L'aéronautique est une réponse à la désindustrialisation mais...

Les investissements de l'État dans la filière de Défense ont toujours été une des clés du leadership français dans l'industrie aéronautique civile. Un modèle à long terme qui pourrait être mis à mal par des décisions court-termistes.
Michel Cabirol
Les cadences d'Airbus augmente d'année en année

Les PDG des sept plus grands groupes de Défense français ont été clairs avec le gouvernement. Très clairs. Faute d'un investissement stable et minimum dans la Défense, ces entreprises (Airbus Group, Safran, Thales, Dassault Aviation, DCNS, Nexter et MBDA) pour la plupart duales (militaires et civils) mettront les voiles à l'étranger si les pouvoirs publics réduisent une nouvelle fois le budget de la Défense, la variable d'ajustement de tous les gouvernements - de droite comme de gauche depuis plus de vingt ans. Une menace qui plane en permanence sur ce budget, à l'image du blitzkrieg de Bercy déclenché en mai dernier pour le réduire à nouveau.

Menaces explicites

Les sept PDG avaient adressé un courrier à François Hollande pour l'avertir des conséquences « dramatiques » d'une telle initiative. Un courrier dans lequel on apprend notamment que l'enracinement de l'industrie aéronautique tricolore en France ne tient finalement que par l'exécution d'un budget de la Défense raisonnable. Les sept PDG le disent sans faux-semblants :

« Les entreprises duales seraient contraintes d'en tirer les conséquences [si le budget de la Défense baissait à nouveau, ndlr] et accéléreraient leur mutation en privilégiant les activités civiles. Elles seraient alors soumises aux seules contraintes concurrentielles mondiales (parité euros/dollar, coût du travail, fiscalité...) qui placeront l'équation nationale au second plan ».

C'est déjà plus ou moins le cas avec la réduction constante des budgets de Défense en Europe. Cette industrie devient de plus en plus civile a averti le président du Gifas (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales), Marwan Lahoud, lors de la présentation fin avril du bilan de la fédération. Ainsi, les commandes civiles ont représenté 83% du total des commandes du secteur en 2013. C'était aussi le cas en 2012 et 2011 (respectivement 86% et 87%). En 2003, les commandes étaient nettement plus équilibrées : 58% pour le civil, 42% pour le militaire.

Intox ?

Quelles seraient les conséquences d'une nouvelle réduction du budget de la Défense ? Elle aurait, selon ces sept PDG, des conséquences en termes de « licenciements, de décrochage technologique, de perte de compétitivité et de souveraineté, de déclassement et de désindustrialisation ».

Et d'estimer que « de nombreux fournisseurs, ETI et PME, n'y survivraient pas. Les entreprises tournées vers les seuls marchés de Défense seraient, pour leur part, victimes d'une anémie, qui rapidement ne leur laissera d'autre alternative que de passer sous la coupe de sociétés étrangères ou de disparaître ».

Un grand patron du secteur évalue entre 12.000 et 18.000 suppressions d'effectifs dans la filière (emplois directs et indirects), dont 6.000 à 9.000 emplois directs, si le budget de la Défense était réduit de 1 milliard d'euros. Par exemple, Airbus Group est déjà en train de supprimer 1.300 postes en France en raison de l'actuelle loi de programmation militaire.

Intox ? Pas sûr, même si le tableau dessiné par les sept patrons semble trop sombre. La plupart de ces groupes ont déjà une belle empreinte internationale, renforcée ces dernières années par une accélération des investissements à l'étranger pour conquérir les nouveaux marchés. C'est le cas d'Airbus, qui aura bientôt deux chaînes d'assemblage hors d'Europe, une à Tianjin en Chine et l'autre bientôt aux États-Unis (à Mobile en Alabama), où l'avionneur entraîne la plupart de ses sous-traitants.

Et demain, pourquoi pas une chaîne de Falcon, les avions d'affaires de Dassault Aviation, aux États-Unis ? Enfin, que va-t-il se passer le jour où il y aura un retournement de cycle dans l'aéronautique civile ? Quels sites les directions générales fermeront-elles : ceux implantés en Europe ou les autres ? À suivre.

Un décrochage technologique

Une chose est sûre, sans un effort budgétaire de la part de l'État, les industriels n'investiront plus dans la Défense. Pour trois raisons : les volumes restent trop faibles, les coûts de production sont élevés et l'euro est une monnaie forte.

« Notre job d'industriel est de nous adapter aux situations, explique l'un d'entre eux. Sans l'État, nous n'investirons pas dans la Défense, donc nous réduirons nos capacités industrielles en France et nous basculerons complètement vers le civil, qui est une industrie mondialisée. »

Et de rappeler à ceux qui pensent que les emplois perdus dans le militaire pourront rester au chaud dans le civil, en attendant des jours meilleurs, se trompent lourdement. "Les capacités que l'on abandonne, on ne les récupère pas", affirme un autre grand industriel.

