Piraterie : bientôt des mercenaires français à bord des navires tricolores

Le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian est favorable à la reconnaissance de sociétés militaires privées dans le domaine du transport maritime. Un projet de loi sera bientôt déposé.
Michel Cabirol
Des militaires allemands interceptent dans le cadre de l'opération Atalanta un bateau suspecté d'avoir à son bord des pirates

Et revoilà les héritiers de Bob Denard, ou plutôt des corsaires du Roi… Un pas semble avoir été franchi dans la reconnaissance des sociétés militaires privées (SMP) en France. « Je suis favorable à la reconnaissance des sociétés militaires privées dans le domaine du transport maritime, car la marine nationale ne peut pas tout faire », a récemment expliqué au Sénat le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, pourtant au départ frileux sur un dossier sensible auprès de l'opinion publique mais qui a fait l'objet de pressions de la marine nationale.

Le Drian défavorable pour l'armée de terre

« Les marins ne voulaient pas devenir dans le cadre des équipes de protection embarquées le prestataire des armateurs français », décryptent un bon connaisseur du dossier. En outre, Jean-Yves Le Drian a également estimé que des hommes armés sur un navire n'ont qu'un rôle défensif sans aucune stratégie offensive. Ce qui ne serait pas le cas pour l'armée de terre. Et d'ailleurs le ministre a tenu à être très clair : « j'y suis défavorable pour l'armée de terre, car cela s'apparenterait à du mercenariat, ce qui est contraire à notre tradition républicaine et à nos convictions ».

« Nous sommes proches d'aboutir » et dans ce cadre, « un projet de loi sera bientôt déposé par Frédéric Cuvillier », a-t-il précisé. C'était une demande très forte des armateurs français qui réclamaient une protection des navires battant pavillon français. Les armateurs menaçaient de se tourner vers l'offre britannique, faute d'un cadre juridique permettant aux Français de concourir. « Cela pourrait même accentuer le phénomène de dépavillonnement », avait expliqué les anciens députés, Christian Ménard (UMP) et Jean-Claude Viollet (PS) dans un rapport parlementaire sur les SMP présenté en février 2012. Pour autant, selon nos informations, au ministère des Transports, qui se met dans les pas de Matignon, ce dossier ne semble pas prioritaire. D'autant qu'il y a un calendrier parlementaire très, très encombré.

1.000 navires battent pavillon français

Armateurs de France recense 250 navires battant pavillon français et 750 autres opérés par des Français mais sous des pavillons tiers. Soit une flotte de quelque 1.000 navires. Leur activité conduit une part importante d'entre eux à transiter dans des zones où sévissent des pirates : détroit de Malacca, côtes africaines, notamment Golfe de Guinée et au large de la Somalie. D'après les informations recueillies par Christian Ménard dans les travaux relatifs à la piraterie maritime, on comptait en 2009 environ 600 personnes retenues en otage par des pirates somaliens.

C'est le cas d'une entreprise comme CMA-CGM qui est présente dans près de 400 ports à travers le monde. Alors que des menaces pèsent sur son activité, elles accroissent le coût des primes d'assurance. « Les surprimes liées à une traversée de l'océan Indien sont généralement de 0,5 % de la valeur du navire, soit souvent proches de 20.000 à 30.000 dollars supplémentaires par jour de traversée », rappelaient les deux députés. La plupart du temps, les armateurs assument ce surcoût. Car éviter les zones dangereuses, par exemple en transitant par le cap de Bonne-Espérance, induit un allongement des transits et une surconsommation de fioul.

Prise de conscience avec l'affaire du Ponant

L'affaire du Ponant a médiatisé la menace en France. Le 4 avril 2008, ce voilier battant pavillon français a été pris en otage par des pirates somaliens. Des Français ont été libérés une semaine plus tard contre le versement d'une rançon. Mais une opération héliportée a permis d'arrêter une partie des preneurs d'otage ainsi que de la rançon. La France a riposté en mettant en place des équipes de protection embarquées (EPE) de la Marine nationale généralement composées de fusiliers marins, sur les navires les plus vulnérables. « Une réponse efficace mais aux capacités limitées », ont estimé Christian Ménard et Jean-Claude Viollet.

