Comment Cetelem a révolutionné son métier

Par Laura Fort et Sophie Péters  |   |  1466  mots
© Frédéric Atlan Siège de Cetelem
Cetelem, filiale dédiée au crédit à la consommation de BNP Paribas, a dû se transformer et se diversifier pour survivre. Une mutation entamée il y a huit ans qui se fait certes à marche forcée, mais bien cadencée.

Désormais ce ne sont plus uniquement des crédits à la consommation que vend Cetelem. L'an dernier, la marque phare de BNP Paribas Personal Finance s'est lancée dans la vente de produits d'épargne et d'assurance, gage de la poursuite de sa bonne santé financière. Une mutation débutée en 2008, au moment où le marché du crédit à la consommation s'est trouvé de plus en plus bouleversé. "Avec la crise de 2008 il y a eu un resserrement de la politique d'octroi, une augmentation du coût de la liquidité, et la disparition de plusieurs concurrents. Autant d'éléments qui nous ont amenés à réfléchir et à aller plus loin dans notre plan de transformation", raconte Isabelle Chevelard, directrice de Cetelem France. Cette entité réalise aujourd'hui encore 79% de son activité sur le crédit à la consommation, et 21% sur le crédit immobilier. Et gère 57 milliards d'euros d'encours pour le compte de 2.5 millions de clients. Les nouvelles mesures liées à la loi Lagarde, entrée en application en mai 2011, qui instaure entre autres une baisse de la durée des crédits renouvelables et un encadrement de leurs taux d'intérêt, ont également fortement impacté les marges des acteurs de ce marché.

Baisse de la consommation

Mais l'atonie du marché provient aussi d'une baisse de la consommation, liée au contexte de crise et de diminution du pouvoir d'achat. Les ménages cherchent par conséquent à se désendetter, plus qu'à souscrire du crédit pour consommer.
Au final, l'Association française des sociétés financières indique que la production de crédit à la consommation a plongé de 9,3%, en France, au cours des cinq premiers mois de l'année 2012, après un repli de 0,4% en 2011.
Dans ce contexte, certains des acteurs de ce marché, comme Laser Cofinoga et Crédit Agricole Consumer Finance, ont dû se résoudre à mener des plans de réduction d'effectifs.
Cetelem a, pour sa part, commencé à transformer son business model, en commercialisant d'autres produits que le crédit à la consommation. Les conseillers de l'entreprise au petit bonhomme vert sont aujourd'hui à même de vendre des livrets d'épargne (compte épargne Cetelem, livret A) et de l'assurance vie. Mais aussi de la prévoyance, et de l'assurance auto et habitation. Des produits généralement proposés sous la forme de ventes croisées avec le crédit, sachant par exemple que 3 milliards d'euros de crédits octroyés sont liés à l'auto. Soit une véritable opportunité de doubler ces crédits d'une assurance auto, que Cetelem a lancé en octobre dernier avec Direct Assurance.

Préserver la rentabilité

Objectif de cette diversification produit : préserver la rentabilité de l'entreprise et fidéliser le client au-delà de la durée de son crédit. Car Isabelle Chevelard remarque que "les clients sont aujourd'hui plus exigeants et plus zappeurs. Mais aussi plus anxieux face au crédit". L'idée est de faire en sorte qu'un client venu souscrire un crédit à la consommation par opportunisme, reste dans la maison parce qu'il aura souscrit un produit d'épargne ou d'assurance, plus engageant. En 2011, 12 000 clients avaient souscrit à un produit d'épargne, 14 000 à des produits de prévoyance ou d'assurance. Et Cetelem vise la commercialisation de 80 000 contrats souscrits hors crédits pour l'année 2012.
En dernier ressort, l'avantage du multi-équipement des clients consiste aussi à mieux piloter leur profil de risque : "cela va diminuer les risques et nous permettre d'être encore plus dans la finesse sur nos propositions de taux de crédit", précise Isabelle Chevelard.
Les conseillers ont donc dû s'adapter à la vente de nouveaux produits, ainsi qu'au modèle de vente à distance, et aux nouveaux comportement des clients : "Avant, nous traitions des flux d'appels entrants et tout le monde considérait la relation client comme acquise et confortable. Aujourd'hui, le rôle du conseiller est plus complexe et se fait plus en finesse. En l'espace de huit ans nous avons révolutionné notre façon de travailler", ajoute Isabelle Chevelard.

