Budget : la Défense ne veut pas désarmer

De quel budget l'armée va-t-elle disposer, dans un contexte budgétaire contraint, au cours des six années couvertes par la future loi de programmation militaire (2014-2019). C'est ce que va décider François Hollande très prochainement. Entre les arguments d'économies de Bercy et la nécessité de soutenir un outil opérationnel et industriel performant défendue par le ministère de la Défense, le président doit maintenant trancher.
Char de l'armée française à Tombouctou / Reuters

La France doit-elle continuer à consentir de lourds investissements budgétaires en matière de défense? Au-delà du débat moral, légitime - faut-il avoir une armée et vendre des armes ? -, elle dispose pour l'heure d'un outil militaire efficace et reconnu à travers le monde, qui lui permet de mener encore aujourd'hui une politique étrangère influente en dépit de son déclin entamé depuis plus d'un siècle. À côté d'une armée resserrée mais performante, comme en témoignent ses interventions sur les théâtres afghan, libyen et malien, la France a lourdement investi depuis des décennies en vue de développer, puis de maintenir une filière industrielle autonome en matière d'armements. Une filière technologique qui emploie des ingénieurs de très haut niveau et qui exporte, bon an mal an, plus de 5 milliards d'euros d'équipements militaires (prises de commandes), souvent vers des pays liés par des partenariats stratégiques.

Alors que Bercy accentue sa pression, les militaires et les industriels du secteur craignent que l'on « casse », par des coupes budgétaires aveugles, un outil performant, qui interagit sur plusieurs échiquiers vitaux : diplomatie, technologie, industrie, emploi et enfin sur sa souveraineté. Les ministres de la Défense et du Redressement productif, Jean-Yves Le Drian et Arnaud Montebourg, ont donc défendu le secteur... face à Bercy et à Matignon, qui privilégient les économies budgétaires de court terme. François Hollande devra trancher, mais il a d'ores et déjà promis de maintenir un budget annuel équivalent à celui de 2013, soit 31,4 milliards d'euros, dans la prochaine loi de programmation, calmant un peu les inquiétudes (lire page 6).Une chose est sûre : si les armées, pourtant déjà éprouvées par des années et des années de restructurations, en acceptent de nouvelles, il est indispensable que l'État fasse « une synthèse des éléments essentiels » à conserver afin que les armées et les industriels « échappent à des considérations tactiques de court terme », explique un industriel. D'autant que, dans une vision de long terme, investir dans la défense est rentable pour la France, pour au moins cinq raisons.

La France, une puissance militaire et nucléaire

Contrairement à son voisin allemand reconnu pour les performances de son industrie « Made in Germany », la France a développé depuis les années 1960 le concept de puissance militaire et nucléaire et, à un degré moindre, de puissance spatiale. Avec succès. Elle a fondé toute une partie de sa diplomatie sur cette stratégie, qui lui permet d'exister sur la scène internationale. Le Mali n'a-t-il pas appelé au secours la France, qui garde aujourd'hui encore une influence en Afrique, en dépit de la montée en puissance des émergents, dont la Chine, sur ce continent? Paris n'a-t-il pas réussi à conserver son siège de membre permanent à l'ONU, alors que le Brésil ou l'Inde lorgnent avec envie cette position d'influence? Bien sûr, la France reste - et peut-être restera - une puissance moyenne. Mais à condition qu'elle continue à investir de façon raisonnable dans son armée.
En 2012, le Parlement a voté un budget 2013 de 31,4 milliards d'euros. Un budget de crise, qui ne permet pas de s'offrir tout ce qui était prévu mais qui permet de limiter la casse tout en tenant compte de la contrainte budgétaire très tendue du moment. Avec infiniment moins de moyens que certains pays comme les États-Unis, la France dispose d'un outil militaire structurant qui lui permet d'intervenir aux quatre coins de la planète de façon plus ou moins autonome. Cela sera encore plus vrai quand l'armée de l'air sera équipée, très prochainement, de l'avion de transport militaire A400M et, à moyen terme, des avions-ravitailleurs polyvalents A330 MRTT, qui remplaceront les Boeing KC-135 à bout de soue et qui approchent les 50 ans d'âge.

