Des commandes en cascade, des contrats en dizaines de milliards de dollars, des entreprises françaises qui innovent, produisent, gagnent et recrutent à tout-va : le Salon aéronautique du Bourget, qui a ouvert ses portes ce lundi jusqu'au 23 juin, apporte une bouffée d'optimisme dans la sinistrose ambiante. Dans un contexte de récession en Europe et de ralentissement de la croissance économique mondiale, le plus grand "air show" du monde confirme une nouvelle fois l'excellente santé du secteur de l'aéronautique civile et ses perspectives époustouflantes.
2013, un grand millésime
Après un début d'année en fanfare, les avionneurs annoncent une pluie de contrats. Notamment Embraer, Airbus et Boeing. Ces dernier sont arrivés au Bourget avec déjà plus de 500 commandes brutes chacun. Avec le Salon de Dubaï (du 17 au 21 novembre), traditionnellement riche en commandes, 2013 s'annonce comme un très grand millésime pour les deux géants de l'aéronautique : ils devraient terminer l'année avec largement plus de 1 000 avions commandés chacun. Depuis 2005, les commandes représentent quelque 15 000 appareils. Et ce n'est pas près de s'arrêter. Selon tous les industriels, la flotte d'avions dans le monde est appelée à doubler au cours des vingt prochaines années, pour atteindre, selon les dernières prévisions de Boeing, publiées le 11 juin, plus de 40 000 avions en 2032.
Doublement de la flotte en 20 ans
Pas moins de 35 000 appareils neufs (avions régionaux, de plus de 100 sièges, tout cargo) devraient être livrés d'ici à 2032, pour une valeur de 4 800 milliards de dollars au prix catalogue. « Le potentiel est exceptionnel, peu de secteurs peuvent se prévaloir du même, surtout sur une aussi longue période », indique Jean-Paul Herteman, le PDG de Safran et président du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales). Ce boom s'explique d'abord par les prévisions de hausse du trafic de passagers, qui devrait croître en moyenne, durant cette période, d'environ 5 % par an. De 3 milliards de passagers en 2013, le trafic devrait au moins doubler. Certes, ces prévisions à si long terme font sourire les sceptiques. Pour autant, au cours de la dernière décennie, rien n'a enrayé la hausse du trafic, ni la flambée du prix du carburant, ni les contraintes environnementales, ni le développement des technologies qui permettent les échanges à distance (Internet haut débit, visioconférence, téléprésence...).
Trafic aérien et PIB, tout est lié
« L'estimation à long terme de la croissance de notre industrie n'a jamais varié. C'est l'une des rares prévisions qui s'est toujours révélée exacte », pointe le PDG d'Air France-KLM, Jean-Cyril Spinetta. Une croissance elle-même liée à celle de l'économie mondiale, laquelle sera peut-être moins dynamique au cours des toutes prochaines années que durant le début du XXIe siècle, mais qui est censée retrouver un taux, selon les économistes, de 3 % par an en moyenne au cours des deux prochaines décennies. Plus précisément 2 % par an pour les pays développés et 4 % pour les émergents. Or l'évolution du trafic aérien est directement corrélée à celle du PIB. « Il suit les mêmes fluctuations en les amplifiant », rappelle Jean-Paul Herteman. Car la croissance économique favorise l'émergence d'une classe moyenne qui a les moyens de voyager en avion.
La libéralisation accrue du transport aérien - avec l'arrivée de nouvelles compagnies (notamment à bas coûts) et la multiplication des États à signer entre eux des accords de ciel ouvert - est également un puissant levier de croissance du trafic. Ce dernier n'est cependant pas le seul à booster les ventes d'avions. « Il y a aussi le renouvellement des flottes des compagnies », explique le patron d'Airbus, Fabrice Brégier. Ce marché va représenter, selon Airbus, près de 30 % des livraisons d'ici à 2032, et même 42 % en Amérique du Nord. Un mouvement poussé par la cherté du prix du baril de pétrole et par l'arrivée sur le marché d'une multitude de nouveaux appareils dont les technologies réduisent fortement la consommation de kérosène et les coûts d'exploitation. Rarement dans le passé autant de nouveaux produits sont entré en même temps sur le marché. Et ce, sur toute la gamme d'appareils. L'A350-900, prévu en 2014 tout comme le CSeries de Bombardier, l'A320neo (pour 2015), le C919 du chinois Comac (2016), le Boeing 737 MAX, le russe MS-21 et l'A350-1 000 attendus en 2017, la nouvelle famille d'avions Embraer (à partir de 2018), le Boeing 777 (pour 2020)... À cette longue liste s'ajoutent des avions tout récents comme le B787, le B747-8 et l'A380.
