«Les grandes banques privées qui se sont longtemps contentées de travailler avec les multinationales allemandes car elles jugeaient que la banque de détail n'était pas un marché pour elles», aux dires d'un expert de l'agence Fitch, ont, quant à elles, mis beaucoup d'argent dans la banque d'investissement dans les années 1990, avec les résultats que l'on sait quand on voit les soucis de Commerzbank et la perte nette de 3,9 milliards d'euros affichée en 2008 par Deutsche Bank.

Mais les Landesbanken ont été encore plus loin en jouant aux apprentis sorciers... Créés à l'origine pour servir d'institutions centrales des caisses d'épargne afin notamment de leur conserver leurs réserves de liquidités et d'être utilisées comme chambre de compensation, ces établissements ont perdu de leur importance au fil des ans. Lorsque Bruxelles a obtenu que l'Allemagne mette fin en juillet 2005 au système de garantie publique qui leur permettait de se refinancer sur les marchés à moindre coût, ils ont voulu profiter une dernière fois de cette manne financière en empruntant massivement des liquidités. Leurs actifs investis à l'étranger ont ainsi plus que doublé entre 2005 et 2008.

«Une Landesbank nous avait appelés pour leur indiquer où investir sur les marchés structurés, se souvient un ancien consultant américain. Quand j'ai réalisé qu'ils ne connaissaient rien à ce secteur hautement spéculatif, je leur ai dit de ne pas s'y aventurer, mais ils ne m'ont pas écouté...» Ainsi, dès que la notation des produits structurés spéculatifs a été rabaissée, deux banques régionales (Sachsen Bank et LBBW) ont été contraintes de fusionner sans attendre. Et leurs concurrentes continuent aujourd'hui de payer les conséquences de leur optimisme exagéré.

Pour résoudre les faiblesses structurelles des banques allemandes, plusieurs solutions semblent envisageables. «Une consolidation des Landesbanken serait la bienvenue», pense l'analyste de Fitch. L'OCDE juge également que la privatisation de ces établissements ou leur rassemblement en une seule entité pourraient apporter des résultats positifs. Cette idée a toutefois ses détracteurs. «Marier deux éléphants malades ne donne pas un éléphant sain», tranche Henrik Uterwedde, directeur adjoint de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg.

Pour empêcher les banques de s'aventurer sur des marchés trop spéculatifs, les pouvoirs publics devraient aussi renforcer leurs instances de contrôle et mettre en place un dispositif de restructuration et de liquidation des établissements d'importance systémique. Une seule chose est sûre: «Ces réformes prendront du temps», souligne René Lasserre, directeur du Centre d'information et de recherche sur l'Allemagne contemporaine (CIRAC). «Le système fédéral a montré qu'il était incapable d'imposer la consolidation dont ce secteur a tant besoin quand la crise a éclaté, critique un expert international. Les gouvernements régionaux ont notamment toujours utilisé les Landesbanken comme un instrument politique et ils ne se sépareront pas de cet outil de leur propre chef.»

Berlin ne semble donc pas pressé de modifier son système à trois piliers. Mais «je pense que la Commission va accroître sa pression pour que les banques allemandes modifient leur modèle de fonctionnement», prédit Guntram Wolff, directeur adjoint de Bruegel, un think tank bruxellois qui conseille les autorités européennes sur leurs politiques économiques. L'UE a déjà imposé la restructuration de WestLB et la recapitalisation de plusieurs banques. Le salut de la finance allemande pourrait venir de Bruxelles...

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Commentaires 12
à écrit le 14/03/2012 à 18:02
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maillon faible de l'euro.

à écrit le 14/03/2012 à 14:57
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@Tom C'est un article du journal suisse Le Temps (comme indiqué au dessus de l'article). C'est donc pour ça qu'il y a la conversion en franc ... suisse ! Il est regrettable que même des lecteur de la Tribune ne comprennent pas immédiatement en lisa...

le 14/03/2012 à 15:41
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Désolé, je ne suis pas un spécialiste de la presse helvétique et ne connaissais donc pas Le Temps.

à écrit le 14/03/2012 à 14:24
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"...une augmentation de capital de 1 milliard d'euros (1,2 milliard de francs)" ??? Qu'entendez-vous par là ? Depuis quand 1? = 1,2 franc ? Et même si c'était le cas, quel intérêt de convertir dans une monnaie qui n'existe plus ? Vous auriez pu aussi...

à écrit le 14/03/2012 à 14:03
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j'avais cru comprendre que les entreprises allemandes se compensaient entre elles, le financement nécessaire pour s'acheter / vendre étant financé ainsi sans les banques, leur besoin de trésorerie baissait aussi, est ce vrai ? est ce une raison de la...

à écrit le 14/03/2012 à 11:05
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DB n'est plus une banque allemande, ses pratiques, ses activités, sa mentalité, ses réseaux, ses dirigeants sont de fait américains. Ce sont des banques comme DB qui ont introduit les brebis galeuses en Allemagne c'est à dire les fameux subprimes. Qu...

le 15/03/2012 à 8:54
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La France n'est pas en reste : Natixis, Crédit Foncier (ça doit faire le troisième sauvetage), Dexia, Soc Gen... avec des autorités de contrôle et de supervision émanation des politiques, parmi sans doute les plus nulles, incompétentes et couardes du...

à écrit le 14/03/2012 à 7:41
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Vision faussée . Les banques sont un service auxiliaire, comme la fourniture d'énergie, de transports et de télécommunication . Elles n'ont pas à faire d'immenses bénéfices, ni à payer des salaires monstrueux à leur dirigeants, ni à loger leurs empl...

le 14/03/2012 à 13:23
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si c'est pour préter de l'argent à M tout le monde, ok, si c'est pour prêter à un pays elle doit être hyper puissante !!!

le 16/03/2012 à 10:28
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Et pourquoi les banques commerciales empruntent t-elles à la BCE de l'argent à 1%, pour le re-prêter ensuite minimum à 3% aux états ? Ce système est confiscatoire et aliénant. Les banques dites Nationales, ou même la BCE, devraient dépendent des par...

à écrit le 14/03/2012 à 6:54
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vous avez traduit plusieurs fois le même texte dans votre article...?

le 14/03/2012 à 8:15
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