Divorce Crédit Mutuel Arkéa : un risque de contagion aux autres banques mutualistes ?

Les pouvoirs publics ont évoqué « un risque de fragilisation de l'ensemble du modèle français de réseau mutualiste intégré ». La situation est cependant très différente au Crédit Agricole et chez BPCE, aux organisations très centralisées.
Delphine Cuny
Une sortie du groupe Arkéa du Crédit Mutuel pourrait donner des idées à d'autres, avancent les pouvoirs publics.
Une sortie du groupe Arkéa du Crédit Mutuel pourrait donner des idées à d'autres, avancent les pouvoirs publics. (Crédits : iStock)

Comme le Brexit ou le référendum sur l'indépendance de la Catalogne, une éventuelle sortie du groupe Arkéa de l'ensemble Crédit Mutuel risquerait de donner des idées d'autonomie à d'autres, voire de déstabiliser le système bancaire. C'est du moins l'argument mis en avant par les pouvoirs publics. Bercy affirme poursuivre dans ce dossier « un objectif constant, la stabilité financière et la protection des épargnants, des clients » et se montrer vigilant sur « les éventuelles conséquences pour l'ensemble du système bancaire français ».

La Direction générale du Trésor et la Banque de France avaient confié une « mission d'évaluation de la situation au Crédit Mutuel » à l'ex-gouverneur Christian Noyer qui s'était inquiété, dans ses conclusions rendues en février, du « risque de fragilisation de l'ensemble du modèle français de réseau mutualiste intégré ». Or les banques coopératives représentent aujourd'hui environ les deux tiers des encours de dépôts et des crédits aux particuliers en France.

"Personne ne pense à remettre en cause l'intégrité du Crédit Agricole"

Ces craintes d'une contagion à d'autres groupes mutualistes ne sont pourtant pas partagées dans le secteur. « Il y a eu une dramatisation de la part des pouvoirs publics », estime un expert du monde bancaire, qui objecte :

« Personne n'imagine une seule seconde qu'une caisse du Crédit Agricole veuille son indépendance ! »

Même pour la plus puissante des 39 caisses, le Crédit Agricole Île-de-France. Interrogé sur cet éventuel risque, Philippe Brassac, le directeur général de Crédit Agricole SA, l'entité cotée en Bourse de la banque verte, a fait valoir que :

« le groupe Crédit Agricole est très différent [du Crédit Mutuel, ndlr]Il a été créé par les caisses régionales, il est organisé de façon symétrique : toutes les caisses en font partie selon le principe une caisse = une voix. Personne ne pense à en sortir ou à remettre en cause l'intégrité du groupe », a-t-il plaidé mi-mai, en présentant les résultats du premier trimestre.

Selon le schéma classique du mutualisme de la "pyramide inversée", ce sont les caisses régionales qui détiennent ensemble la majorité du capital de Crédit Agricole SA où sont logées les filiales auprès desquelles elles se fournissent : CA Assurances (premier groupe d'assurance en France), Sofinco (crédit à la consommation), CA Indosuez (gestion de fortune), CA-CIB (activités de marchés), etc. Une loi de 1988 a encadré la mutualisation de la Caisse nationale de Crédit Agricole, devenue société anonyme, et transformée en Crédit Agricole SA en 2001 avant son introduction en Bourse.

Partir suppose d'en avoir les moyens

« Pour prendre son indépendance, il faut en avoir les moyens. Cela suppose une certaine taille et des prérequis : la solidité financière, le niveau de capitalisation, l'autonomie de fonctionnement, la capacité de concevoir ses propres produits de banque et d'assurance, et surtout la possession de son système d'information en propre. Ce n'est pas le cas même des plus importants groupes du Crédit Agricole, des Banques Populaires ou des Caisses d'Épargne », analyse un bon connaisseur du secteur.

La Bred apparaît un peu comme une exception : la plus grosse Banque Populaire, présente en région parisienne, en Normandie et outremer, dispose de son informatique et réalise ses propres investissements dans le numérique notamment. Sondé sur une éventuelle tentation d'indépendance, Olivier Klein, le directeur général de la Bred, avait exclu cette voie en février dernier :

« Nous n'avons aucune intention de sortir. Nous sommes très bien dans le groupe BPCE. Nous sommes un des tout premiers clients des filiales comme Natixis, en leasing, en épargne salariale, etc. », avait-il objecté.

Et d'ajouter, lors de la présentation des résultats annuels :

« C'est le groupe qui lève des capitaux sur les marchés. Les contraintes de territorialité ne sont pas gênantes. »

Sans oublier l'attachement à la marque Banque Populaire, un atout sur le plan commercial. Le président du directoire de BPCE, François Pérol, a également balayé cette éventualité, la semaine dernière, en commentant les résultats trimestriels.

« La question ne se pose pas chez nous pour de multiples raisons. Tout d'abord, nous sommes un groupe uni. La Bred n'a aucune volonté de sortir du groupe, ni aucune Banque Populaire ni aucune Caisse d'Épargne. Le fait que la Bred ait son système d'information (SI) n'est pas en soi un élément. La Casden, la Banque Populaire des enseignants, a également un SI distinct », a-t-il relevé.

Surtout, « nos règles internes rendraient ce genre d'opération impossible économiquement, financièrement et juridiquement », a objecté celui qui quittera en juin la tête « d'un groupe en bonne santé ».

La loi du 18 juin 2009 a en effet organisé la gouvernance du groupe autour du nouvel organe central commun BPCE, détenu à parité par les 16 Caisses d'Épargne et les 14 Banques Populaires. Depuis la fusion, la tendance a été non à la fragmentation mais au rapprochement des caisses, par exemple avec la constitution de la Banque Populaire Auvergne Rhône-Alpes (BP Aura), justifiée par le poids de la réglementation et la mutualisation des investissements dans le digital.

« La situation n'est pas comparable : Arkéa a sa propre usine de produits bancaires, son SI et sa centrale de refinancement », résume un expert.

En outre, l'ensemble Crédit Mutuel est un cas à part dans le paysage mutualiste français : son organe central, la Confédération nationale du Crédit Mutuel, est une association de loi 1901, à la gouvernance plus floue et aux pouvoirs moins étendus. Toutefois, un spécialiste des marchés financiers n'exclut pas « un risque de réputation » auprès des investisseurs étrangers peu au fait du monde complexe des banques mutualistes françaises, pouvant se traduire par une mise à distance. Mais les cousines du Crédit Mutuel ont déjà déployé des trésors de pédagogie pour expliquer leurs spécificités.

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Notre dossier "Crédit Mutuel Arkéa, tempête dans la banque", dans La Tribune du jeudi 24 mai 2018

Delphine Cuny

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Commentaires 2
à écrit le 04/06/2018 à 15:02
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Mon avis de client: Arkea est un rayon de soleil dans l'univers des banques françaises pour lesquelles on ne sait dire ou commence l'état et ou finit la banque. Elle propose des produits intéressants et n'est peut-être pas(trop)affiliée à Bercy La...

à écrit le 04/06/2018 à 8:43
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Belle analyse, les financiers feraient mieux de lire de temps en temps autre chose que leurs insipides et improductives messes, l'économie s'en porterait bien mieux. "« un objectif constant, la stabilité financière et la protection des épargnants...

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