Armement : les exportations sont-elles une menace sur l'autonomie de la France ?

Selon une étude de l'IFRI, les ventes d'armes pourraient restreindre l'autonomie de la France. Tout comme il existerait une possibilité de voir l'importance des exportations en termes industriels et économiques guider des décisions diplomatico-stratégiques.
Michel Cabirol
Selon Frost & Sullivan, le montant des offsets devrait passer de 36,36 milliards de dollars en 2012 à 49,61 milliards en 2021.
Selon Frost & Sullivan, le montant des offsets devrait passer de 36,36 milliards de dollars en 2012 à 49,61 milliards en 2021. (Crédits : DCNS)

Depuis quatre ans, les exportations de systèmes d'armes "Made in France" battent record sur record, avec un sommet himalayen atteint en 2015 (16,92 milliards d'euros). Tout a été écrit, décortiqué et analysé sur les raisons des succès à l'international des mousquetaires industriels français. Toutefois, personne ne s'était réellement interrogé sur les risques que pouvaient poser ces ventes d'armes sur les intérêts français jusqu'à ce que l'IFRI publie une étude intitulée "La politique française de soutien à l'export de défense". Selon Lucie Béraud-Sudreau, l'auteur de cette publication, "on peut émettre l'hypothèse que les ventes d'armes restreignent l'autonomie même de la France qu'elles devraient au contraire contribuer à garantir".

Exportation, un enjeu économique trop fort

Selon cette étude, la recherche systématique de contrats à l'export au nom de l'autonomie stratégique peut créer une dépendance auprès des Etats clients. Alors que l'industrie de défense française était en 2012 dépendante des exportations pour son chiffre d'affaires à hauteur de 20%, le PDG de DCNS Hervé Guillou a récemment estimé que le groupe naval l'était à hauteur de 50%. "On peut dès lors se demander si l'enjeu économique des exportations ne peut prendre le pas sur les autres enjeux liant la France à ses partenaires stratégiques", s'interroge Lucie Béraud-Sudreau. Et de rappeler également que la loi de programmation militaire 2014-2019 reposait sur le pari de l'exportation du Rafale en vue de parvenir aux équilibres financiers de cette LPM. Pari gagné avec les ventes de l'avion de combat tricolore à l'Egypte, au Qatar et à l'Inde.

En outre, l'auteur de l'étude estime que la nécessité d'exporter fait également courir "un risque à l'autonomie stratégique de la France" en devenant prioritaire par rapport aux besoins des forces armées françaises. Ainsi, six Rafale ont été prélevés sur les livraisons programmées pour l'armée de l'air pour être livrés à l'Egypte et la formation des pilotes étrangers consomme d'importantes ressources utiles aux aviateurs. Enfin, Lucie Béraud-Sudreau s'interroge sur "la possibilité de voir l'importance des exportations en termes industriels et économiques guider des décisions diplomatico-stratégiques". Cela a été le cas avec l'Arabie Saoudite où la France s'est complètement alignée sur la politique extérieure du royaume wahhabite. En pure perte?

"Dans ce cas, les ventes d'armes, au lieu d'être une conséquence positive des partenariats stratégiques signés par le pouvoir politique avec d'autres États, deviendraient au contraire l'objectif principal de la recherche de tels partenariats", écrit-elle.

Les exportations d'armement "comportent des risques intrinsèques pour les forces armées françaises", souligne Lucie Béraud-Sudreau. L'exemple le plus connu est celui de la Guerre du Golfe au cours de laquelle les forces aériennes françaises ont dû faire face aux Mirage-F1 vendus quelques années plus tôt à Saddam Hussein. Cela a été le cas plus récemment avec la Libye. En 2007-2008, la France signe avec le régime de Kadhafi un contrat pour la modernisation des avions de combat Mirage F1 et des missiles antichar Milan.

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Les transferts de technologie sont-ils un risque?