Ces équipes protègent notamment les thoniers senneurs, qui pêchent au large des Seychelles, ainsi que des navires transportant des cargaisons stratégiques. D'après les données fournies par l'état-major de la marine, 104 navires français ou d'intérêt français sont inscrits au contrôle naval volontaire et circulent dans l'océan Indien. On compte parmi eux : 61 navires non vulnérables, 20 vulnérables et 23 très vulnérables, dont les thoniers.

La Marine nationale bon marché

C'est le Premier ministre qui décide de l'affectation des EPE. Les critères d'attribution d'une protection sont les suivants : pavillon français, présence de citoyens français à bord, nationalité française du propriétaire, transport d'une cargaison ou activité d'intérêt stratégique pour la France. Le coût des EPE (2.000 euros par jour en moyenne) est inférieur au coût moyen d'une équipe privée (3.000 euros par jour). « La prestation de la marine française est donc bon marché », ont constaté les deux députés. À titre de comparaison, une EPE de la marine royale néerlandaise coûte en moyenne 80.000 euros par traversée. Ce prix s'explique par sa composition : 18 agents par navire, dont un infirmier urgentiste.

D'après le ministère de la Défense, 30 % des navires de commerces embarquent des équipes armées de SMP/ESSD. Le même ministère met en avant leur « efficacité avérée », aucune capture n'ayant eu lieu en leur présence. Celles-ci ont permis de déjouer 30 % des attaques. Certains pavillons, tels que Singapour, imposent la présence d'hommes armés en cas de vulnérabilité.

En outre, la multiplication des actes de piraterie au large des côtes somaliennes a conduit le gouvernement à préconiser une solution militaire européenne permettant d'escorter certains navires à travers des convois sécurisés, l'opération Atalante. Celle-ci se concrétise par des échanges d'informations et surtout la mise en place de convois sécurisés.

Les mauvais souvenirs laissés par Bob Denard

Les polémiques ayant entouré l'activité de mercenaires français en Afrique, et notamment de Bob Denard, ont conduit le législateur à adopter un projet de loi visant à réprimer sévèrement le mercenariat. Faute d'un cadre pénal, Bob Denard n'avait pas été inculpé pour mercenariat. L'adoption de la loi de 2003 réprimant le mercenariat a donné un signal fort à la communauté internationale.

Passés les souvenirs de l'action de Bob Denard, les années 2000 ont vu des événements polluer à nouveau le débat sur les entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD). Il s'agit en premier lieu de l'intervention américaine en Irak, qui a suscité une réprobation de la part de l'opinion française. Un rejet d'autant plus marqué que certaines des dérives observées sur ce théâtre étaient le fait de SMP américaines, parfois directement impliquées dans des opérations militaires, par exemple lors de la tentative de prise de contrôle de la ville de Falludjah.

Un marché estimé entre 200 et 400 milliards de dollars

Les auteurs du rapport estiment aujourd'hui que près de 1.500 SMP sont actives à travers le monde. Ayant très tôt bénéficié des crédits publics dégagés par des externalisations, et s'appuyant sur des marchés importants, les sociétés anglo-saxonnes concentrent l'essentiel des effectifs et des moyens. Le chiffre d'affaires global du secteur est difficile à évaluer mais les spécialistes le situent entre 100 et 200 milliards de dollars par an. Pour l'ensemble ESSD (SMP et SSP), le ministère des affaires étrangères et européennes (MAEE) évoque même le chiffre de 400 milliards de dollars de chiffre d'affaires et des effectifs pouvant atteindre un million de personnes à travers le monde.

« La demande de protection privée existe et l'offre française doit s'organiser, faute de quoi le rang de la France comme puissance maritime mondiale pourrait être menacé, estimaient Christian Ménard et Jean-Claude Viollet. Les évolutions doivent intervenir rapidement (…). Il s'agit à la fois de plaider pour l'adoption d'exigences minimales vis-à-vis du secteur, tout en veillant à ce que les États gardent la main sur la gestion et le contrôle de leur pavillon »

Sarkozy intéressé par le sujet

Ce sujet a fait l'objet au plus haut niveau de l'Etat d'une prise de conscience qui a donné lieu à un certain nombre de réflexions. Le chef d'état-major particulier du président de la République a mandaté le secrétaire général de la défense et la sécurité nationale (SGDSN) à l'été 2010 pour étudier les conditions dans lesquelles un tel secteur d'activités pourrait se développer en France. Cette étude a donné lieu à un premier rapport, soumis à la présidence de la République le 1er févier 2011. Un mandat complémentaire sur le volet maritime a été confié au secrétaire général de la mer, sous l'égide du SGDSN. Les conclusions de ces travaux sont restées confidentielles.

