François Pérol : "Le financement de l'économie va se rapprocher du modèle américain"

A la tête du groupe BPCE depuis mars 2009, François Pérol est revenu dans "La Tribune" hebdomadaire du 13 avril sur les réformes en cours dans le secteur bancaire. Il souligne notamment les dangers de l'application de la directive Bâle III, qui va diminuer l'offre de crédit et obliger les entreprises à trouver la moitié de leurs financements sur les marchés. S'agissant de la proposition de François Hollande de séparer les activités bancaires, il estime que le modèle anglais n'est pas transposable en France, mais que la règle américaine peut convenir, à condition de laisser les banques avoir des activités de marché pour le compte des entreprises.
François Pérol, président du directoire du groupe BPCE

La Tribune - L'image des banquiers a beaucoup souffert de la crise, suscitant un fort rejet de l'opinion. Les banques ont-elles suffisamment tiré les leçons de la crise de 2008??
François Pérol - L'image du secteur financier a d'autant plus été abîmée par la crise financière que, dans certains pays, les banques ont coûté extrêmement cher aux contribuables. Aux Etats-Unis, le gouvernement est encore engagé par l'intermédiaire du plan « Tarp », (mis en place à partir de septembre 2008 pour faire face à la crise financière, ndlr) à hauteur de 124 milliards de dollars. En Grande-Bretagne, l'Etat reste investi à hauteur de 75 milliards d'euros dans ses banques. En France, la situation est très différente. Les banques ont remboursé en totalité les prêts accordés par l'Etat, lesquels étaient d'un montant beaucoup plus faible qu'aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Le plan d'aide aux banques n'aura donc rien coûté aux contribuables, sous réserve de l'issue du démantèlement de la banque franco-belge Dexia.

Selon vous, les banques françaises n'ont donc pas vraiment commis d'erreur ?
Les banques françaises ont commis des erreurs, bien sûr, mais moins que d'autres. Ceci est d'ailleurs illustré par l'ampleur des fonds publics investis dans les banques en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Les banques françaises se sont attachées à corriger leurs erreurs. Depuis 2009, elles ont beaucoup changé. Elles se sont adaptées à un rythme extrêmement rapide. Regardez le groupe BPCE et les changements intervenus en trois ans : le groupe est d'abord beaucoup plus solide, avec une augmentation de nos fonds propres durs de 40% entre de juin 2009 et à la fin 2011 ; la gestion de nos liquidités est également beaucoup plus serrée qu'elle ne l'était il y a trois ans. Sous son ancienne forme, en 2008, le groupe était engagé dans des activités spéculatives. Il ne l'est plus aujourd'hui car nous avons arrêté les activités pour compte propre. En 2008, le groupe a perdu de l'argent, il est aujourd'hui rentable, avec 2,7 milliards d'euros de bénéfices dégagés en 2011, dont plus de 75% sont réinvestis en interne. Enfin, le groupe BPCE perdait des clients, il gagne aujourd'hui des parts de marché sur ses principaux métiers.

Le fait d'être un groupe mutualiste régional vous a-t-il permis de mieux traverser l'année 2011 ?
La force d'un groupe décentralisé est de jouer la carte de la proximité de façon claire. Notre action trouve un large écho auprès de nombreux Français. Nous devons toutefois continuer à expliquer ce que nous faisons et ce que nous sommes: c'est-à-dire un groupe régional avec trente-six Banques populaires et Caisses d'épargne qui ont chacune leur bilan et leur compte de résultat, et sont administrées en région. Quand une décision de crédit est prise, elle l'est vraiment au niveau local.

Respecterez-vous les exigences de fonds propres de l'Autorité bancaire européenne pour le 30 juin 2012 ?
A la fin de l'année 2011, il nous restait 700 millions d'euros à trouver pour atteindre les exigences de l'Autorité bancaire européenne. Nous serons au rendez-vous de juin.

C'est à cette période que va être adoptée la directive transposant la nouvelle réglementation bancaire de Bâle III. Que va-t-elle changer pour les banques ?
Ces règles sont néfastes pour l'économie européenne. Tout le problème vient du ratio de liquidité : on demande aux banques, pour pouvoir accorder des crédits, de détenir un niveau élevé d'actifs liquides, essentiellement des obligations d'Etat, afin de résister à un stress puissant. Pour s'adapter, les banques ne pourront que diminuer l'octroi de crédit. Si bien que dans trois ans, l'économie européenne se financera à hauteur de 50% sur les marchés, contre 25% aujourd'hui. On va se rapprocher du modèle américain où le financement de l'économie est assuré à 60% par les marchés et pour seulement à 40% par le crédit. Le Comité de Bâle doit faire preuve d'une grande prudence : faire bouger des masses pareilles, en si peu de temps, est très risqué. La transition d'un modèle de financement intermédié par les banques à un modèle désintermédié risque en effet d'être très difficile, tant que l'Europe continentale n'a pas d'investisseurs à long terme.

Est-il possible d'attirer davantage de dépôts et d'épargne vers les banques pour répondre à leurs besoins de liquidités ?
Oui, les banques sont les réceptacles naturels de l'épargne des Français, qu'elles réinvestissent ensuite dans l'économie par le crédit. Encore faut-il que la fiscalité assure la neutralité entre les différents produits d'épargne, qu'ils soient bancaires ou non bancaires.