Une filière performante à la merci de Bercy

Alors que tout le monde espère le renouveau d'une politique industrielle, celle de la Défense, qui se classe au troisième rang des filières industrielles du pays, est l'une des rares réussites de la France. C'est le résultat d'investissements massifs qui ont intégré « l'impératif d'indépendance nationale en matière d'équipement des forces de défense », rappelle la Cour des comptes.

En 2012, la France a dépensé plus de 13 milliards d'euros pour l'équipement des armées : 6,2 milliards pour les armements conventionnels, 3,4 milliards pour le maintien en condition opérationnel (MCO) des matériels en service, 2,6 milliards pour la dissuasion, 885 mil-lions pour les programmes d'études amont (PEA). Toutefois, c'est un investissement qui rapporte avec un eet de levier intéressant : 1 euro investi dans la défense rapporte de 1,5 à 1,70 euro à l'État. Sous quelle forme? TVA, impôts, contributions au financement des organismes sociaux, emplois induits créés localement...Parallèlement, 1 euro de valeur ajoutée chez les maîtres d'œuvre dans le secteur de l'aéronautique et du spatial génère 4,80 euros de valeur ajoutée dans l'économie, selon l'Insee. À titre de comparaison, cet effet multiplicateur n'est que de 4,1 dans l'automobile, de 2 dans la construction et de 1,5 dans les services et le commerce. Cette filière bien dispersée sur le territoire national, à l'exception du Nord et de l'Est, fait vivre environ 4000 ETI et PME. Selon le Conseil des industries de défense françaises (Cidef), le chiffre d'affaires s'est élevé à 17,5 milliards d'euros en 2011. Et la France possédait sept entreprises dans les trente premiers groupes mondiaux en termes de chiffre d'affaires dans le domaine de l'armement (voir infographie).Pour la plupart des sociétés duales (civiles et militaires), la bonne santé des entreprises de défense devrait leur permettre de surmonter des coupes claires, se justifie-t-on à Bercy. Mais comme le rappelle un bon observateur du secteur, « si vous n'offrez pas une vision sur le long terme à ces industriels, comme tout bon industriel, ils arrêteront leur activité défense et la France perdra des compétences de haut niveau et des emplois, qui seront recyclés dans les activités civiles. En revanche, ces mêmes industriels peuvent poursuivre leur investissement si l'État leur précise que c'est simplement une période de transition ». Enfin, réduire les dépenses dans l'outil industriel d'armement, c'est également dévaloriser les actifs de l'État actionnaire de plusieurs groupes, dont certains sont cotés en Bourse. Ainsi, l'État, qui souhaite céder 1,56% d'EADS, pourrait récupérer 478 millions d'euros sur la base d'un prix de 37,35 euros par action. Au total, la Cour des comptes a estimé la valeur du portefeuille de l'État dans la Défense à 12,25 milliards d'euros.

Des emplois stables « Made in France »

S'il existe des emplois non délocalisables, ce sont bien les emplois dans la défense. Du pur « Made in France ». L'industrie revendique 165000 emplois en France, dont un tiers chez les grands maîtres d'?uvre (EADS, Thales, Safran, Dassault Aviation, MBDA, Nexter et DCNS), le reste étant disséminé dans les ETI et les PME travaillant dans le domaine de l'armement. S'y ajoutent environ 8000 emplois non marchands (CEA, CNES, Onera principalement). Le nombre d'em-plois induits dans les commerces locaux, les services (santé, éducation, loisirs, etc.) serait d'environ 130000. Soit un coecient multiplicateur compris entre 0,7 et 0,9 par rapport au nombre d'emplois du secteur de la défense. Ces emplois sont souvent qualifiés : environ 30% d'ingénieurs et 50% d'ouvriers qualifiés. Le rapport des effectifs qualifiés/non qualifiés est de 4 pour 1, contre 2 pour 1 dans l'ensemble du secteur de l'industrie. Enfin, c'est une industrie qui favorise les approvisionnements natio-naux. Ainsi, MBDA réalise plus de 80% de ses achats en France.

