Trop peu téméraires, les épargnants européens brident le financement de l’innovation

Par Christine Lejoux  |   |  707  mots
Les actifs non risqués détenus par les épargnants français représentent 127% du PIB du pays.
Les actifs risqués détenus par les épargnants américains pèsent 241% du PIB des Etats-Unis, contre 93% pour la zone euro, selon l'Observatoire de l'épargne réglementée publié par la Banque de France.

En matière de placements financiers, les Français sont réputés peu enclins à la prise de risque. Mais cette frilosité est en réalité un mal européen, d'après les données de l'Observatoire de l'épargne réglementée, présentées jeudi 7 juillet par la Banque de France. Contrats d'assurance-vie en euros, livrets bancaires... Les actifs non risqués détenus par les épargnants français représentent 127% du PIB (produit intérieur brut) du pays. Une proportion pas très éloignée de la moyenne de la zone euro (109%), mais très supérieure à celle en vigueur aux Etats-Unis (72%), où l'appétit pour les actifs risqués comme les actions est beaucoup plus ancré dans la culture des épargnants. Autre façon de dire les choses, les actifs risqués détenus par les épargnants américains pèsent 241% du PIB des Etats-Unis, contre 93% seulement pour la zone euro, et 77% pour la France.

Conséquence, le financement en fonds propres des entreprises européennes ne représente que 52% du PIB de la zone euro, contre 121% aux Etats-Unis. Or « une économie de l'innovation, comme les Etats-Unis le sont depuis longtemps, et comme l'Europe est en train de le devenir, doit se financer davantage par des fonds propres que par de la dette, compte tenu de la prise de risque que représentent les investissements dans l'innovation », a souligné François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, lors d'une conférence de presse. A l'inverse, une économie de rattrapage, comme le sont les pays émergents, peut recourir davantage à la dette, puisqu'elle suit une trajectoire beaucoup plus prévisible.

Un bas de laine de 4.461 milliards d'euros

Ce manque de témérité des épargnants, européens en général et français en particulier, est d'autant plus regrettable pour le financement de l'investissement productif que les sommes en jeu sont très conséquentes. L'épargne financière des seuls Français s'élevait en effet à 4.461 milliards d'euros à la fin 2015. Un bas de laine essentiellement investi en assurance-vie (37,2%, dont 30,8% pour les supports en euros, sans risque, et 6,4% seulement pour les supports en unités de compte). Autres actifs non risqués, le Livret A, le LDD (livret de développement durable), le PEL (plan d'épargne-logement) et autres produits d'épargne réglementée ne représentent pas moins de 15,7% des placements financiers des Français.

Et ce, alors même que le Livret A ne rapporte plus que 0,75% depuis le 1er août 2015, et que la rémunération des PEL ouverts depuis le 1er février 2016 est de 1,5% seulement, contre 2% auparavant. Ce qui fait dire à François Villeroy de Galhau que « la période actuelle de taux bas et d'épargne abondante constitue une véritable opportunité » d'orienter davantage l'épargne des ménages vers le financement des startups et autres entreprises.

Une réponse également fiscale

Pour autant, le gouverneur de la Banque de France ne se berce pas d'illusions : « On ne transformera pas les épargnants européens - attachés à la liquidité de leurs placements à tout instant et, plus encore, à la protection de leur capital - en épargnants américains, et ce n'est d'ailleurs pas souhaitable. » Selon lui, il appartient donc aux professionnels des placements de réfléchir à des produits plus risqués, et donc plus rémunérateurs, mais intégrant également ce besoin de sécurité des épargnants français. Le contrat « eurocroissance », créé en 2014 et qui permet de bénéficier de la garantie du capital au terme du contrat et non à tout moment, constitue à cet égard « une amorce » de réponse, selon François Villeroy de Galhau.

Pour ce dernier, la réponse à la problématique du financement de l'innovation par l'épargne doit également être fiscale. De fait, en l'état actuel des choses, la fiscalité de l'épargne favorise les placements liquides et sans risque, au détriment des placements longs. Ce qui conduit régulièrement Paris Europlace, le lobby de la place financière de Paris, à réclamer auprès de Bercy une « remise à l'endroit » de la fiscalité de l'épargne. Une doléance qui relève pour l'heure du prêche dans le désert.