Comment l'Etat s'est invité à la succession de Serge Dassault

Un pacte non concertant a été conclu entre Groupe Industriel Marcel Dassault, actionnaire majoritaire de Dassault Aviation, et l’Etat. Il confère à l’Etat un droit de préemption sur tout transfert de titres Dassault Aviation par GIMD lui faisant franchir à la baisse le seuil de 40 % du capital de Dassault Aviation. Objectif, protéger les intérêts stratégiques de l'Etat dans Dassault Aviation.
Michel Cabirol
Dassault Aviation qui a racheté 8 % de ses actions détenues par Airbus Group, a noué un pacte non concertant avec l'Etat

Quelle cruelle ironie du sort. Au moment où l'Etat français est complètement à sec, Airbus Group vend à Dassault Aviation une partie de sa participation qu'il possède dans l'avionneur (8 % sur les 46,32 % au total)... que l'Etat avait offert sur un plateau d'argent à Matra à l'occasion de son hold-up sur Aerospatiale (1998). Une participation transmise ensuite au groupe franco-allemand EADS à sa création en 2000, devenu Airbus Group (2014). Le groupe européen avait annoncé son souhait de se désengager progressivement du capital de l'avionneur en juillet dernier.

Si Tom Enders était quelque peu taquin, il pourrait envoyer un petit mot de remerciement au Premier ministre de l'époque Lionel Jospin et de son ministre de l'Economie Dominique Strauss-Kahn pour leurs largesses vis-à-vis de Jean-Luc Lagardère, l'emblématique patron du Groupe Lagardère. Car le patron d'Airbus Group ramasse à l'occasion de cette cession de gré à gré entre les deux groupes la très coquette somme de 794 millions d'euros (soit 980 euros par action) malgré une décote de 9,2 % par rapport au dernier cours de bourse (1.079 euros à la fermeture de la bourse de Paris vendredi). Ce qui valorise Dassault Aviation à environ 10 milliards d'euros. Au-delà, cette opération de cession par Airbus Group entérine l'échec du vieux rêve du groupe européen de mettre un jour la main sur Dassault Aviation comme cela avait été le cas au début des années 2000.

L'Etat s'est invité dans la succession de serge Dassault

Où en est l'Etat aujourd'hui dans ses relations compliquées avec les industriels de la défense en général, et Dassault en particulier ? Il semble qu'il a été plutôt opportuniste lors de cette opération entre Airbus Group et Dassault Aviation. Avec une seule action Dassault Aviation en sa possession mais lié par un pacte d'actionnaires avec Airbus Group, il s'est invité dans la succession de Serge Dassault pour préserver ses intérêts stratégiques et de souveraineté au sein de l'avionneur. Le Rafale est le vecteur de la composante nucléaire aéroportée française.

Comment ? L'État a d'abord "permis" cette opération de cession d'un bloc de 8 % du capital de Dassault Aviation en renonçant à exercer son droit de préemption qui lui avait été conféré par le pacte d'actionnaires établi entre Airbus Group et l'État le 21 juin 2013. L'Etat a mené une longue réflexion à laquelle ont été associés des experts et des juristes pour savoir s'il exerçait ou pas son droit de préemption pour protéger ses intérêts au sein de l'avionneur. "Nous avons passé beaucoup de temps à rationaliser notre crainte le jour où la famille Dassault sort de Dassault Aviation", précise-t-on dans l'entourage du ministre de la Défense. Et d'assurer que cette demande n'est aucunement "une question de défiance" vis-à-vis de la maison Dassault. Pas question non plus pour l'Etat de s'ingérer dans la gestion du groupe.

Une décision également facilitée par la décision de la direction de Dassault Aviation d'annuler 9 % des actions auto-détenues. Du coup, mécaniquement, Airbus Group remontera de 38,32 % à 42,11 % des actions Dassault Aviation et des droits de vote y afférent. A ce titre, Airbus Group sollicitera une dérogation au dépôt obligatoire d'un projet d'offre publique auprès de l'AMF (Autorité des marchés financiers).

