Espace : Thales tente de ranimer le couple franco-italien

Rome et Paris se battent froid dans le domaine spatial. Ce qui ne fait pas les affaires de la filiale spatiale du groupe d'électronique, Thales Alenia Space, au cœur du partenariat stratégique entre les deux pays.
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Le couple franco-italien dans le domaine spatial militaire est en froid. Et pourtant comme tous les couples, ils ont beaucoup de choses en commun... et surtout pas mal de projets dans le domaine de l'observation et des télécoms militaires. Mais voilà. Ni Paris ni Rome ne veulent faire le premier pas de peur de se mettre en situation de demandeur. Ce qui n'est jamais très bon dans les négociations. Du coup, "il faut débloquer le processus", soupire-t-on chez Thales Alenia Space, qui tente de jouer tant bien que mal les conseillers matrimoniaux pour rabibocher papa, maman. "Il faut une impulsion politique dans le domaine de la défense et trouver le bon réglage". Car Thales Alenia Space est le fruit de cette union, qui au départ était prometteuse tant les compétences de ces deux pays étaient complémentaires dans le domaine spatial militaire. La France est la grande spécialiste des satellites d'optique (Helios, Pléiades) tandis que l'Italie a centré son savoir faire sur les satellites radar (Cosmo-Skymed).

Rome flirte avec Berlin, Paris avec Londres

Thales Alenia Space n'aura pas la tâche facile. D'autant que Paris soupçonne Rome de flirter depuis plusieurs mois avec Berlin dans l'optique, notamment, et dans les télécoms. Et même peut-être dans d'autres domaines. Les deux pays ont signé ont signé un accord de défense il y a six mois environ. Mais il faut dire que Paris l'a bien cherché en s'enflammant pour Londres. La France et la Grande-Bretagne ont même signé en décembre 2010 le Traité militaire de Lancaster House. La France avait alors poussé une coopération dans les télécoms militaires. En vain. Ce qui avait beaucoup énervé l'Italie, qui s'est senti délaissée par les Français en dépit de leur histoire commune avec les systèmes Syracuse (France) et Sicral (Italie). D'où son rapprochement avec l'Allemagne.

Ensuite, le conflit libyen n'a pas arrangé le quotidien du couple franco-italien. Lors de l'opération Harmattan, l'Italie, qui avait un besoin d'images optiques, en a demandé à la France plus que ce qui était prévu dans les accords de Turin signés en 2001. Refus catégorique de l'état-major français, qui s'en est strictement tenu aux accords entre les deux pays. Soit sept images par jour, pas une de plus. Ce qui a créé de nouvelles tensions dans le couple. De leur côté, les Français ont négocié d'avoir 75 images par jour des quatre satellites Cosmo-Skymed. "En restant dans une logique de comptabilité, les Accords de Turin ont trouvé leurs limites, juge-t-on chez Thales Alenia Space. Après dix ans de coopération et de nombreuses opérations en commun, il faut renouveler ces accords pour une meilleure compréhension des besoins des uns et des autres". Et surtout "revenir à l'esprit beaucoup plus qu'à la lettre" d'un partenariat stratégique entre deux pays. "Il faut que la France ait une vision politique dans la défense", analyse-t-on chez la filiale spatiale de Thales.

Rome met la pression sur Paris

Pour l'Italie cette rebuffade a été également une "prise de conscience", analyse-t-on chez Thales Alenia Space. "Les Italiens ont estimé au départ que les images radar leur étaient suffisantes et qu'ils auraient des images par tous les temps, de nuit comme de jour, contrairement aux Français. Mais avec la Libye, ils ont compris que les images radar ne suffisaient pas et qu'ils avaient besoin de l'optique surtout lors des opérations extérieures". D'autant que ce type d' image est beaucoup plus facile et, donc, rapide, à interpréter que les images radar pour les états-majors. Enfin, les performances de Pléiades ont achevé de convaincre Rome de l'erreur qu'avait constituée le cantonnement aux images radar. Ce satellite d'observation, beaucoup plus agile que le système Helios, crache entre 400 et 500 images par jour (contre plusieurs dizaines à Helios).

D'où la volonté de Rome de développer une composante optique, qui est d'ailleurs inscrite dans leur plan stratégique de l'espace, avec le programme de recherche Opsis (150 millions d'euros). Info ou intox des Italiens ? En tout cas, cela inquiète beaucoup à Paris qui estime que ce serait un coup de canif aux Accords de Turin - optique en France, radar en Italie -, qui avait banni toute duplication entre les deux pays. "Il faudrait dix ans aux Italiens pour être au niveau de la France qui a dépensé des milliards" dans ce domaine, relativise Thales Alenia Space. Mais cela montre à Paris qu'il ne détient pas toutes les cartes".

Deux grands projets sont en cours

Thales Alenia Space veut éviter que la brouille s'achève en divorce. Car la France et l'Italie mènent actuellement deux grands projets : Athena-Fidus (Access on theatres for European allied forces nations-French Italian dual use satellite), un satellite militaire qui doit fournir des services de télécoms haut débit aux forces militaires et aux services de la Sécurité civile français et italien et qui sera placé en orbite géostationnaire en 2013 ; Sicral 2, développé en coopération, est un satellite géostationnaire travaillant dans les bandes UHF et SHF et conçu pour améliorer les capacités de télécoms militaires fournies actuellement par les satellites Sicral 1 et Sicral 1B ainsi que par le système français Syracuse.

Dans les télécoms militaires, il faut également que l'Italie et la France pensent à la fin des systèmes Syracuse (2018). D'où la nécessité de lancer en 2014 la future génération de satellites de télécoms, Comsat-NG, qui succédera aux Syracuse 3 en 2018 et qui complètera Sicral 2. Enfin, les deux pays participent au  programme Musis (Multinational space based imaging system), actuellement au point mort. La Grèce, l'Allemagne, la Belgique et l'Espagne sont également montés à bord de Musis, qui a pour objectif la réalisation d'un système spatial d'imagerie à des fins de défense et de sécurité, en relève des systèmes français (Hélios 2), italien (Cosmo-SkyMed) et allemand (SAR Lup). D'où l'importance du conseil franco-italien de défense et de sécurité évoqué pour la fin 2012 par les deux ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian et Giampaolo Di Paola, lors de sa visite en France. En espérant que d'ici là Paris et Rome aient repris langue dans le spatial militaire...

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