Alors faut-il, selon vous, réduire l'avantage fiscal de l'assurance- vie et créer un produit d'épargne bancaire fiscalement plus attractif ?
Je crois plutôt qu'il faut réserver les avantages fiscaux à l'épargne longue : ainsi, l'avantage fiscal pour l 'assurance vie devrait être associé à des durées de détention plus longues que les huit ans actuels. Quant à un produit d'épargne bancaire, pourquoi ne pas recréer le PEP, tel qu'il existait jusqu'à sa suppression en 2004 ?

Parmi les réformes souvent évoquées, il y a celle de la séparation des activités de banque d'investissement et de financement d'un côté, et de banque de détail de l'autre. Le candidat socialiste, François Hollande, le propose. Est-ce possible et souhaitable?
Sur ce sujet, des réponses très différentes ont été apportées aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Aux Etats-Unis, la règle Volcker interdit ou limite les activités dites spéculatives. Au Royaume-Uni, la règle Vickers prévoit de cantonner les activités de banque de détail dans des filiales. Cette règle est censée protéger les déposants mais elle ne s'appliquera qu'en 2019 et, en réalité, elle est faite pour favoriser le développement de la City. Elle n'interdit rien aux banques.

Ces règles sont-elles transposables en France ?
La règle Vickers est inadaptée au secteur bancaire français. Au Royaume-Uni, il n'existe plus de groupes mutualistes. En France, les mutualistes représentent entre les deux-tiers et les trois-quarts du marché. Et au sein des groupes mutualistes, c'est l'activité de banque de détail qui détient les activités de marché. Il serait possible, en revanche, d'adapter une règle Volcker en France, qui conduirait les banques à se concentrer sur les activités de clientèle, c'est-à-dire l'épargne, le prêt aux entreprises et aux particuliers, mais aussi les activités de marché pour le compte des clients, qu'il s'agisse de grandes entreprises, de collectivités locales ou même de l'Etat.

Cette séparation des activités permettrait-elle de réduire le risque ?
La réduction du risque ne passe pas par une séparation des activités mais par une capitalisation adéquate, par une gestion prudente des liquidités et par une supervision forte. Rien ne remplace ces trois éléments. Ce n'est pas parce que vous aurez séparé, cloisonné les activités, que vous éviterez le risque de faillite. D'ailleurs les banques britanniques Northern Rock et Bradford & Bingley, qui ont fait faillite pendant la crise de 2008, étaient uniquement des banques de détail. Quant à Lehman Brothers, elle était exclusivement une banque de financement et d'investissement. Je trouve donc paradoxal que le modèle français de banque universelle, qui n'a rien coûté au contribuable pendant la crise et qui a démontré son efficacité en continuant à prêter massivement à l'économie durant la crise, doive maintenant servir à des expériences de séparation, alors même qu'il a prouvé sa résilience. Ce serait un comble !

Même si l'objectif est, au final, de réduire les risques ?
Même les activités de banque de détail sont risquées ! Nous transformons des dépôts en crédits longs. Nous prenons le risque de taux que nous ne faisons pas porter sur le client puisque en grande majorité nous accordons des crédits à taux fixe. Il n'y a donc pas d'un côté une bonne banque qui serait sans risque et d'un autre une mauvaise qui serait risquée.

Allez-vous augmenter votre activité auprès des collectivités locales après le retrait du marché de Dexia?
Les Caisses d'épargne et le Crédit foncier sont les partenaires historiques des collectivités locales. Elles resteront présentes sur ce marché. Mais, nous ne nous substituerons pas à Dexia car les nouvelles règles de gestion Bâle III imposées aux banques ne nous le permettent pas. Elles nous recommandent même de ne pas le faire. Nous avons donc stabilisé nos encours de crédit au secteur public local au niveau de ceux de la fin 2010. Nous limitons de ce fait la production de nouveaux crédits à un peu moins de 4 milliards d'euros par an.

Quelle serait alors la solution pour financer les collectivités locales ?
Nous plaidons pour la création d'une agence de financement des collectivités locales qui leur permettrait de mutualiser leurs besoins de financement pour aller sur les marchés. Nous soutenons par ailleurs la création imminente, dans l'orbite de la Caisse des dépôts, d'un financeur des collectivités locales contrôlé par l'Etat.

Est-il souhaitable de créer aussi une « banque des jeunes » publique, comme le propose Nicolas Sarkozy, dans le cadre de la campagne présidentielle ?
Parfois, les dispositifs publics sont utiles quand ils peuvent corriger les imperfections du marché. Si cela se fait en bonne intelligence avec le secteur bancaire, c'est bien. Par exemple, nous sommes le premier partenaire d'Oséo en cofinancement de prêts aux TPE et PME. Mais il ne faut pas que les décideurs politiques prennent le pas sur les décideurs privés en matière de crédits. La banque, qui prête l'épargne qu'elle collecte auprès de ses clients, doit pouvoir décider les risques qu'elle prend. Au fond, nous ne sommes hostiles à aucune initiative. Nous sommes un des groupes bancaires les plus performants en crédits et en collecte, et nous continuons de progresser. Pour les jeunes, par exemple, nous avons lancé récemment avec les Caisses d'épargne un forfait à un euro qui permet, jusqu'à 25 ans, d'avoir un compte bancaire pour un euro par mois. Nous lancerons une nouvelle offre destinée aux étudiants en juin pour les Caisses d'épargne et en juillet pour les Banques populaires.

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Commentaire 1
à écrit le 06/05/2012 à 21:31
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lmais que deviendrons les salaires de tous les salaries?

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