Quand la France redécouvre enfin l'importance de son armée

Par Michel Cabirol  |   |  1629  mots
Le ministère de la Défense mobilise depuis le 7 janvier 10.500 militaires dans le cadre de "Vigipirate alerte attentat"
Pour faire face aux menaces, François Hollande a décidé d'alléger les réductions d'effectifs dans les armées de 7.500 hommes. Pourtant elles étaient déjà connues au moment de la préparation du Livre blanc sur la défense.

Bercy-Brienne, on refait le match... Deux ans après une guerre en coulisse homérique entre le ministère de la Défense et celui des Finances à l'occasion de la préparation du Livre blanc sur la défense, puis de la loi de programmation militaire (LPM), qui définit le cadre budgétaire sur la période 2014-2019, les deux ministères s'affrontent à nouveau pour dégager des marges de manœuvre au regard des menaces qui pèsent sur la France. Elles ne sont pourtant pas nouvelles, elles avaient été même parfaitement diagnostiquées dans le Livre blanc de 2013. Et pourtant, ces menaces ont systématiquement été sous-estimées avec des budgets contraints votés puis largement sous-exécutés au fil des révisions générales des politiques publiques (RGPP). Il suffit pourtant de relire le livre blanc de 2013 et de trouver des passages sur la faiblesse d'un État - on le voit avec l'Irak, la Libye, le Mali... - et sur la menace terroriste.

"La publicité qui est donnée (aux terroristes, ndlr) concourt à entretenir le phénomène terroriste. Elle favorise en effet l'auto-radicalisation d'individus isolés qu'attire la perspective d'avoir, par leurs actions, un impact global à la mesure du ressentiment qui les habite". L'attaque contre Charlie Hebdo est là pour illustrer le diagnostic établi en 2013 et on ne peut que regretter la pauvreté de la réponse de l'État face à cette menace avec la diminution des effectifs des armées.

Les gouvernements de gauche comme de droite ont préféré réduire les effectifs, et donc les contrats opérationnels des armées au profit des économies budgétaires exigées par Bercy. François Hollande tout comme Nicolas Sarkozy n'ont pas compris toute l'importance d'un outil militaire suffisamment doté pour remplir ses missions fondamentales. Des armées qui pour autant doivent poursuivre leur indispensable optimisation. Dans les armées, on commence même à évoquer de plus en plus d'interventions extérieures low-cost. Au Mali, par exemple, les soldats sont restés huit mois à manger matin, midi et soir leur ration de combat.

Armée : plus les moyens d'assurer ses missions sur le long terme

Aujourd'hui, l'État s'aperçoit naïvement (beaucoup trop d'ailleurs) qu'il n'a pas les moyens d'assurer plus d'un mois le plan "Vigipirate alerte attentat", qui mobilise depuis le 7 janvier, 10.500 militaires et coûte 1 million d'euros par jour au ministère de la Défense. "C'est la première fois qu'une mobilisation (militaire) de cette ampleur (intervient) sur notre territoire", avait expliqué le ministre de la Défense, jan-Yves Le Drian. Mais cette mobilisation ne peut qu'être exceptionnelle. "Nous avons fait savoir que ce dispositif était exceptionnel", souligne-t-on dans l'entourage du ministre. Nous pouvons garantir un mois".

Car la mobilisation de 10.500 soldats, ajoutés à celle des effectifs en opérations extérieures (9.000 militaires actuellement), entraine déjà un certain nombre de problèmes pour le ministère de la Défense. "Cela ne pourra pas durer ad vitam æternam, assure-t-on au ministère de la Défense. Il faut trouver la meilleure façon d'assurer la protection des Français. Car d'ici une semaine à quinze jours, il faudra remettre en cause des exercices importants, des permissions, s'il n'y a pas de relève". D'autant que l'armée a dû également redéployer entre 1.000 à 1.500 militaires supplémentaires pour protéger ses sites et  forces. "Les tensions sont extrêmement fortes pour tenir tous nos engagements", précise-t-on.

Allégement des déflations d'effectifs

Last but not least, les 33.675 suppressions d'effectifs annoncées dans la  LPM 2014-2019 (environ 7.900 en 2014, 7.500 en 2015, 7.400 en 2016 et 2017 et enfin 3.500 en 2018) sont visiblement celles de trop après les 48.325 effectuées par les gouvernements Fillon entre 2008 et 2012. Soit 82.000 entre 2008 et 2019. "Les tensions nous apparaissaient de plus en plus insupportables pour remplir nos engagements extérieurs et il fallait actualiser le contrat Protection défini dans la LPM (dans le cadre de Vigipirate alerte attentat, ndlr), note-t-on dans l'entourage de Jean-Yves Le Drian. L'équation devient de plus en plus difficile. Plus on avançait, plus on mettait le dispositif militaire à l'os".

