L'alternance réveille les ambitions inavouées des industriels de la défense

Y aura-t-il une recomposition de l'industrie de défense comme cela semble promis avec l'arrivée de la gauche au pouvoir ? En tout cas, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, devra trier entre tous les projets souvent rivaux des uns et des autres. "latribune.fr" a scanné les plus importants.
Le nouveau ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian Copyright Reuters
Le nouveau ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian Copyright Reuters (Crédits : DR)

L'arrivée de François Hollande à l'Elysée va probablement rebattre les cartes d'une partie de l'industrie de défense française, voire européenne. C'est ce qu'espèrent toutes les directions des stratégies des groupes qui bouillonnent d'idées et, parfois, travaillent déjà sur des projets. Pour rester, ou  revenir, au centre de la recomposition du secteur. Soit pour échapper à un prédateur promis et donc à une tutelle encombrante. De prédateur à cible ou de cible à prédateur, tous les groupes, à l'exception bien sûr d'EADS, peuvent changer de statut. « latribune.fr » répertorie la plupart des scénarios possibles, qui trottent dans la tête des capitaines des grands et des petits groupes de l'industrie de la défense, prêts à se lancer dans la partie.  "Nous ne dirons jamais à quel groupe nous nous intéressons, car le dire nous met déjà en position de demandeur, donc de faiblesse par rapport à celui qui se vend ou vend une activité. Cela fait augmenter le prix de l'acquisition et, en bonus, compliquent les négociations", explique l'un d'eux.

EADS reviendra-t-il au centre du jeu ?

A tout seigneur, tout honneur, EADS, le géant endormi mis sur la touche lors du dernier quinquennat. A quoi rêve-t-il aujourd'hui, lui qui a été interdit de façon brutale par Nicolas Sarkozy de surenchérir sur l'offre de Dassault Aviation sur Thales en 2008? S'il ne se fait pas trop d'illusions sur la possibilité d'un rachat du groupe d'électronique, il est à nouveau attentif à ce qui s'y passe. Le curseur est passé à alerte orange. Il est évident que si le gouvernement Ayrault lui proposait le dossier, il sauterait sur l'occasion les yeux fermés. Le futur président exécutif d'EADS, Tom Enders, qui se veut très pragmatique, et le directeur général en charge de la stratégie et de l'international, Marwan Lahoud, deux des hommes forts du futur EADS, ne rateraient pas l'opportunité de faire croître ses activités de défense regroupées dans Cassidian, dont ils jugent qu'il n'a pas la taille critique. L'avenir de la filiale défense est en suspens avec l'arrivée de Tom Enders à la tête du groupe et une probable redistribution des principales activités dans les différentes filiales d'EADS. Mais pas question de vendre Cassidian.

Certains chez EADS préconiseraient même de s'intéresser à l'avenir de DCNS. Le groupe naval pourrait effectivement profiter de l'arrivée de la gauche au pouvoir pour s'émanciper de la tutelle conjointe de Thales et Dassault Aviation que sa direction juge déjà trop pesante. A suivre. En revanche, EADS ne passerait pas à côté d'une prise de contrôle à 100 % du leader européen des missiles MBDA, dont il détient déjà 37,5 %. L'italien Finmeccanica, englué dans une crise sans précédent et qui cherche du cash désespérement via la vente d'actifs, pourrait vendre ses 25 %. EADS détient une option prioritaire si l'italien vend, tout comme d'ailleurs le britannique BAE Systems (37,5 % de MBDA). Mais le groupe européen veut les 100 %... car détenir 62,5 % ne lui donnera pas le contrôle du missilier. Un dossier très, très difficile, d'autant que Londres, après longtemps délaissé le secteur des missiles, est en train de réinvestir dans ce domaine.

Enfin, sur le plan industriel EADS ne désespère pas de prendre sa revanche dans les drones, qui ont été confiés à Dassault Aviation et Thales. Ce qu'il avait très mal vécu.

MBDA sera-t-il le grand gagnant des nombreuses rectifications de frontières?

Présidé par Antoine Bouvier, le missilier, qui ne voit pas d'un bon ?il le renforcement de l'un de ses trois actionnaires - ce qui signifierait beaucoup moins d'indépendance qu'actuellement -, rêve lui aussi de grossir en s'offrant les activités missiles de Thales, très présent dans l'Air Defence (les missiles sol-air notamment). Avec une telle acquisition, il accéderait enfin au statut à part entière de systémier, qu'il n'a pas aujourd'hui, à l'exception du missile surface-air SAMP/T. MBDA doit en outre finaliser le dossier de la bombe guidée AASM, développée par Sagem (filiale Safran). En 2008, Sagem a signé un accord avec le missilier pour que celui-ci commercialise l'AASM à l'export. Depuis plus rien, alors que l'objectif de MBDA était de racheter ce programme à Safran.