Ne pas investir dans la Défense, c'est décrocher inexorablement dans le civil, estime-t-il. Car l'industrie française, qui est un concurrent et un partenaire respecté dans le monde entier, reste encore compétitive grâce au développement de ses technologies souvent issues de la Défense et qui ont irrigué le civil.

Car l'enjeu est aussi, explique cet industriel, « notre capacité à rester parmi les leaders mondiaux dans le civil ».

Par exemple, Messier-Bugatti-Dowty, une filiale de Safran, est un des leaders mondiaux dans le domaine du freinage des avions commerciaux grâce à ses freins carbone, une technologie développée pour l'aéronautique.

L'Etat dans la filière industrielle

En 2013, c'est EADS (devenu Airbus Group) qui a touché le jackpot grâce aux commandes de la Direction générale de l'armement (DGA) avec 1,94 milliard d'euros engrangés dans ses comptes.

Un montant ventilé entre les différentes filiales du groupe européen : Astrium (780 millions d'euros), Airbus (576 millions), Eurocopter (409 millions), Cassidian (132 millions), EADS Casa (36 millions). Sur le podium, le groupe naval DCNS a pris la deuxième place (1,82 milliard) et Thales (1,47 milliard) la troisième.
L'équipementier Safran a quant à lui engrangé l'an dernier 1 milliard d'euros, suivi par l'avionneur Dassault (656 millions), le groupe d'armement terrestre Nexter (529 millions), le missilier MBDA (498 millions) et, enfin, le constructeur de blindés légers Renault Trucks (128 millions).

En outre, la DGA a distribué 1,2 milliard d'euros à l'ensemble des entreprises de la filière Défense, notamment les PME, qui ont également été irriguées par les grands maîtres d'oeuvre. Enfin, elle a contribué fortement au budget du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), avec 1,4 milliard d'euros, et à celui du CNES (105 millions). Soit un total de 10,83 milliards d'euros de paiements effectués en 2013 (10,9 milliards en 2012) par la DGA.

Un secteur clé

Que pèse le secteur aéronautique et Défense, la troisième industrie tricolore ? En 2013, le chiffre d'affaires des entreprises du Gifas s'est élevé à 47,9 milliards d'euros, en augmentation de 9% à périmètre constant. La part à l'exportation (30,4 milliards), qui a connu une très forte progression (+ 11,4%), représente 79 % du chiffre d'affaires consolidé. En terme de commandes, 2013 a été une « année record » avec 73,1 milliards d'euros de prises de commandes, soit un bond de 49% par rapport à 2012, principalement grâce au secteur civil. Le carnet de commandes global représente entre cinq à six années de production.

Les équipementiers et les PME, qui forment la « supply chain », affichent quant à eux un chiffre d'affaires estimé de 15,1 milliards (+ 7% à périmètre constant) et 13,3 milliards de commandes (+ 12%). 2013 a également été une année record en matière d'emplois, avec 177.000 personnes travaillant dans le secteur (170.000 en 2012). Les entreprises ont recruté l'an dernier 13.000 personnes pour un solde positif de 6.000 emplois net créés.

Enfin, le chiffre d'affaires généré par les entreprises intervenant dans le domaine de la Défense s'élevait à 17,5 milliards d'euros en 2011 (dernier chiffre donné par le CIDEF, le Conseil des industries de Défense françaises), dont 35% à l'exportation pour des effectifs estimés à 80.000 emplois directs et 85.000 indirects. Un enjeu tel que même Bercy doit lever les yeux de sa calculette pour prendre en compte la capacité de la France à maintenir une recherche, une industrie, des emplois à un niveau élevé.

Michel Cabirol

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Commentaires 5
à écrit le 11/11/2015 à 3:24
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Comment font les israeliens pour construire une industrie de la defense performante malgre un budget de defense pas si enorme ?

à écrit le 09/07/2014 à 19:39
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"Et demain, pourquoi pas une chaîne de Falcon, les avions d'affaires de Dassault Aviation, aux États-Unis ? " Il me semble qu'il y a déjà les aménagements intérieurs

à écrit le 08/07/2014 à 14:00
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"...mettront les voiles à l'étranger si les pouvoirs publics réduisent une nouvelle fois le budget de la Défense..." Faisons la guerre à tout le monde, au moins il y aura des emplois !!!

le 08/07/2014 à 15:34
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Cela n'a rien à voir avec la guerre. Justement être bien armé évite souvent la guerre. Ne pas confondre

à écrit le 08/07/2014 à 12:22
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aucun industriel sereiux ne garde une base lourde dans un pays ou il ecoule peu de produits, en particulier si celui ci est ' competitif a la francaise'

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