Comment Thales Alenia Space a gagné au Brésil

Il y a une semaine, Thales Alenia Space signait au Brésil en présence de François Hollande un beau succès commercial portant sur la fourniture d'un satellite civil et militaire. Retour sur les coulisses de cette compétition.
Michel Cabirol
Thales Alenia Space a gagné au Brésil aux dépens de six candidats concurrents.

Des doutes mais des convictions. Beaucoup de ténacité aussi et, au final, de la joie, beaucoup de joie. "Une explosion de joie", précise même un des négociateurs de cette campagne commerciale cruciale au Brésil pour Thales Alenia Space (TAS pour les initiés). Les équipes commerciales sont donc passées par tous les états d'âme avant de signer la semaine dernière le contrat portant sur la livraison à la société brésilienne Visiona d'un satellite civil (bande ka) et militaire (bande x), SGDC-1. Un contrat estimé entre 300 et 350 millions de dollars, sans le lancement du satellite.

Qu'est-ce qui a fait gagner TAS dans une compétition où tous les constructeurs de satellites de la terre entière s'étaient donnés rendez-vous ? "Nous avons réussi à obtenir la confiance du client - Visiona - car nous avons été très sérieux dans notre proposition", explique-t-on à La Tribune. Soit, c'est toujours le cas quand une entreprise gagne. "Progressivement, nous avons su créer une relation de confiance avec les Brésiliens basée sur le fait que nous voulions après SGDC-1 faire du business en commun avec notre partenaire, précise-t-on. Notre vœu était de former une équipe commune avec les Brésiliens pour travailler sur le présent et l'avenir. Clairement nous voulions une coopération profonde, utile aussi bien aux Brésiliens qu'à nos intérêts et nous avons donc fait un travail de fond pour les comprendre et analyser dans le détail leurs besoins".

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L'objectif de former une telle équipe n'était pas gagné d'avance. Loin de là. "Au début, les Brésiliens ne nous ont pas crus", se rappelle-t-on au sein de Thales Alenia Space. D'autant que cette confiance était basée sur les transferts de technologies proposés par les équipes de TAS. Pour gagner, il fallait donc convaincre l'Agence spatiale brésilienne (AEB), qui avait un rôle moteur dans la définition et l'ampleur du programme du transfert de technologies et le choix de l'industriel. Au début des négociations, les Brésiliens se montrent très sceptiques sur l'offre de TAS et sur les transferts de technologies proposés. 

Mais le constructeur tricolore profite du travail de fond qu'il a effectué en amont pour préparer l'appel d'offre. TAS a déjà sélectionné une série d'entreprises brésiliennes aptes à recevoir les technologies que le groupe souhaite transférer. "Notre objectif était double : trouver des entreprises brésiliennes capables de recevoir les systèmes transférés pour fabriquer les satellites de prochaine génération et les aider à bien s'en servir", explique-t-on à La Tribune. Une démarche payante. Car ces entreprises disséminées aux quatre coins du Brésil ont à leur tout fait du lobbying auprès de leurs députés pour vanter les mérites de l'offre de TAS. "Nous avons créé une dynamique positive sur les transferts de technologies", fait observer un des négociateurs. D'autant que les Brésiliens comprennent tout le bénéfice qu'ils peuvent en retirer, notamment en réalisant un bond technologique.

Thales n'a imposé aucune contrainte sur les technologies transférées

Quelles technos ? Secret commercial mais Thales pourrait notamment aider les Brésiliens dans l'observation et les orbites basses. TAS a notamment convaincu grâce à sa "très bonne évaluation du niveau où en étaient les Brésiliens. Cela nous a permis de leurs proposer de faire des progrès dans les thèmes sélectionnés". Par exemple dans l'observation basse et moyenne résolution, les Brésiliens ne sont pas encore au niveau du programme Spot.

