Procès Kerviel : "Comment se fait-il que vous ayez perçu 750.000 euros en tant qu'insuffisant professionnel ? "

La septième journée du procès en appel de Jérôme Kerviel a commencé ce lundi 18 juin. La présidente de la Cour, qui n'a jusque là pas ménagé l'ancien trader, condamné le 5 octobre 2010 à cinq ans de prison, dont trois fermes, ainsi qu'à 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts, entend aujourd'hui différents témoins à la barre, dont les anciens supérieurs de Jérôme Kerviel.
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Jérome Kerviel est sous le coup de trois chefs d'accusation : abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système de traitement automatisé, faux et usage de faux. Son procès en appel a commencé lundi 4 juin. Suivez en direct la septième journée d'audience couverte par notre journaliste Laura Fort, avec les clés pour comprendre le procès. Retrouvez le compte-rendu de la première journée d'audience, le compte-rendu de la deuxième journée d'audience, le compte-rendu de la troisième journée d'audience, le compte-rendu de la quatrième journée d'audience, le compte-rendu de la cinquième journée d'audience et le compte-rendu de la sixième journée d'audience.

Lundi 17 juin

16h45 "Comment se fait-il que vous ayez perçu 750 000 euros en tant qu'insuffisant professionnel ?"

Martial Rouyère, ancien N+2 de Jérôme Kerviel entendu comme témoin, s'éponge, pendant que Me Jean Reinhart, avocat de Société Générale, s'avance pour l'interroger.
Me Jean Reinhart : Quel est votre état d'esprit lorsque vous accueillez Jérôme Kerviel au bas de la Tour Société Générale en janvier 2008 ?
Martial Rouyère : Tout le monde était dans un état d'hébétude assez poussé. Et pour nous, l'objectif était que J. Kerviel accepte de revenir à la Tour. Moi j'étais très inquiet.
Pendant ce temps-là, Me Jean Veil, avocat de la banque, est monté au « poulailler » rendre visite aux journalistes, installés à cet endroit.
JR : Est-ce que vous pouvez dire si J. Kerviel a été ou non coopératif ?
MR : J. Kerviel était très intimidé, parlait tout bas. Les réponses ne nous ont pas aidé au départ.
Me François Martineau s'avance pour poser à son tour une question : Est-ce que J. Kerviel a l'attitude de quelqu'un qui n'a rien à se reprocher lorsqu'il arrive à la Tour ?
Martial Rouyère : C'était l'attitude de quelqu'un de complètement effondré et terriblement gêné.
Me Jean Reinhart reprend la main : Quels seraient les qualificatifs que vous attribueriez à J. Kerviel avant le 18 janvier ?
Martial Rouyère : Quelqu'un de sérieux, coopératif, inventif, impliqué.
La présidente de la Cour intervient : Il peut être impliqué puisqu'il ne partait pas en vacances... MR : Tout le pôle était dans une situation de déficit de ressources. Lui prenait beaucoup moins de vacances que les autres mais tout le monde prenait peu de vacances, donc ça ne m'a pas alerté.
Me J. Reinhart : Est-ce que vous avez eu peur à un moment pour la survie de la banque ?
MR : Je ne peux pas dire qu'on n'a pas eu peur.
JR : Dans quelles conditions avez-vous quitté la banque ?
MR : J'ai été licencié.
L'avocat général : Avez-vous été alerté de l'importance des positions de J. Kerviel qui transitaient par Fimat (ex-Newedge, filiale de courtage de la banque) ?
MR : Non.
La présidente de la Cour reprécise la question et insiste pour savoir s'il n'a jamais eu vent des transactions avec Fimat.
MR : Je n'étais ni trader ni superviseur direct, donc non.
C'est au tour de la défense d'interroger le témoin. Me Julien Dami Le Coz demande à Martial Rouyère de lui confirmer qu'il considère le mail à en-tête Deutsche Bank comme une « pré-confirmation ».
MR : Oui, après le vrai contrat est celui qui est inscrit dans le back-office.
Me Le Coz : Vous avez caractérisé Eliot [système d'information qui répertorie toutes les opérations passées par le front-office, ndlr] comme une jungle.
MR : Oui, pour retrouver une donnée.
Me David Koubbi prend sa suite, demande qu'on lui prépare le matériel de projection, et déclare : On a vu M. Cordelle ce matin, qui nous a dit qu'il n'entendait ni ne voyait ce qui se passait. En quoi consistait alors votre travail de supérieur hiérarchique, puisque vous ne tradiez pas et que vous ne supervisiez pas ?
MR : J'avais un rôle sur les grosses transactions, j'aidais les fonctions support à mettre en place un certain nombre de choses et améliorer toute la partie technique.
DK : Vous avez été licencié pour insuffisance professionnelle. Ca vous semble juste ou injuste ?
MR : On ne trouve jamais juste d'être licencié. Mais j'avais une obligation de résultats et ça a été catastrophique.
DK : Que n'avez-vous pas fait que vous auriez dû faire ? C'est quoi cette insuffisance ? Qu'est-ce que la Société Générale vous a reproché ?
MR : A un moment il n'était plus souhaitable que je sois cadre de la Société Générale. Il aurait peut-être fallu que je sois plus présent, que je forme mieux Cordelle, que je contrôle les opérations, même si ce n'était pas mon rôle.
DK : Pourquoi vous dites que c'est touffu, le système Eliot ; Mais on peut faire des requêtes ?
MR : Oui bien sûr on peut faire des requêtes.
Me Koubbi montre alors une copie d'écran du système de requête d'Eliot.
MR : Si j'avais vu l'information, il aurait fallu lancer une requête, oui.
DK : Comment ça se fait qu'avec un cataclysme comme ça, vous perceviez 7 ans de salaire fixe, 750 000 euros, alors que vous êtes un insuffisant professionnel ?
MR : J'ai dit à la Société Générale la chose suivante : Je comprends, je ne demande rien, si ce n'est les différés de bonus qui m'auraient été dus si j'étais resté, liés aux années antérieures. Et il y avait les indemnités légales. Pour 2007, je n'ai rien touché.
Claire Dumas, représentante de la banque, est appelée pour préciser ce procédé : Les montants différés sont conditionnels. L'étalement se fait sur trois ans.
La présidente : Et en cas de licenciement, qu'est-ce qui se passe ?
CD : Ca dépend des conditions et du motif du licenciement.
Me Koubbi reprend la main : Si vous aviez voulu aider votre ancien subordonné, vous auriez pu ? Ce n'est pas le prix du silence au moins ?
Martial Rouyère : Le protocole de licenciement a été négocié avec les avocats en droit social de la banque, qui ne sont pas là. Je n'ai reçu aucune directive de la part de la Société Générale.
La présidente insiste : Est-ce que c'est le prix du silence ?
MR : Le fait de signer un accord comme celui-là ne vous lie que si vous ne voulez pas subir les conséquences.
DK : Qu'est-ce qui se passe si vous parlez ?
MR : Je dois rendre l'argent.
DK : Dire ce que vous savez sur J. Kerviel, est-ce que ça vaut 750 000 euros, c'est la question.
 

