Le bitcoin s'est-il définitivement émancipé des vents contraires ? Toujours aussi volatile depuis sa création en 2009, au lendemain de la crise financière, la cryptomonnaie star, s'achemine cette semaine vers le cours symbolique de 70.000 dollars, bien plus désormais que le prix d'un kilo d'or (près de 59.000 dollars). Son cours a grimpé de 21% en un mois, selon le site Bitstamp et la cryptomonnaie a même gagné 450% depuis le début de l'année.
Rien ne semble arrêter son envolée, pas même la récente décision de la Chine d'interdire de produire cette monnaie sur son sol (alors et qu'elle représentait jusqu'ici deux tiers du « minage ») et même d'en échanger. Ni les volontés réaffirmées aux Etats-Unis ou en Europe de réguler les cryptomonnaies, bitcoin en tête, dont la substance même est pourtant de s'extraire de toute autorité centrale. Au contraire, les cryptomonnaies s'installent dans le patrimoine financier des ménages, irriguent les allocations d'actifs des portefeuilles des investisseurs institutionnels et attirent tous les acteurs de l'industrie financière, y compris des géants des paiements, comme Visa ou Mastercard.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette étonnante conversion d'une monnaie pour « geek » et spéculateurs à une valeur refuge, dans laquelle nombre d'épargnants, y compris les « family offices » des plus riches, placent une partie de leurs actifs.
L'arme contre l'inflation
« Les gens font plus confiance à l'algorithme du bitcoin et aux mathématiques qu'aux décisions des banques centrales », résume un ardent partisan de la monnaie cryptée. D'autant que, contrairement au dollar ou à l'euro, le volume d'émission du bitcoin est fixé, dés le départ, à 21 millions d'unités, sans aucune possibilité d'y déroger.
D'où cette idée qui commence à faire son chemin que le bitcoin constitue une excellente protection contre l'inflation, l'ennemi juré d'un patrimoine financier.
C'est pourquoi aussi le bitcoin est largement privilégié dans les patrimoines par rapport aux autres cryptomonnaies, qui n'ont pas de limite à l'émission. Le bitcoin représente en effet plus de 40% de l'ensemble des actifs numériques en circulation, soit un total de 1.200 milliards de dollars de « capitalisation ». L'ether reste le second actif numérique le plus valorisé, soit 18% de la capitalisation totale, avec plus de 560 milliards de dollars en circulation. Sa promesse est différente de celle du bitcoin, c'est-à-dire d'accompagner le développement des NFT, les jetons non fongibles qui opèrent des transactions ou des actions de manière sécurisée et automatisée.
Mieux, comme le bitcoin n'a jamais réussi à s'imposer comme une monnaie de transaction, le phénomène de thésaurisation accroît mécaniquement sa valeur. En clair, alors qu'il se créé de moins en moins de bitcoins, l'afflux de cash ne peut que faire monter les cours. Une raison de plus pour spéculer à la hausse.
Car, et c'est le grand tournant observé ces derniers mois, l'appétit des particuliers pour le bitcoin gagne désormais les investisseurs institutionnels et obligent les grands intermédiaires - banques, courtiers, hedge funds- à s'y intéresser. Ainsi, en octobre dernier, pour la première fois, un fonds indiciel adossé au bitcoin et coté à Wall Street.a été lancé. Succès garanti auprès des investisseurs et cet ETF est en passe de pulvériser tous les records de collecte pour un ETF lancé cette année. Un ETF est un tout un symbole : il consacre l'institutionnalisation du bitcoin. Il ne manque plus à la panoplie que des produits dérivés pour couvrir les aléas des cours...
De New York au Salvador
Le succès du bitcoin entraîne celui des autres cryptomonnaies, à l'exception de celles trop exotiques, comme le Dogecoin, présenté dès le départ comme une farce. Plus de 10.000 alternatives coins (altcoins) se bousculent ainsi sur un marché actuellement valorisée à 3.000 milliards de dollars, selon le site CoinGecko. De nombreux projets liés à la technologie Blochchain suscitent également l'enthousiasme des investisseurs pour la finance décentralisée ou les NFT, qui y voient la finance de demain.
Même les politiques s'en mêlent ! Le maire démocrate pro-bitcoin de New York a annoncé le lancement d'une cryptomonnaie locale adossée au protocole Bitcoin pour positionner sa ville sur le sujet et tenter de pallier la décroissance du secteur financier. A l'échelon national, le Salvador a même récemment entièrement adoubé le bitcoin comme monnaie légale, surtout pour faciliter les transferts d'argent de la diaspora salvadorienne.
Les stablecoins des GAFA
Enfin, l'accélération du bitcoin fait aussi écho à l'atermoiement des banques centrales, moins rapides à élaborer une alternative numérique de monnaie banque centrale (CBDC, central bank digital currency). Les principales banques centrales avancent sur le sujet mais en ordre dispersé et avec un calendrier encore incertain. La banque des règlements internationaux (BRI), qui regroupe les banques centrales, tente cependant d'établir un langage commun.
La question qui préoccupe le plus les banques centrales est celle des stablecoins, ces cryptomonnaies convertibles en devises (au taux d'un pour un) et qui sont un rouage essentiel du marché des bitcoins, comme contrepartie utilisée par les plateformes d'échange (telle Coinbase). Les échanges ont également explosé et les stablecoins peuvent avoir, selon les banquiers centraux, avoir un impact sur la stabilité financière (même si leur capitalisation ne représente que 150 milliards de dollars). Ces monnaies sont dans l'œil des régulateurs qui multiplient avertissements et amendes aux Etats-Unis. Seule la Banque d'Angleterre se montre plus ouverte sur le sujet. Les grandes banques commerciales se montrent également très intéressées sur le potentiel des stablecoins, sans parler des GAFA qui, comme Facebook, pourraient lancer leur propre stablecoins (Libra devenue Diem).
Au total, il règne un enthousiasme autour des cryptomonnaies, qui n'est pas sans rappeler la bulle internet des années 2000. A l'époque, le seul tort des investisseurs et des entrepreneurs est d'avoir eu raison trop tôt.
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