Une convention entre l'Etat et GIMD

En contrepartie de son renoncement à exercer son droit de préemption, l'État - via l'agence des participations de l'État et la direction générale de l'armement - et le groupe industriel Marcel Dassault (GIMD), actionnaire majoritaire de Dassault Aviation, ont conclu vendredi "une convention d'une durée minimale de 20 ans permettant à l'État d'assurer la défense de ses intérêts essentiels en cas d'évolution du contrôle de cette entreprise stratégique, du fait notamment de sa contribution à la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire", selon un communiqué commun des trois ministères (Finances, Défense et Economie) publié vendredi. Un accord jugé "historique" par l'Etat puisque "pour la première fois dans leur histoire un mécanismeconventionnel les lie directement".

Cette convention prévoit d'octroyer à l'État un droit de préemption en cas de cession d'actions par GIMD entraînant sa perte de contrôle sur Dassault Aviation. Soit si GIMD devait franchir à la baisse le seuil de 40 % du capital de Dassault Aviation. Ce droit de préemption s'appliquera également à toute cession ultérieure de titres Dassault Aviation effectuée par GIMD après la perte de son contrôle. "Cette convention n'est pas constitutive d'une action de concert entre les parties, chacune conservant son entière liberté de gestion de sa participation et d'exercice de ses droits de vote", a expliqué le communiqué de l'Etat.

Pourquoi Dassault a-t-il accepté cette contrepartie?

Pour Dassault Aviation, le rachat de 8 % de ses actions puis de l'annulation de 9 % de ses actions détenues en auto-contrôle lui permet d'accroître la rentabilité des fonds propres et le résultat par action. En outre, Airbus Group s'est engagé à céder jusqu'à 10 % du capital de Dassault Aviation supplémentaire avant le "30 juin 2015", selon le groupe européen. Airbus Group s'est engagé "à servir Dassault Aviation, pour la moitié des titres placés et dans la même limite globale de 5 % du capital de Dassault Aviation". Soit au prix maximum de 980 euros par action. "Dans le cas où le prix d'un placement serait supérieur à 980 euros, le prix des actions Dassault Aviation cédées à Dassault Aviation concomitamment à ce placement serait plafonné à ce prix alors que le prix des actions cédées à des tiers resterait inchangé", a expliqué Airbus Group.

Ce nouveau désengagement donnera la possibilité à Dassault Aviation de céder ou attribuer des actions aux salariés et dirigeants de la société et/ou des sociétés qui lui sont liées dans les conditions. Enfin, la direction de l'avionneur pourrait également conserver des actions en vue d'une utilisation ultérieure, pour les remettre en paiement ou en échange, notamment dans le cadre d'éventuelles opérations de croissance externe, dans la limite de 5 % du capital social. Afin de permettre la mise en œuvre de cet accord, le conseil d'administration de Dassault Aviation a décidé de convoquer une assemblée générale des actionnaires qui se réunira fin janvier 2015 afin de statuer sur la mise en place éventuelle d'un nouveau programme de rachat d'actions.

Enfin, cette seconde opération permettrait d'accroître la liquidité du titre Dassault Aviation, dont seuls 3 % est flottant, ce qui limite fortement la possibilité pour des tiers d'acheter ces titres. Pour Airbus Group, elle offre la perspective de céder des parts dans des conditions plus avantageuses.

Michel Cabirol

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Commentaires 4
à écrit le 01/12/2014 à 20:09
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" l'Etat avait offert sur un plateau d'argent à Matra à l'occasion de son hold-up sur Aerospatiale (1998)." Attention à la diffamation publique..... "Car le patron d'Airbus Group ramasse à l'occasion de cette cession de gré à gré entre les deu...

à écrit le 01/12/2014 à 13:57
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Il serait tant que Serge laisse à son fils Olivier , pilote et ingénieur, les rênes de la boutique . A bientôt 90 ans ....

le 01/12/2014 à 15:33
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Serge a quitté la présidence en 2000, et si le fils n'a pas été choisi pour la succession, c'est qu'il devait y avoir de bonnes raisons!!!!!!!!!!!!

à écrit le 01/12/2014 à 10:42
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La BCE va entrée au capital ?

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