Après trois années de négociations et de rebondissements, le système de paiement paneuropéen EPI (European payment initiative) entre désormais dans sa phase opérationnelle. Un portefeuille électronique (wallet) sera lancé d'ici la fin de l'année en phase pilote en Allemagne et en France, puis l'année prochaine, en Belgique et aux Pays-Bas. Ces quatre pays représentent plus de la moitié des paiements de détail hors espèce de la zone euro. L'Europe aura donc son système européen de paiement basé sur le paiement instantané, un nouveau mode de paiement qui se développe partout dans le monde.
Présenté à la presse en juillet 2020, EPI se voulait au départ un projet européen de carte bancaire, capable de rivaliser avec les grands schemes internationaux Visa ou Mastercard. Un projet ambitieux, porté par de nombreuses banques européennes, avec en particulier un appui fort des banques françaises. Toutefois, il s'est rapidement heurté à des intérêts divergents en matière de paiement et à des interrogations sur l'ampleur des investissements à venir.
Le retrait du projet des caisses d'épargne espagnoles a fait boule de neige et a obligé EPI à reformuler sa proposition de départ, en se focalisant sur le paiement instantané, un mode de paiement jugé plus innovant que la carte et moins lourd en termes d'infrastructures.
EPI vient d'ailleurs d'acquérir la solution interbancaire iDEAL, via la double acquisition des sociétés néerlandaise Currence iDEAL et luxembourgeoise Payconiq, très implantée aux Pays-Bas et en Belgique. Quatre nouveaux actionnaires ont d'ailleurs rejoint EPI, dont DZ Bank, qui représente les banques coopératives allemandes, la banque belge Belfius et deux banques néerlandaises, ABN Amro et Rabobank. Cheville ouvrière du projet depuis le début, Martina Weimert, directrice générale d'EPI Company, détaille pour La Tribune les contours de cette nouvelle offre de paiement et les ambitions de ce projet.
LA TRIBUNE. Quels sont les avantages de votre solution par rapport à la carte bancaire ou les autres services de paiement instantané qui existent en Europe ?
MARTINA WEIMERT. Ce nouveau service s'adresse tout d'abord au consommateur. Il offre la possibilité de transférer ou de recevoir de l'argent de manière instantanée via un simple numéro de téléphone, avec toute la sécurité de l'environnement bancaire. Et ce, en France, mais aussi dans les pays participants, comme l'Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique. Ce ne sont, certes, pas encore tous les pays européens, mais c'est un très bon début !
Ensuite, cette solution permet à l'utilisateur de garder un contrôle sur ses dépenses et ses données. Enfin, nous allons lui proposer une multiplicité de cas d'usage, en commençant avec le P2P - qui existe déjà en France avec Paylib - pour rapidement étoffer le service avec le P2 Pro pour payer plus facilement son plombier ou la baby-sitter, ces professionnels encore hésitants à utiliser la carte, tout en pouvant émettre des reçus digitaux.
Comment les marchands ont-ils réagi à votre projet ?
Nous avons beaucoup travaillé pour proposer au commerce une vraie alternative à la carte bancaire. Nous proposons d'adapter le paiement instantané, qui a d'abord été conçu pour fonctionner de compte bancaire à compte bancaire, pour le rendre utilisable dans le commerce dans un grand nombre de situations, comme par exemple, payer en plusieurs fois ou gérer le remboursement d'un article acheté en ligne et renvoyé.
Le deuxième grand avantage est que nous proposons une solution qui fonctionne dans quatre pays européens, et bien plus je l'espère à l'avenir. Le marché du paiement reste très fragmenté en Europe, et c'est compliqué à gérer pour les commerçants. Nous proposons donc une intégration unique pour tous les pays participants, avec des coûts très compétitifs.
Et pour les banques ?
