Panama Papers : la situation paradoxale des lanceurs d’alerte dans la finance

Jeudi 7 avril, Force ouvrière (FO) Banques a publié une lettre adressée à François Hollande, dans laquelle le syndicat demande au président de la République de mettre en place rapidement une protection des lanceurs d’alerte dans le secteur bancaire. Une requête qui s’inscrit dans le contexte du scandale mondial d’évasion fiscale dit des « Panama Papers », dans lequel plusieurs banques sont épinglées, dont la Société générale.
Christine Lejoux
Le projet de loi Sapin 2 vise à mieux protéger les lanceurs d'alerte, notamment en préservant leur anonymat.

Contrairement à Edward Snowden, l'informaticien qui avait révélé en 2013 le scandale des écoutes américaines, la source à l'origine de l'affaire des « Panama Papers » tient à garder l'anonymat. « Notre source a peur », a expliqué dans l'émission Cash Investigation, diffusée mardi 5 avril sur France 2, Bastian Obermayer, l'un des deux journalistes du Süddeustche Zeitung qui s'étaient vu remettre dix mois plus tôt des millions de documents relatifs à ce scandale planétaire d'évasion fiscale. C'est qu'il en coûte d'être lanceur d'alerte, d'une façon générale et sans doute encore plus dans la finance, compte tenu de l'importance des sommes en jeu. Les cas d'Hervé Falciani et de Stéphanie Gibaud le prouvent.

Le premier, ancien informaticien de HSBC, avait donné en 2009 les noms de milliers d'évadés fiscaux détenant des comptes dans la filiale suisse de la banque sino-britannique. Des informations qui avaient permis au fisc français de récupérer plusieurs milliards d'euros. Sept ans plus tard, la vie d'Hervé Falciani est tout sauf un long fleuve tranquille : l'homme - au demeurant Français et domicilié dans l'Hexagone, ce qui rend impossible une extradition vers la Suisse - a été condamné en novembre dernier à cinq ans de prison par la justice helvète, qui l'a jugé coupable d'espionnage économique.

Stéphanie Gibaud devra débourser encore de 8.000 à 10.000 euros pour se défendre

La situation de Stéphanie Gibaud n'est pas plus enviable. Cette ex-cadre d'UBS a dénoncé les pratiques de la banque suisse en matière de fraude fiscale, permettant, elle aussi, au fisc français de récupérer des milliards d'euros. Loin d'avoir retiré le moindre bénéfice de son action, Stéphanie Gibaud vit depuis deux ans avec les minima sociaux, et se trouvait, lors de son passage dans Cash Investigation, sur le point de devoir quitter son appartement, faute de moyens. « J'ai l'impression d'être le martyr de la situation (...). J'ai évidemment été licencié par UBS, et je n'arrive pas à retrouver d'emploi car je fais peur (...). Je me sens abandonné de tous », a expliqué Stéphanie Gibaud, dans l'émission. Et en particulier de « l'Etat français », avait-elle précisé dans une tribune publiée le 24 mars sur le site d'informations Mediapart. A nouveau poursuivie en diffamation par UBS, Stéphanie Gibaud devra débourser encore de 8.000 à 10.000 euros, l'an prochain, pour se défendre. Le tribunal des Prud'hommes lui avait certes accordé 30.000 euros de dommages, mais cette somme avait juste couvert ses frais d'avocat.

« J'ai aidé l'Etat (français) à mettre la main sur plusieurs milliards d'euros et il me laisse en survie, incapable de payer de tels montants. Comment cela est-il possible ? Est-ce cela, la Démocratie ? », s'indigne Stéphanie Gibaud sur Mediapart. Le syndicat Force ouvrière (FO) Banques lui a fait écho ce jeudi 7 avril, en publiant une lettre adressée la veille à François Hollande. Dans leur missive envoyée au président de la République, Sébastien Busiris et Pascal Lagrue, respectivement responsable et adjoint de la fédération FO Banques et sociétés financières, souhaitent « que soit rapidement mis en place un dispositif permettant aux salariés des banques d'être lanceurs d'alerte et de bénéficier, à cet effet, d'une protection pleine et entière, (...) juridique, financière et physique. » Les deux responsables syndicaux ajoutent que « les salariés des banques souhaitent être protégés et accompagnés dans leur volonté de moralisation d'une profession qui en a bien besoin ». Une allusion à peine voilée à la Société générale, épinglée dans l'affaire des « Panama Papers. »