Tous, par le biais des matériaux composites, plus légers et plus résistants que l'aluminium utilisé essentiellement jusqu'à présent, et de nouvelles motorisations, font chuter la consommation de carburant par rapport aux avions d'ancienne génération. Par exemple, selon Airbus, l'A350-1 000 consommera 25 % de moins que le Boeing 777-300.
Parmi tous ces avions, les moyen-courriers représenteront l'essentiel des ventes (69 %, selon Airbus), et les compagnies des pays émergents seront les plus gros acheteurs. « L'Asie occupera une place importante dans les livraisons d'avions », prévoit Christopher Emerson, senior vice-président marketing d'Airbus. Les transporteurs originaires de cette partie du monde ont déjà représenté 40 % des livraisons d'Airbus en 2013.
Hausse des cadences
Pour profiter de ce marché exceptionnel, encore faudra-t-il éviter deux écueils. D'abord, que les compagnies aériennes puissent financer leurs achats. Ensuite, que les avionneurs soient en mesure d'augmenter la production. « Les actifs aéronautiques ont la cote auprès des investisseurs. Saufcrise financière aiguë, il ne devrait pas y avoir de problèmes de financement d'avions sur le long terme », tente de rassurer un banquier européen. Quant à la production, les fournisseurs vont devoir changer de braquet. Airbus, par exemple, étudie des cadences de production d'une cinquantaine d'A320 par mois vers la fin de la décennie, contre 42 aujourd'hui. Si l'on y ajoute les avions long-courriers, cela veut dire que deux avions par jour, environ, sortiront des chaînes ! La production de Boeing devant être du même ordre, les deux géants devraient livrer près de 1500 avions neufs par an d'ici à 2020, contre 1200 aujourd'hui. En tenant compte d'ATR, de Bombardier, d'Embraer, de Comac, de Soukhoï, ce seront plus de 2 000 avions neufs qui seront produits chaque année.
La chaîne des fournisseurs (supply chain) suivra-t-elle ? « Si Airbus l'annonce suffisamment en amont et si la montée est progressive, c'est tout à fait jouable, explique Thierry Voiriot, président du comité AéroPME du Gifas. Cinquante A320 représentent en effet une hausse de 18 %, un rythme beaucoup moins élevé qu'à l'époque où nous sommes passés de 28 appareils par mois au début des années 2 000 à 42 aujourd'hui. » Certes. Mais les PME auront-elles les moyens financiers de suivre ? « Leurs besoins ne sont pas d'ordre industriel mais plutôt de fonds de roulement, de financement des stocks, etc. » Avec les fonds Aerofund, un fonds d'investissement porté par Airbus, Safran, EADS, Eurocopter et la BPI-Oséo, « les dossiers bien ficelés trouvent de l'argent », précise l'industriel. Ce qui n'empêche pas Airbus et Boeing d'être sur le qui-vive. Ainsi, ils n'ont pas hésité à reprendre des fournisseurs en difficulté pour ne pas mettre en péril l'ensemble de la chaîne.
« La question, c'est le respect des livraisons des fournisseurs. Les avionneurs et même les fournisseurs de rang 1 mettent la pression pour cela. La solution, c'est d'accélérer la consolidation. Avec un marché disposant d'une telle visibilité, c'est le bon moment. Ces dernières années, la visibilité était plus incertaine, les entreprises à caractère familial avaient du mal à se lancer car les bases de valorisation étaient insuffisantes », explique Thierry Letailleur, le président du directoire d'ACE Management, qui gère Aerofund. Selon plusieurs observateurs, cette consolidation permettra aux sous-traitants de financer aussi leur développement, notamment à l'export.
8000 postes crées en France en 2012
Paradoxe en ces temps de pics du chômage : le principal obstacle à la montée en cadence est peut-être à trouver du côté de l'emploi. L'aéronautique française recrute à tour de bras. Après les 13 000 embauches en 2011, les entreprises membres du Gifas ont recruté 15 000 personnes en 2012 dans l'Hexagone, pour une création nette d'emplois de 8 000 postes. Pour 2013, les tendances sont les mêmes. Pourtant, les industriels sont inquiets, car ils peinent à recruter. « Face à la montée en cadence, trouver les compétences constitue l'enjeu majeur », assure Thierry Voiriot. En 2011, observe-t-il, « 3 000 postes n'ont pu être pourvus dans le secteur aéronautique en raison du manque d'appétence en France pour les métiers techniques ». Si le déficit d'ingénieurs devrait se réguler avec la fin des grands programmes de développement, la situation est tendue pour dénicher des techniciens, des dessinateurs-concepteurs ou des opérateurs qualifiés usine. D'où l'initiative du Gifas au Salon du Bourget d'organiser une exposition pédagogique regroupant, sur 3 000 m2, l'ensemble des métiers de l'aéronautique et de l'espace. Histoire que cette success-story ne s'arrête pas en si bon chemin.
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