L'impact local est aussi très important. Le tiers des effectifs de la défense est localisé en Île-de-France, avec Thales, Safran, EADS et MBDA. Les façades maritimes françaises (Bretagne, Normandie et Méditerranée) concentrent les emplois dans le naval (DCNS notamment), tandis que les régions Sud-Ouest (Dassault Aviation, EADS, Astrium, Thales) et Méditerranée (Eurocopter) ont l'aéronautique. Enfin, les régions Centre et Rhône-Alpes regroupent les emplois dans l'industrie terrestre (Thales, MBDA, Nexter, Panhard). C'est en Provence-Alpes-Côte d'Azur que le poids de la défense est le plus lourd, avec 20% de l'activité industrielle. Ce ratio tombe à 12% en Île-de-France, 11% en Bretagne, et 10% dans la région Centre.

Des exportations excédentaires

L'industrie de l'armement profite aussi à la balance commerciale : « Elle a exporté pour 4 milliards d'euros de matériels militaires et génère 2,7 milliards d'euros d'excédent net », avait annoncé en juillet 2012 le président du Cidef, Christian Mons. Soit un taux de couverture de 290% en 2011 (si le taux est inférieur à 100%, la balance commerciale est déficitaire) et une moyenne de 267% sur la période 1990-2010, selon l'Insee. En moyenne, l'export représente entre 30 et 40% du CA des industriels du secteur, qui ont toutefois besoin d'une commande nationale pour pouvoir exporter un matériel certifié par l'armée française.

Rafale, A400M, Tigre, NH90, frégates multimissions, canons Caesar... : les industriels français ont aujourd'hui à leur disposition des produits matures sur le plan opérationnel, dont la plupart ont fait leur preuve au combat en Afghanistan, puis en Libye et au Mali. Ce qui est un plus dans les négociations. En termes de prises de commandes, les groupes de défense ont engrangé 6,5 milliards d'euros en 2011 et près de 5 milliards en 2012. La plupart sont engagés sur de grandes compétitions commerciales. C'est le cas de Dassault Aviation en négociations exclusives avec l'Inde pour la fourniture de 126 Rafale. L'avionneur est en bonne place pour équiper les armées de l'air émiratie (60 appareils), brésilienne (36), malaisienne (18) et qatarie (24). Au Qatar et au Brésil, l'ensemble des groupes français lorgnent plus de 20 milliards d'appels d'ores lancés par Doha et plus de 15 milliards par Brasilia. En Arabie saoudite, Thales attend un contrat de défense aérienne de plus de 2,5 milliards tandis que MBDA, qui devrait équiper le Rafale de ses missiles une fois exporté, est en attente d'une commande de 1,8 milliard de Delhi.

Des technologies qui migrent vers le civil

L'eort de recherche dans l'industrie de défense finit toujours dans l'escarcelle de l'industrie civile. C'est vrai des commandes électriques du Falcon 7X, développées pour le Rafale, tout comme la technologie des missiles balistiques a servi au développement de la famille de lanceurs civils Ariane. Les composants hyperfréquence à Arséniure de Gallium (AsGa) développés pour les radars, la guerre électronique et les communications militaires, sont utilisés intensivement depuis plus de quinze ans pour des applications civiles professionnelles et grand public (téléphone portable, télécommunication sans fil haut débit, réseaux) et les radars anti-collision des automobiles.

Il y a trois ans, la DGA a présenté son robot collaboratif Hercule, développé en partenariat avec la société RB3D. Ce robot est un exosquelette composé de deux jambes et d'une structure dorsale, destiné à augmenter les capacités de la personne qui le porte, grâce à la détection et à l'amplification de ses mouvements. Pourquoi pas une application civile médicale. D'une façon générale, le ministère de la Défense, qui a consacré 885 millions d'euros pour les études amont en 2012, finance en moyenne, depuis 2001, 15% de la R&D publique, comprenant aussi l'enseignement supérieur. Il externalise la majorité de sa R&D auprès des entreprises. Ainsi, en 2009, les financements étatiques reçus par les entreprises à des fins de R&D civiles et militaires proviennent pour les deux tiers de la défense.

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Commentaires 17
à écrit le 26/04/2013 à 11:23
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Bonjour, il est vrais que le budget de la défense est en baisser depuis des année, mais chaque jour la France est moins prospère économiquement, plus pauvre.... Donc il y a moins de moyen... Reste qu'il nous faut une défense et même le formats minimu...

le 28/04/2013 à 19:32
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Vous avez une bien mauvaise connaissance de la réalité. Depuis 15 ans la France a complètement modernisé sa force de frappe pourtant bien inutile ? Quels sont les défis auxquels nous avons à faire face ? C'est cela la seule question à se poser. Quand...