Michel Cabirol

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Commentaires 18
à écrit le 18/09/2013 à 9:11
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Cela aurait dû être fait depuis longtemps !!!! Mais le Gouvernement qui a interdit le mercenariat en 2003 ne voulait pas de ce genre d'activité, je me rappelle que lors de rencontre entre anciens militaires aux Invalides, des Officiers supérieurs cra...

à écrit le 17/09/2013 à 17:03
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Et ainsi l'USAfication de la France est en train de se mettre en place doucement mais surement. 1) on revient dans l'OTAN 2) on se met sous la protection du systeme anti missile americain 3) on fait tout pour que ce soit les membres de la French Ame...

à écrit le 17/09/2013 à 16:34
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Il était temps, mais on a perdu terrains sur les anglo-saxons, et les espagnols aussi s'y sont mis. Il n'est pas du rôle de la Marine d'embarquer à bord de tous les bateaux sur le globe pour les protéger. La Marine est là pour faire la guerre et pr...

à écrit le 17/09/2013 à 12:50
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D'aucuns prétendent que ces pirates somaliens seraient encore de pauvres pêcheurs artisanaux inoffensifs si nos flottes de chalutiers ultra-modernes n'étaient pas venus ravager les fonds marins et détruire leurs ressources halieutiques. Il y a vraime...

à écrit le 17/09/2013 à 11:49
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Nous en rêvons dans certaines villes de France

à écrit le 17/09/2013 à 10:53
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vu comment les commandos russes reglent le probleme, il sera toujours preferable de s'attaquer aux batiments francais.

le 17/09/2013 à 12:23
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c est eux qui ont raison Perso je lancerais un raid sur l ensemble des villages de "pecheurs" sommalien et coulerait tout ce qui flotte

le 17/09/2013 à 15:41
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et que feriez vous des femmes, des enfants????? Hors de tout droit bien souvent ces groupes para-militaire commettent les pires attrocites.

à écrit le 17/09/2013 à 10:46
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Au moins il n ' y aura pas besoin de reveiller Flanby 1er pour demander l ' authorisation d ' ouvrir le feu!

à écrit le 17/09/2013 à 9:38
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voilà un des rares secteurs ou le secteur public ,en l'espece l'armée ,peut degager un revenu en valorisant sa competence ...et bien non ,vaut mieux laisser les militaires dans les casernes !!decidemment !

à écrit le 17/09/2013 à 9:21
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Qu'est-ce qu'un mercenaire, sinon un militaire en CDD ?

à écrit le 17/09/2013 à 9:11
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Souhaitons que les pirates qui seront refroidis, leurs familles ne se portera pas partie civile ? et que s'il y a des prisonniers, ils ne seront pas "rapatriés" en France, il y en a assez qui ont l'A. M. E .?

le 17/09/2013 à 12:26
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pour ca il faudrait qu il y ait des preuves ...les eaux de la Somalie sont infestés de requins et les pauvres bêtes sont menacés d extinction...Probléme...Solution :)

à écrit le 17/09/2013 à 8:58
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L'état reconnait par là qu'il est incapable d'assurer la sécurité de ses ressortissants, sur mer comme ailleurs, y compris dans les bijouteries !!! Il ferait mieux de se concentrer sur ses activités régaliennes !!!

à écrit le 17/09/2013 à 8:55
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Et il faut continuer : on a besoin de mercenaires de police à Marseille, ainsi que devant les bijouteries !

à écrit le 17/09/2013 à 8:55
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C'est une très bonne idée : on doit pouvoir recruter des mercenaires très compétents militairement chez les talibans et autres, les payer très peu cher, bref, délocaliser, et faire un maximum de fric.

à écrit le 17/09/2013 à 8:42
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Sur la photo on voit des soldats "tricolores?" interceptant un bateau suspect. Bientot des mercenaires francais feront de meme ...Bonne nouvelle pour la securite sur les mers..

à écrit le 17/09/2013 à 8:41
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La privatisation de l'armée à la place du patriotisme donnera encore moins de remord au soi disant pirate de s'attaquer "aux galions".

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