TAS n'a d'ailleurs mis aucune contrainte sur l'utilisation des technologies transférées aux Brésiliens. "Pourquoi l'aurait-on fait ? Notre relation avec Visiona et les entreprises qui participent à ce projet est basée sur la confiance. Nous ne leur interdisons pas de nous faire de la concurrence mais nous pensons que nous pouvons former une équipe pour le futur pour remporter d'autres affaires". Seul difficulté : comment exprimer cette marque de confiance à travers une proposition dans un cadre contractuel…

Support du ministère de la Défense

Autre point fort de TAS, le groupe connait à fonds ce programme depuis sa genèse il y a six ans. Il connaît toutes les hésitations par lesquelles sont passés les Brésiliens, qui ont changé au fil du temps leurs besoins. "C'est vrai que SGDC-1 nous a occupé un certain temps", sourit-on aujourd'hui chez TAS. Au final, les Brésiliens ont arrêté leur choix sur un satellite dual : télécoms militaires et internet à haut débit. Une fois le besoin défini, Brasilia lance une demande d'information mi-2012 (Request for information). "Ce type de satellite faisait sens pour le Brésil qui est en pleine croissance", note-t-on chez TAS, qui passe son premier grand oral en décembre 2012 dans le cadre du RFI. Le constructeur présente alors sa proposition dans les grandes lignes.

Une proposition de la filiale spatiale franco-italienne de Thales qui bénéficie du soutien et du support du ministère français de la Défense avec qui elle a travaillé en étroite collaboration. Les Brésiliens viennent ainsi en France pour voir comment est opéré le système Syracuse. "Nous avons montré comment ils pouvaient utiliser leur satellite", précise-t-on à La Tribune.

Et les autres concurrents ?

Dans les starting-block, il y a sur la ligne de départ sept concurrents invités par les Brésiliens à répondre avant la mi-avril 2013 à l'appel d'offre (Request for proposal) brésilien lancé le 18 février : les américains Boeing et Loral, le russe ISS Reshetnev, qui a répondu en partenariat avec le canadien MDA, le japonais Mitsubishi Electric (Melco), l'israélien IAI et, enfin, Astrium et TAS. "Une sélection naturelle", estime-t-on chez TAS. Lockheed Martin a semblé un temps intéressé mais n'a finalement pas répondu. Un mois plus tard, les brésiliens sélectionnent trois candidats appelés à poursuivre la compétition : Loral, Melco et TAS.

Les Japonais, qui ont beaucoup moins d'expérience que les constructeurs français en matière de construction de satellites, ont principalement axé leur proposition sur des transferts technologiques sur le … nucléaire et l'électricité, notamment. Du coup, leur proposition n'est pas en phase avec les demandes brésiliennes. D'autant que leurs propositions techniques et leurs spécifications sont en retrait par rapport à celles de TAS et surtout de Loral. Car l'américain, qui ne souhaite pas transférer de la technologie, joue plutôt la carte de sur-performer les demandes brésiliennes.

Du coup, les performances du satellite sont supérieures, y compris par rapport à celui de TAS. Mais le satellite est plus cher… et n'est pas adapté aux besoins des Brésiliens. "C'est comme si une compagnie aérienne veut un avion de 50 places pour un besoin bien défini, et on lui propose un appareil de 100 places", glisse-t-on chez TAS. Brasilia en profite toutefois pour exiger de meilleures performances pour son satellite mais n'a pas souhaité s'aligner - et de loin - sur la proposition américaine.

TAS favori sans le savoir

TAS semble avoir un temps d'avance sur Melco et Loral mais ne le sait. A l'époque, chez Thales Alenia Space, les équipes ont la tête dans le guidon et cherchent à améliorer leur proposition pour contrer les concurrents, et surtout coller au plus près des besoins brésiliens. "Nous pensions que Mitsubishi serait plus agressif sur les partenariats proposés et Loral plus agressif sur les prix", explique-t-on. Cela n'a pas été le cas. Surtout, TAS, pour qui ce contrat est important en raison d'un début d'année difficile sur le plan commercial, est présélectionné par Visiona la veille du grand week-end de la Pentecôte (18, 19 et 20 mai).