Par ailleurs, MBDA aimerait achever la consolidation à l'échelle européenne en mettant la main sur l'allemand BGT, détenu à 80 % par le groupe Diehl. Mais le rêve absolu d'Antoine Bouvier, c'est de faire de MBDA un acteur de taille critique au Etats-Unis. Et puis le missilier aimerait bien rectifier les frontières avec Astrium pour lui croquer certaines activités pour se renforcer dans la défense anti-missile balistique, un secteur porteur d'avenir.

Safran sera-t-il le nouveau pivot de la consolidation industrielle ?

C'est indéniablement Safran qui a le plus gros appétit. En premier lieu, il vise Thales, un dossier pas loin de l'obséder. Présidé par Jean-Paul Herteman, le groupe, issu de la fusion Snecma-Sagem et longtemps dans le viseur de Thales, avait déjà, avant l'été 2011, tenté de racheter la participation de Dassault Aviation comme l'avait révélé « La Tribune ». Discrètement, Safran continue de travailler sur ce projet stratégique pour le groupe et plaide pour une fusion avec l'électronicien. Il a d'ailleurs mis tous ses atouts de son côté en faisant un intense lobbying depuis le début 2012 auprès des responsables socialistes, aujourd'hui au pouvoir, pour les convaincre de la pertinence de cette opération. Un travail qui a fait son chemin dans les esprits puisque cela fait partie des pistes encore très exploratoires, qui pourraient être mises en ?uvre si la volonté de marginaliser Dassault Aviation au sein de Thales se concrétisait.

L'équipementier n'a pas perdu non plus de vue Zodiac, qui aurait pu s'offrir à Safran si ce dernier avait été un peu plus brutal dans sa volonté de s'en emparer, explique-t-on aujourd'hui à « latribune.fr ». Safran reviendra-t-il à l'attaque ? Pas impossible. Enfin, le motoriste Avio (2 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2011), un vieux rêve des années 2000 de Snecma, reste dans le viseur de Safran, très intéressé. Cette opération n'est pas dans le haut de la pile des dossiers prioritaires mais il est surveillé comme le lait sur le feu si Thales échappait encore à Safran. Pour cela, il faudra convaincre le fonds d'investissement Cinven, qui détient 81 % d'Avio.

Enfin, dernier dossier mais de moindre ampleur pour Safran, qui a finalisé après douze ans d'efforts en mai 2012 la consolidation de la propulsion solide avec la création d'Herakles : Roxel. L'équipementier souhaiterait prendre 100 % du spécialiste de la propulsion de missiles tactiques (130 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2011) dont il détient déjà 50 % (MBDA a les 50 % restants). A Roxel, on est plutôt contre puisque MBDA assure 70 % de son chiffre d'affaire. Ce que le missilier ne serait peut être plus tenu de faire une fois Roxel sorti de son giron. D'autant que MBDA détient 100 % de Bayer Chemie, concurrent de Roxel.

Dassaut Aviation restera-t-il le BAE Systems à la française ?

Hier gagnant de la recomposition de l'industrie de défense, le BAE Systems (Dassault Aviation-Thales) à la française est inquiet des projets de la gauche qui souhaite limiter leur influence. Le célèbre avionneur de Saint-Cloud, qui aurait peut être aimé se renforcer dans le capital de Thales sous la présidence de Nicolas Sarkozy, vise aujourd'hui ni plus, ni moins que le statu quo. A savoir garder le contrôle de Thales (26 % du capital), dont le PDG, Luc Vigneron, aimerait lui un peu s'émanciper - un rêve absolu qu'il n'avouera jamais -, et via le groupe d'électronique, de DCNS (35 % du groupe naval) et de Nexter (armements terrestres), dont l'opération était dans les cartons de l'ancienne équipe ministérielle.

Sinon Thales aimerait bien s'incruster chez MBDA, voire plus si affinités. Ce qui est peu probable tant les deux groupes se livrent une guerre impitoyable, notamment dans l'Air Defence. Le groupe d'électronique suit également avec beaucoup d'attention les déboires de son rival et parfois partenaire Finmeccanica. Les activités de Selex (électronique de défense) ne le laisseraient pas insensible si elles étaient mises en vente par Finmeccanica. Mais le dossier jugé prioritaire par les équipes de Thales reste l'acquisition des activités d'optronique (optique et électronique combinées) de Safran. L'électronicien est resté sur sa faim avec le pacs (une JV commerciale) qu'il a conclu avec Safran. Loin du vaste échange d'actifs imaginé au départ. Thales n'a pas non abdiqué le rachat de toute la partie défense de Safran.

DCNS et Nexter parviendront-il à redevenir indépendants ?

De son côté DCNS, qui rêve de retrouver son indépendance, viserait les activités sonar de Thales. Tout comme il ne serait pas contre de racheter la filiale de Finmeccanica spécialisée dans les torpilles Wass, qui enregistre une centaine de millions d'euros de chiffre d'affaires. S'agissant de Nexter, qui aimerait bien rester indépendant, se verrait bien comme le pivot de la consolidation des petits acteurs industriels français de l'armement terrestre (Panhard, Renault truck Défense). Ce qui n'est pas au goût de ces derniers. Panhard, qui a proposé à l'Etat de racheter Nexter, est en train de se rapprocher tout doucement de RTD.