La Commission européenne est en train de proposer un nouveau cadre juridique pour le développement du paiement instantané qui va demander plus d'investissement. Les banques peuvent y voir une contrainte supplémentaire, mais aussi considérer le paiement instantané comme une réelle opportunité. Nous voyons des solutions se développer fortement dans le monde entier - près de 60 actuellement - avec succès, comme la solution Zelle aux Etats-Unis, face à la concurrence d'un PayPal ou Cash App.
Ces solutions globales connaissent des croissances très fortes, car elles sont dans l'air du temps où le téléphone devient le mode privilégié pour interagir avec son environnement. C'est donc pour les banques un moyen de rester un intermédiaire et de proposer à ses clients une offre innovante.
Votre solution repose-t-elle sur une interconnexion de solutions domestiques ?
Non, bien au contraire. Il s'agit de faire migrer des solutions nationales vers une nouvelle solution paneuropéenne. Dans les paiements, il est toujours très difficile de faire du recyclage de solutions anciennes. Vous devez proposer une solution porteuse d'avenir, qui ne soit pas liée au passé. La migration des solutions nationales sera transparente pour l'utilisateur, sans rupture, avec une phase initiale de co-branding avant le changement de nom de marque, avec plus de fonctionnalités, plus de services.
Votre marque commerciale sera EPI ? Comment allez-vous asseoir votre marque ?
EPI est notre marque corporate, mais ce n'est pas la marque avec laquelle nous allons lancer le service sur le marché. Nous communiquerons le nom de marque un peu plus tard dans l'année. Pour diffuser rapidement le service, nous comptons sur le P2P, qui est notre premier cas d'usage, mais aussi le cas d'usage le plus évident et le plus rassurant pour le consommateur, qui est testé souvent de manière ludique. C'est ce mode de fonctionnement qui réussit le plus. Les consommateurs deviennent progressivement eux-mêmes les porteurs de la bonne parole. Viendra alors le temps de la communication pour asseoir la nouvelle marque.
Quel est votre modèle économique ?
Nos actionnaires sont à la fois des banques, mais aussi des sociétés acquéreurs. Nous sommes au milieu de l'écosystème de paiement, entre les banques et leurs clients de banque de détail, et les acquéreurs qui ont le lien avec les commerçants. EPI reste un écosystème ouvert à tous les émetteurs et à tous les acquéreurs. Nous comptons facturer notre service aux acquéreurs sur les transactions qu'ils vont réaliser pour les commerçants. Mais nous ne faisons pas de prix pour le commerçant - cela dépend de chaque acquéreur.
De l'autre côté, nous envisageons de donner une rétribution aux banques qui feront la promotion de notre service auprès de leurs clients. En aucun cas nous aurons un lien avec le client de la banque ou le commerçant. Le marché du paiement est très compétitif et nous devrons être nous aussi très compétitifs. Nous avons bien conscience que nous sommes un modèle d'affaires à faible marge et gros volumes, dont la rentabilité ne s'envisage qu'à long terme et par la valeur apportée.
D'autres banques vont-elles rejoindre EPI prochainement ?
Quatre banques internationales nous ont rejoint ces derniers mois et nous avons une couverture européenne déjà très large en Europe du centre et de l'Ouest. C'est un bon point de départ pour lancer cette solution européenne. Nous ne devrions pas, je l'espère, nous arrêter là et convaincre de nouveaux pays. L'enjeu est de transformer ces acquisitions et de lancer surtout de nouveaux produits sur le marché.
Comment voyez-vous EPI dans trois ans ?
D'ici trois ans, nous aurons tous les cas d'usage dans le marché, pas seulement le P2P ou le P2 Pro. Nous voulons également proposer le paiement instantané pour l'e-commerce dès l'année prochaine, puis le m-commerce pour gérer les situations où il n'existe pas de terminal de paiement. Viendra ensuite le paiement en magasin, via le téléphone. EPI sera alors une alternative à la carte que la Commission européenne et la Banque centrale européenne appellent d'ailleurs de leurs vœux. Mais cette évolution sera lente et la carte subsistera encore longtemps comme un moyen de paiement important.
Sujets les + commentés