"C'est là où j'ai vraiment senti que notre équipe était soudée et qu'elle avaient envie de gagner, se rappelle un des négociateurs. OK, c'est une bonne nouvelle d'être présélectionné mais seule la victoire comptait alors. Personne est finalement parti en week-end prolongé pour travailler sur l'offre et l'adapter. J'ai senti un vrai esprit d'équipe aussi bien chez les Français que chez les Italiens. On est resté sur le pont tout le week-end de la Pentecôte ». De brainstorming en brainstorming, TAS affine son offre et remettra, tout comme ses deux concurrents, sa BAFO  (Best and final offer) début juillet. Le constructeur français tente de coller au plus près des besoins du client. "En face de nous, on avait à faire à des équipes qui savaient acheter", explique-t-on chez TAS.

Un contrat de 1.800 pages

Côté brésilien, tout a été fait pour que la gestion de l'appel d'offre soit irréprochable. L'opérateur public Telebras et le groupe aéronautique Embraer créent une société commune privée Visiona (49 % Telebras, 51 % Embraer), qui sera le maître d'ouvrage brésilien. C'est notamment cette société qui choisira le satellite et le lanceur pour le mettre en orbite en 2016. "Ils ont fait preuve d'un grand professionnalisme dans le cadre de cet appel d'offre, constate-t-on chez TAS. Visiona a beaucoup profité de l'expérience des équipes d'acheteurs d'Embraer, dont les équipes ont l'habitude d'acheter aux quatre coins du monde. Ce sont de très bon acheteur". Ainsi, Visiona respecte le calendrier à la semaine près. "Ce qui est rare au Brésil", note un négociateur.

C'est finalement au cœur de l'été, à la mi-août, que Visiona sélectionne TAS pour fabriquer le satellite. Il faudra ensuite environ quatre mois pour que Visiona signe vers la fin novembre un contrat avec Telebras. Enfin, Visiona et Thales Alenia Space parapheront quant à eux le contrat le 12 décembre en présence de François Hollande en visite au Brésil. Soit un contrat de 1.800 pages, y compris les annexes. "Quatre mois pour finaliser un tel contrat, c'est habituel. Et 1.800 pages, c'est un gage de sécurité pour nous comme pour eux". Un contrat qui pourrait être le début d'une longue histoire entre TAS et le Brésil. Car le Brasilia nourrit de grandes ambitions en matière spatiale. Déjà un deuxième satellite devrait suivre (SGDC-2) deux ans plu tard pour un montant estimé à plus de 275 millions d'euros.

Michel Cabirol

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Commentaires 6
à écrit le 18/12/2018 à 15:24
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juste pour information Thales Alenia Space est une société franco - italienne

à écrit le 24/12/2013 à 8:43
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Il serait bon de se relire quand on écrit des articles de presse!!!! Surtout pour un "Rédacteur en chef". "notre équipe était soudée et qu'elle avaient", "Ce sont de très bon acheteur"....

à écrit le 20/12/2013 à 10:07
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"Ce type de satellite faisait sens pour..." erreur classique qui se retrouve de plus en plus... On dit AVOIR DU SENS. "Faire sens" n'est qu'une traduction fatigante de to make sense.

à écrit le 19/12/2013 à 9:08
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Tines, M. Cabirol tente d'allumer un contre-feu avec son micro-contrat de satellite ?

à écrit le 19/12/2013 à 9:03
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après plus de 6 ans d'efforts.... des industriels et de nos politiques ...il était temps.... que le Brésil se décide...

à écrit le 19/12/2013 à 9:03
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après plus de 6 ans d'efforts.... des industriels et de nos politiques ...il était temps.... que le Brésil se décide...

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