C'est pour cela que François Hollande a demandé mercredi lors d'un conseil de défense à Jean-Yves Le Drian "de lui proposer quelque chose qui répond à cette préoccupation". D'ores et déjà ce qui a été acté lors du conseil de défense, c'est une moindre déflation de 7.500 militaires sur la période 2015-2018, dont 1.500 dès 2015. "Cela nous permet de retrouver un peu d'oxygène pour que les restructurations puissent être vécues plus sereinement, pour que l'on garde la qualité de nos interventions à l'extérieur, pour mobiliser à tout moment 10.000 hommes pour un mois", a-t-on souligné au ministère de la Défense. Et en prime, cela permet enfin de "formaliser le contrat protection". Ce qui n'avait pas été le cas jusqu'ici...

Enfin, le ministère pourra également recruter 250 postes supplémentaires dans le domaine du renseignement : 185 à la DGSE ert 65 à la DPSD (direction de la protection et de la sécurité de la défense). Ce qui permettra d'accélérer "l'élan" vers la cyberdéfense et d'embaucher des experts et des analystes pour traiter les flux de plus en plus d'informations.

Vers la réactualisation de la LPM

Ce "quelque chose", ce n'est ni plus ni moins une "actualisation" de la LPM sur la base d'une nouvelle analyse des menaces et des contrats opérationnels des armées. Et le ministère de la Défense veut aller vite. "Beaucoup plus tôt que prévu, explique-t-on dans l'entourage du ministre. L'actualisation de la LPM doit se faire avant l'été, il faut qu'elle soit au Parlement au mois de juin". C'est certainement dans ce cadre que Bercy risque de freiner des quatre fers.

Car l'Hôtel de Brienne a de grandes ambitions. Tout peut être mis sur la table. Enfin presque. "Nous pouvons avancer la livraison de certains matériels, faire des achats d'urgence (...). Tout le monde sait que nous sommes en manque d'hélicoptères. Il n'y a pas de conclusions pour le moment".

Création de sociétés de projets

Lors de conseil de défense, l'Hôtel de Brienne a proposé de créer deux sociétés de projets à capitaux publics (SPV ou Special Purpose Vehicle) pour trouver les 2,2 milliards d'euros qui lui manquent dans son budget 2015 au titre des recettes exceptionnelles. Car il est probable que le produit de la cession des fréquences TNT de la bande 700 Mhz (environ 2,6 milliards d'euros) n'arrive pas à temps cette année pour compléter le budget du ministère. L'Hôtel de Brienne a besoin d'un "dispositif mis en place rapidement. Nous pensons l'avoir trouvé". L'idée de ces SPV est d'acheter à l'État des matériels militaires pour les relouer dans la foulée à l'armée. ce qui permettra de stabiliser le budget du ministère de la Défense à 31,4 milliards cette année comme François Hollande l'a promis à plusieurs reprises, notamment lors du dernier conseil de défense.

En pratique, l'armée française pourrait louer sept à huit avions de transport militaire A400M et trois frégates multimissions auprès d'une ou deux sociétés publiques à partir de cet automne, a-t-on expliqué au ministère de la Défense. La France possède déjà six A400M livrés par Airbus Group et compte en réceptionner un ou deux de plus d'ici à l'automne, tandis que les trois frégates sont construites par le groupe naval DCNS. Les SPV seront capitalisées grâce à la cession de nouvelles participations de l'Etat dans des sociétés publiques n'appartenant pas forcément au secteur de la défense. "Le schéma est simplissime : une ou deux sociétés publiques françaises pour du matériel militaire destiné à l'armée française", a-t-on souligné.

Les autres recettes des cessions identifiées de bien immobiliers devraient avoisiner 500 millions d'euros, notamment avec l'ensemble Bellechasse (Pavillon de Penthemont, Abbaye de Penthemont et Hôtel du génie). En revanche, le gouvernement ne souhaite pas lancer un nouveau programme d'investissements d'avenir (PIA), a-t-on précisé au ministère de la Défense, ni octroyer de nouveaux crédits budgétaires.

Bercy renacle

Une proposition qui n'avait pas été mercredi validée par François Hollande. La réponse de Bercy est pour l'instant plutôt négative, en raison du surcroît de dépenses que la location induira et de son impact sur les déficits publics, au moment où Paris doit donner des gages de sérieux budgétaire à Bruxelles. "Soit le ministère des Finances fait une contreproposition, soit il n'en fait pas et nous mettrons en place le dispositif des SPV (sociétés de projet). Il n'y a pas d'autre solution à ce stade", martèle-t-on à l'Hôtel de Brienne, qui a besoin en outre d'un nouveau cadré législatif.

"Tout ceci demande à être peaufiné", explique-t-on au ministère. C'est pour cela que le ministre de l'Economie Emmanuel Macron, en faveur de cette proposition contrairement à Michel Sapin, et le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian recevront mardi prochain lors d'un déjeuner les dirigeants des six groupes français de défense concernés par les sociétés de projet - Airbus Group, Safran , Thales, DCNS, Dassault Aviation et le groupe de formation et d'assistance DCI. Dans un second temps, la France pourrait envisager d'ouvrir le capital des sociétés de projet à des investisseurs privés ou des fonds, étendues à des prestations de services, a précisé la même source. Des SPV pourraient même être créées pour louer des matériels militaires à d'autres États, faute de pouvoir les vendre.