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Commentaires 18
à écrit le 29/05/2012 à 19:04
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Grosso modo les problèmes évoqués par cet article se posaient dans des termes identiques en mai 2007.On évoquait alors un " mécano industriel et financier" confié à un " trio stratégique" hors du commun sorti des meilleurs écoles. Les trois amis deva...

à écrit le 29/05/2012 à 10:50
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Chronique d?un démantèlement annoncé Le statoréacteur est étroitement associé en France à la seconde composante nucléaire, car il apporte au système d?arme qui en est équipé un avantage tactique considérable : vitesse, pénétration, portée en parti...

à écrit le 28/05/2012 à 10:12
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Le problème avec tous ces scenarios, c'est qu'aucun ne semble repondre à une vraie stratégie industrielle. Ici ou la certains projets semblent avoir du sens, mais il faudrait avoir une vraie stratégie et un but clair et précis, autre que "avoir des c...

à écrit le 28/05/2012 à 9:41
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Vous n'évoquez pas CS Communication & Systèmes, le groupe de Yazid Sabeg, au bord du démantèlement, dont l'activité défense pèse 80 Millions d'Euros par An, dont Diginext le leader français de la Liaison-16 et des lieisons de données militaires. Or C...

le 28/05/2012 à 10:24
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Bien vu. Un oubli...

à écrit le 27/05/2012 à 20:19
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Je n'ai jamais compris l'intérêt de toutes ces gesticulations ( et la France ne fait pas cela que dans la défense), on passe notre temps à fusionner des trucs pour ensuite les dépecer et les refusionner d'une autre façon. Au final, toujours moins d'a...

à écrit le 27/05/2012 à 14:07
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Le plus étrange dans cette affaire est qu'on nous affirme depuis des décennies que l'Europe nous protège, l'Europe nous unis. Donc, a priori, nous devrions avoir une logique de défense unifiée convergente, et de fait, une industrie de défense unique,...

à écrit le 26/05/2012 à 11:18
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bonjour, il faut voir que EADS n'est pas capable de respecté les prix et encore moins les dates de livaison ( le bonne exemple A400) .il y a encore beaucoups d'effort a faire. Pour NEXTER il ne vende rien, a par du matériel 4 fois trops chere a l'éta...

le 26/05/2012 à 11:53
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Je ne suis pas sur que J2MLD soit un expert en armement pais ce n'est certainement pas un expert en orthographe. Moi non plus, mais alors là, c'est trop.

le 26/05/2012 à 12:26
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En effet c'est dommage, car ce correspondant me semble plutôt bien informé. S'agirait-il d?un salarié étranger, déçu par une vision trop nationaliste de son employeur ?

le 28/05/2012 à 10:22
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Vu les performances de DCNS (et non DCN) à l'etranger je doute qu'il y connaisse quelque chose. Sur l'A400M résumer ca a une erreur d'EADS est bien réducteur, mais vient surtout des demandes des differents Etats sur les capacités de l'avion qui font ...

à écrit le 26/05/2012 à 10:36
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Les investisseurs avertis éviteront ces sociétés où pèse l?ingérence d?une main politicienne. N?oublions pas ce qui s?est passé chez Thales. Une équipe dirigeante qui en fit un grand groupe fut éliminée, pour cause de leur vision internationale plutô...

à écrit le 26/05/2012 à 10:30
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Il ya une certitude : on ne donnera rien à EADS tant que les allemands n'avancent pas de manière réciproque en lui vendant l'une de ses grosses entreprises. Pour le reste MBDA devra bouger faute de devenir la cible de tous les acteurs de poids, certa...

à écrit le 26/05/2012 à 9:25
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Amusant de constater à quel point l'industrie "militaire" continue d'aiguiser l'appétit des gouvernants, ... les mêmes qui viennent de dire aux français qu' il n'y aura plus de soldats en Afghanistan encouragent l'industrie "des machines à tuer" sans...

à écrit le 25/05/2012 à 20:58
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On recommence les mêmes erreurs qu'en 81 avec les mêmes dégâts pour l'industrie électronique de l'époque (thomson-csf et alcatel). Les politiques ne doivent pas s'occuper d'organisation industrielle.

le 27/05/2012 à 12:37
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Le risque est possible. Vu la concurrence mondiale, de graves erreurs peuvent faire très mal.

à écrit le 25/05/2012 à 16:55
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Dassault Aviation est trop petit et peu influent en Europe, il faut l'adosser à EADS. Il faut partager THALES entre CASSIDIAN et SAFRAN. Toutes les opportunités d'acquisition dans les moteurs doivent être saisies par SAFRAN (AVIO voire MTU). Le missi...

le 28/05/2012 à 10:15
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EADS possede deja 46% de Dassault aviation... Par ailleurs avoir un electronicien specialiste fait sens donc au lieu de partager thales, il faudrait plutot regrouper certaines activités de Safran et EADS au sein de Thales

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