 

15h15 "Là, on est entrés dans une autre dimension"

La Cour entend maintenant Martial Rouyère, ancien N+2 de Jérôme Kerviel et chef du desk Delta One, comme témoin. Il est aujourd?hui consultant.
Costume sombre, chemise à carreaux et cravate bleu marine, il déroule son parcours à la Société Générale, l?air sûr de lui et le débit rapide. Il était arrivé début 2006 au desk Delta One.
Mireille Filippini, la présidente de la Cour, l?interroge : Vous aviez combien de personnes sous vos ordres ?
Martial Rouyère : Une dizaine quand je suis arrivé, un peu plus de 25 quand je suis parti.
MF : Qu?est-ce que vous pouvez nous dire des limites ?
MR : L?objectif du trader est de générer du revenu sous des contraintes de risques. On regarde les limites de manière un peu globale, elles sont surveillées essentiellement le soir. On en discute par oral, par écrit, nul ne peut prétendre ne pas les connaître.
MF : Quelle était la limite de risque pour le desk ?

 

...

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Et retrouvez notre dossier spécial sur l'affaire Kerviel, les clés pour comprendre le procès (noms, définitions), les analyses de Valérie Segond et de François Lenglet après le verdict de 2010, ce que sont devenus les protagonistes de l'affaire, les plaintes déposées par Me David Koubbi (avocat de Jérôme Kerviel) et par Me Jean Veil (avocat de Société Générale), le témoignage de l'ancienne conseillère en communication de Jérôme Kerviel, et le contexte politique dans lequel s'inscrit le procès.

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