à écrit le 26/04/2013 à 9:35
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Pour desarmer la dé"fense, il ne faut pas se conduire comme un va t-en guerre. Alors la seulze soplution est de l amaintenir au minimun et ce n'est pas le livre blanc qui doit sortir c'est le livre noir de Pèpère Francois le roi xdes illusionistes

à écrit le 25/04/2013 à 22:28
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décapiter l'armée , la rendre inopérable c'est une solution pour faire des économies à condition de faire comme la Suisse : rester chez soi . Fini la politique internationale et nos idées de grandeur . Nous ne sommes déjà plus une puissance économiqu...

le 26/04/2013 à 20:56
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Tout à fait d'accord avec vous mais vous oubliez que notre "Chef de la Défense' est en train également de décapiter le must de notre industrie militaire: des Dassault, Snecma, Thales, etc...

à écrit le 25/04/2013 à 19:30
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En version mobile, tout les double f sont effacé de l'article. Est ce la même chose depuis un ordinateur ?

à écrit le 25/04/2013 à 17:19
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il va falloir garder quelque sous pour donner des sous aus soldats a qui on demande de rendre de l argent aussi je pense que ce mic mac est entrain de nous faire rire a défaut de pleurer car on peut pleurer pour les soldats qui sont tombés au champ ...

le 04/02/2016 à 12:38
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la dérive du pouvoir socialiste laisse le fn prendre le pouvoir à calais dans la juncle,après ce sera l'attaque des français plus faible ,heureusement les humanitaires et intermondialiste et crs pour éviter un génocide

à écrit le 25/04/2013 à 10:40
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Il est impératif de réduire chaque année le budget de la défense, dans une proportion raisonnable. Idéalement, une baisse annuelle de 2% à 3% répétée d'année en année serait une hypothèse réaliste. Pour arriver à cet objectif, il faut optimiser conti...

le 25/04/2013 à 11:31
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C est une vision assez courte et simpliste On pourra se permettre de baisser notre budget de défense quand l environnement géo stratégique global n est pas stabilisé , c est pas demain la veille.L importance de notre bugdet d armement dont dépende em...

le 25/04/2013 à 12:24
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Bonjour. Il ne faut pas oublier que stagnation vaut régression : un budget stable, une fois affecté de l'inflation, signifie des moyens en baisse. Donc après des années de quasi-stagnation du budget de défense (+21% en 15 ans... et quelle inflation s...

à écrit le 25/04/2013 à 9:03
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Bientôt l'industrie française sera au zéro absolu. C'est désespérant la bêtise de nos gouvernants à la godille.

le 25/04/2013 à 9:30
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j'en suis comme vous, atterré... Espérons que pour une fois, ce gouvernement ait du courage et une vision à long terme ! Pas un raisonnement d'irresponsables. (au passage les autres gouvernements notamment Sarkozy n'étaient pas non plus tendre avec l...

à écrit le 25/04/2013 à 8:20
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Un coup d'état en vu!!!!

à écrit le 25/04/2013 à 8:19
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c'est le seul domaine où le France est encore supérieure à l'Allemagne . Après avoir sapé les grandes multinationales françaises avec la taxation forcenées de leurs dirigeants qui les obligent à mettre leurs directions ailleurs, , sapé la constructi...

à écrit le 25/04/2013 à 8:19
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Le désarmement se fait tout seul même si la défense n'en veut pas: nous aurons une pensée émue pour ces chars Leclerc qui ne peuvent plus rouler faute de pièces de rechange.

à écrit le 25/04/2013 à 8:03
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Espérons qu' Hollande leur baisse davantage le budget. Ceci pourrait agacer quelques officiers qui pourraient le renverser !

à écrit le 25/04/2013 à 7:55
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cet article montre bien qu'il ne faut pas baisser les crédits d'équipement de notre Défense qui ont des retombées positives sur tout le secteur industriel.Puisque nous avons également sanctuarisé la composante nucléaire ce qui est une bonne décision,...

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