Comment Eurocopter a lancé dans le plus grand secret le démonstrateur X3

C'est l'histoire de l'un des secrets les mieux gardés d'Eurocopter. Pendant plus de deux ans et demi, la filiale hélicoptériste d'EADS a travaillé dans la plus grande discrétion sur un projet fou (découvrez la vidéo dans cet article), un démonstrateur technologique basé sur un concept d'un hélicoptère hybride à grande vitesse pouvant voler à plus de 400 km/h (220 nœuds), contre 300 km/h en moyenne aujourd'hui, et à long rayon d'action. C'est le X3 mais il faut prononcer « X cube ».

Pour ce projet fou ( à découvrir en vidéo en cliquant ici), tout commence en janvier 2008 quand une petite équipe d'Eurocopter est briefée sur le projet X « cube » par Guillaume Faury, directeur technique de la filiale hélicoptériste d'EADS, qui cèdera quinze mois plus tard sa place le 1er mars 2009 à Jean-Michel Billig. Ce dernier en tant que vice-président exécutif d'Eurocopter en charge de la recherche et du développement rapportera, jusqu'en septembre 2010, directement au PDG du groupe Lutz Bertling, en tête à tête dans son bureau, tous les trois mois. Du comité exécutif, personne ne sera mis dans la confidence pour éviter tout papotage et les fuites dans la presse. Car le patron d'Eurocopter veut frapper un grand coup dans un domaine qu'il juge clé pour l'avenir de son groupe appelé à renouveler sa gamme vieillissante, l'innovation.

Obsession du secret

L'objectif assigné à la petite équipe d'ingénieurs est simple : définir puis assembler à peu de frais un programme de démonstrateur. Renforcée au fur et à mesure du projet - elle comptera quelques dizaines de personnes à son pic -, elle sera installée dans des locaux, qui lui seront propres, puis dans un hangar toujours fermé sur le site de Marignane, une véritable ruche installée au sein du siège social du groupe. Et surtout bien à l'abri des regards des personnels du groupe. L'obsession du secret toujours. Ainsi la direction, pourtant harcelée lors de la présentation du X « cube », ne veut ni dévoiler le nombre exact de personnes travaillant sur ce projet, ni - et encore moins - le montant de l'investissement du démonstrateur développé à 100 % sur fonds propres. « Nous avons travaillé en étant le plus efficient en termes de coûts », consent seulement à dire Jean-Michel Billig dans un sourire entendu. Il ne lâchera rien même après un dîner arrosé de Bandol dans l'arrière pays varois. A charge à la concurrence de spéculer sur le montant et les moyens mis en ?uvre pour le X « cube ».

Six mois plus tard, l'équipe parvient à définir à 95 % le projet de démonstrateur de ce qu'il est devenu aujourd'hui. A partir notamment d'éléments déjà fabriqués pour d'autres appareils mais modifiés plus ou moins profondément pour le X « cube ». Ainsi, le Dauphin a fourni la cellule et les pales, le NH90 le moteur et l'EC175 la boite de transmission. Entre juillet 2008 et juillet 2010, elle travaille sur la « définition détaillée » du projet, puis commence à assembler patiemment le X3. Il sera équipé de deux moteurs qui entraînent un rotor principal à cinq pales et deux hélices installées de part et d'autre de l'appareil sur des ailes de faible envergure. Entre-temps, Jean-Michel Billig, arrivé en mars 2009 d'Airbus, prend la tête du projet. Lutz Bertling lui confie la mission de sortir un appareil ou un démonstrateur technologique par an.

Base d'Istres

C'est ce passionné de rugby en général, et en particulier du Stade Toulousain, qui va demander à la Direction générale de l'armement (DGA), mise dès le départ dans la confidence, de lui louer un hangar sur la base d'Istres, l'une des bases aériennes les mieux gardées de France, qui abrite trois grandes unités des Forces aériennes stratégiques, avec notamment les Mirage 2000N (N comme Nucléaire). Car évidemment les essais doivent s'effectuer à l'abri des regards. C'est bien le cas avec la base 125 d'Istres-Le Tubé, habituée au secret, et qui dispose d'un centre d'essais en vol.

Le lieu est donc bien choisi pour sortir ce démonstrateur décoiffant sans croiser de regards curieux. Enfin presque car l'Université d'été de la défense doit faire escale en septembre sur la base aérienne d'Istres. Ce qui aurait pu faire capoter tout le plan média finement concocté par Eurocopter fin septembre. Le X3 est donc resté bien au chaud au fond de son hangar à l'abri du mistral qui souffle fort ce jour-là et surtout des regards de centaines d'universitaires qui ont déambulé sur le tarmac le 13 septembre autour des Mirage, des Rafale et de l'A400M sans se douter une seule seconde du voisinage de ce bijou technologique.

Démonté puis transporté en pleine nuit...

Reste à organiser fin juillet le transfert de cet hélicoptère peu banal de Marignane à Istres le plus discrètement possible. Démonté puis mis sous cloche dans un camion, le transfert s'effectue en pleine nuit pour n'éveiller aucun soupçon sur le site de Marignane. La réussite est totale. La petite équipe s'installe à Istres dans le hangar où des Algeco abritent le bureau d'études du projet X3. Enfin, le 6 septembre, le démonstrateur, sous le nom de code ZXXX donné par la DGA - « ils nous ont fait une fleur pour le code », précise Jean-Michel Billig - vole pour la première fois mais à puissance réduite. Il n'a pas pour l'heure encore redécollé mais Jean-Michel Billig a donné son autorisation pour le deuxième vol après avoir dépouillé tous les paramètres du premier vol. Mais cette fois-ci sous les regards bienvenus des photographes...

 

Le prototype attendu dans six ans,  la commercialisation deux ans plus tard

Fin 2011, Jean-Michel Billig doit prendre la décision de lancer une fabrication en série. Le prototype est attendu dans six ans pour une commercialisation deux ans plus tard afin de remplacer les hélicoptères de 11/12 tonnes comme l'appareil de transport militaire NH90 ou le EC-225 civil. « Les appareils seront proposés dans les deux configurations, de façon classique ou celle qui sera validée par le démonstrateur », explique Jean-Michel Billig. Si la technologie était validée, l'appareil ainsi créé pourrait conjuguer la rapidité d'un aéronef à turbopropulseur (à hélices, à l'instar des avions régionaux turbopropulseurs) et les capacités de vol stationnaire d'un hélicoptère.

Ce nouvel appareil est conçu pour des utilisations civiles et militaires : missions de recherche et de sauvetage sur de longues distances, garde-côtes, patrouille aux frontières, transport de passagers (notamment sur les plates-formes pétrolières) et navettes interurbaines mais aussi transport des troupes, missions de recherche et sauvetage au combat... La filiale d'EADS fait ainsi valoir que la vitesse de 220 noeuds est celle qui assure le meilleur rapport consommation/vitesse pour les missions visées par Eurocopter.

Avec cette innovation, Eurocopter espère répliquer au constructeur américain Sikorsky, qui travaille sur un prototype concurrent baptisé X2. L'américain affirme que son appareil, qui fonctionne avec deux rotors au dessus tournant dans des sens inverses et un rotor en queue pour donner de la poussée, est capable d'atteindre les 250 noeuds (463 km/h) contre 220 noeuds pour le X3.
 

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