Revoir le modèle de vente

Un rôle d'autant plus important que l'entreprise est passée d'une logique produit à une logique client. L'objectif n'est plus de vendre un crédit mais plutôt de fidéliser un client à la sortie du crédit en lui proposant de l'épargne et de l'assurance. Garder le lien devient donc l'élément essentiel de la relation client, bien plus que l'acte de vente. Sans compter que la notion de "crédit responsable", apparue en 2004 et renforcée par la Loi Lagarde, a imposé de mieux connaître les clients. Une notion qui a bouleversé la psychologie de la vente de crédits à la consommation puisqu'elle signifie que désormais les conseillers ne doivent plus "vendre" un crédit à tout prix mais aussi savoir le refuser dans certaines circonstances pour prévenir des clients du désendettement.
Le programme de transformation a donc débuté en 2009 avec la fermeture des 80 agences physiques qui sont devenues des "centres de relations client". Les commerciaux ne voyant plus les clients, ont dû gérer, avec tous ces bouleversements, un véritablement changement de paradigme de leur métier. "Ce n'est pas parce qu'on ne voit pas le client qu'on ne peut pas le conseiller de la bonne façon. Mais pour cela il nous a fallu investir beaucoup dans les systèmes informatiques mais surtout dans la conduite du changement, c'est-à-dire bien expliquer pourquoi cette évolution dans la façon de travailler était nécessaire et aussi élever le niveau de compétences de nos collaborateurs", raconte Isabelle Chevelard.
Première étape : rassurer les collaborateurs sur le niveau de rentabilité des produits en leur faisant valoir que ces nouveaux territoires renforceraient la compétitivité de l'entreprise et lui permettraient de garder ses clients.
Deuxième étape : leur apprendre à modifier leur approche des clients. "Avant on posait des questions aux clients pour appréhender le risque. Aujourd'hui on tente de connaître leurs projets et on leur fait valoir notre capacité à les financer. Nous investissons dans le lien sur un long terme", précise la directrice.

Redonner confiance aux clients

D'où une troisième étape qui consiste à redonner confiance aux clients pour pouvoir mieux les fidéliser. D'abord par tout ce qui concourre à construire une meilleur image du crédit. Ensuite par le fait que les commerciaux travaillent de près l'approche budgétaire de leurs clients. Un levier majeur qui permet à Cetelem de faire valoir que son bonhomme vert est capable de les accompagner sur le long terme. Y compris parfois les clients dits "fragiles". Là encore une petite révolution de palais chez des commerciaux plus habitués à traquer le client "limite" qu'à le soigner. "Trois jeunes sur quatre sont en CDD. Si on veut être accessible, on ne peut pas se permettre de les écarter. D'ici un an nous prévoyons d'avoir un système informatique plus expert pour encore mieux considèrer cette clientèle", avance la patronne. Reste que les commerciaux sont, eux, encore réticents à aller vers un terrain qu'ils jugent trop risqué. De même qu'ils sont encore peu enclins à accepter un coup de fil qui "ne donne rien" ou à mieux considérer les clients dits "fragiles" qu'un accident de la vie aura momentanément écarté de leur route.

"Entreprendre ensemble"

Les 400 managers de proximité, en majorité des moins de quarante ans, très sollicités au cours de cette transformation, se sont vus dotés de nouveaux moyens managériaux pour accompagner la dizaine de commerciaux qu'ils encadrent chacun. De façon hebdomadaire, ils réunissent leurs troupes pour expliquer la stratégie et mettre en cohérence les pratiques. Et dès la rentrée, ils seront invités à travailler ensemble dans une démarche de co-développement baptisée "Entreprendre ensemble". Une démarche qui doit selon la direction "leur permettre de comprendre leur rôle d'accompagnement, et passer de la logique du reporting (les résultats) à celle de la méthode (du "comment je fais pour être plus performant")". Résultat : le système d'évaluation n'est plus le même. Exit le nombre de coups de fils passés, désormais comptent la qualité de la relation client et la dynamique de proposition. Un "chargé d'appui commercial" veille à accompagner sur site les commerciaux dans la mutation de leur métier qui d'ici 5 ans devraient se vivre comme "conseillers".
A force d'élargir le champ de compétences de ses collaborateurs et la gamme de ses produits, Cetelem pourrait-elle devenir une banque à part entière et concurrencer ainsi sa maison mère BNP Paribas ? Pour l'heure sa directrice générale s'en défend. Il faut dire que le pilotage de cette grande mutation ne fait que commencer.