La question de la rémunération des lanceurs d'alerte

Egalement invité dans Cash Investigation mardi soir, le ministre des Finances, Michel Sapin, a dit « comprendre tout à fait » que la situation de Stéphanie Gibaud soit considérée comme « paradoxale et injuste». C'est précisément parce que le traitement actuel des lanceurs d'alerte est « insatisfaisant », de l'aveu du ministre, que le projet de loi Sapin 2, présenté en Conseil des ministres le 30 mars, vise à renforcer leur protection, a rappelé Michel Sapin. Ce projet de loi prévoit la création d'une agence nationale de prévention et de détection de la corruption, qui pourra informer les lanceurs d'alerte sur la protection juridique dont ils peuvent bénéficier. Et, surtout, recueillir leurs informations en toute confidentialité et aller en justice à leur place, afin de leur permettre de préserver leur anonymat, ce qui est très compliqué en l'état actuel des choses. L'agence pourra également prendre à sa charge les frais de contentieux, souvent considérables, engagés par les lanceurs d'alerte pour se défendre en cas de poursuite pour dénonciation calomnieuse.

Enfin, le projet de loi mettra en place « un régime spécifique » de protection des lanceurs d'alerte signalant des infractions à l'Autorité des marchés financiers (AMF) et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), le gendarme du secteur bancaire. Quant à rémunérer les lanceurs d'alerte, c'est encore un autre sujet. « En France, la loi ne permet pas de rémunérer quelqu'un qui aurait donné des informations fiscales », a souligné Michel Sapin, dans Cash Investigation. « Je souhaite qu'on puisse évoluer sur ce point », mais « dans un cadre très précis », a néanmoins ajouté le ministre. Les Etats-Unis n'ont pas ces pudeurs. Début mars, la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américaine, a versé 750.000 dollars à Eric Hunsader, fondateur de la société d'analyse de données boursières Nanex. Ce dernier avait aidé la SEC dans une enquête sur le trading haute fréquence, permettant au gendarme des marchés américains d'infliger en 2012 une amende de 5 millions de dollars aux auteurs de la fraude en question.

Christine Lejoux

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Commentaires 12
à écrit le 08/04/2016 à 16:15
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J'ai signalé au Président de l'AMF que des sociétés cotées, l'AMF elle-même (dont la mission est d'informer et de protéger les épargnants), des professionnels (banques , commissaires aux comptes...) ne respectaient pas le principe de l'égalité entre ...

à écrit le 08/04/2016 à 15:12
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Il s'agit toujours de faire la différence entre la justice, le droit et la morale... et j'hésite à mettre des majuscules quelque part

à écrit le 08/04/2016 à 11:09
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Quelle est la différence entre balance, indic , et leurs noms modernes "lanceurs d'alerte". Je ne vois pas bien. Simplement l'augmentation de la transparence des activités doit faire reculer le recours à ce genre de personnes qui une fois leur balanc...

à écrit le 08/04/2016 à 10:29
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un pirate informatique qui se fait du fric avec des documents piratés distillés au compte goutte et des journaux partisans qui font le tri des info. Si vraiment c'était une histoire "d'alerte", alors il aurait tout divulgué d'un bloc au public. L'aff...

à écrit le 08/04/2016 à 10:07
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Nom d'une pipe! Il ne manquerait plus qu'on protège les honnêtes gens, mais ou va-t-on !!!

à écrit le 08/04/2016 à 6:54
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Dormez tranquille bonnes gens, on s'occupe de tout. Il serait intéressant d'élaborer quelque peu sur la valeur juridique du 'confidentiel' en question. Ceci étant, la hausse des impôts doit vous réjouir, de moins en moins à toujours payer plus, quel...

à écrit le 07/04/2016 à 21:07
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Les journalistes ,les juges , les politiques tous délateurs

le 07/04/2016 à 23:47
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Et les autres? Tous contribuables...

à écrit le 07/04/2016 à 20:07
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Pourquoi ne pas créer une fondation éthique, citoyenne et participative pour aider les lanceurs d'alerte sur le plan financier. Ce serait légitime pour soutenir des personnes qui agissent avec beaucoup de courage pour l'intérêt de tous. Si cette idée...

à écrit le 07/04/2016 à 19:30
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Où se termine le lancement d'alerte et où commence la délation ? Et comment prend-on en compte le caractère souvent franchement délictueux ou frauduleux de l'opération (de vol, d'intrusion dans un système informatique...) qui permet de soustraire les...

à écrit le 07/04/2016 à 18:27
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"Lanceur d alerte" sont avant tout des voleurs de documents confidentiel et à ce titre ils est normal qu'ils soient poursuivi et condamné à de la prison comme en Suisse. Il faut savoir à quoi on s'engage quand on détourne des documents. Pour ma part ...

le 07/04/2016 à 23:49
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Des voleurs dites vous? Je distingue le vol dans ce dossier, mais nous n'avons manifestement pas la même vue.

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