Les transferts de technologies (ToT) sont-ils un risque qui pèse à long terme tant sur le plan industriel que stratégique, renforçant aujourd'hui nos concurrents et/ou adversaires de demain ? Selon cette étude, "ces transferts comportent des risques, pour le gouvernement comme pour les industriels, liés à la perte potentielle d'une avance technologique, puisque les transferts doivent permettre aux pays bénéficiaires de combler leur écart technologique avec les États exportateurs". Concrètement, les ToT entrainent l'apparition de nouveaux acteurs sur le marché mondial des armes tandis que les offsets (compensations) détruisent des emplois sur les marchés domestiques en incluant une production et/ou une maintenance locales partielles ou non.

"Il est d'ores et déjà possible d'observer les conséquences de transferts de technologie d'hier, précise l'auteur de l'étude (...) En 1980, la France a vendu via Aérospatiale (aujourd'hui Airbus) 50 licences pour des hélicoptères AS-365 Dauphin/AS-565 Panther à la Chine. Mais, dans les années 1990, la Chine a poursuivi la production de ces hélicoptères au-delà du nombre de licences autorisées. Grâce au savoir-faire acquis, la Chine produit aujourd'hui le Z-9, considéré comme l'un de ses principaux hélicoptères militaires qu'elle a pu ensuite exporter au Cambodge, au Pakistan, en Namibie ou en Zambie".

Malgré les risques inhérents aux transferts de technologie, ceux-ci sont devenus de plus en plus importants ces dernières années, explique-t-elle. En 2014, Avascent a estimé que les obligations de compensation dans le commerce des armes s'élevaient à 32 milliards de dollars. Selon Frost & Sullivan, le montant des offsets devrait passer de 36,36 milliards de dollars en 2012 à 49,61 milliards en 2021. La revue Jane's a également calculé que, entre 2012 et 2022, les entreprises de défense détiendraient des obligations de compensation à hauteur de 100 milliards de dollars en dehors des marchés européens et américains. Certainement des bombes à retardement pour les industriels occidentaux...

Michel Cabirol

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Commentaires 15
à écrit le 10/06/2017 à 21:56
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On a vendu des Rafales ... bravo! (mais à quel prix? Je ne sais!). On a (sans doute) oublié de prévenir Dassault! Il n'a (quasiment pas) augmenté sa capacité de production (faut "investir" un peu, peut-être?) et nous livrons à nos "clients" des appar...

à écrit le 08/06/2017 à 18:32
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Dans la mesure où une Ministre non motivée pour les Armées, irresponsable, ignorante,et fictive a été mise en place aux armées, sous tutelle absolue de Bercy, que déjà avant mi-mai, deux tiers !! des équipements étaient H.S faute de budget maintenanc...

à écrit le 08/06/2017 à 18:23
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Et arretez un peu de faire croire que la chine copie les technos francaises que nous inventons ! C'est vrai mais pas seulement, c'est qu'une part de la vérité, nous sommes les chinois des anglo saxons, on achete, demonte, copie leurs technos (awacs, ...

le 08/06/2017 à 20:01
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On tient ici notre petit troll haineux de la journée. Tu travailles pour spoutniknews ? en parlant des russes, ils ont inventé quoi au juste au 20eme siècle ? le programme spatial russe est un copier coller des technologies développées par des alle...

le 10/06/2017 à 12:56
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Cocorico ! Bon, nous ne sommes peut-être pas les meilleurs [ dans tous les domaines, :>) ], mais nous ne sommes pas à la traine non plus ! Et même souvent en pointe, ne vous en déplaise ! Même si je suis convaincu que l’Etat et les entreprises n’in...

à écrit le 08/06/2017 à 17:19
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Excellent article. Il faut cependant relativiser le risque de perte d'autonomie si on vend des avions à l'Inde ou à des pays du Golfe. de telles ventes ont eu lieu depuis des années (l'Inde depuis les années 1950 avec qui nous avons un partenariat t...

à écrit le 08/06/2017 à 17:09
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Les Armées n'ont plus de ministre depuis le 17 Mai, alors Bercy, qui n'en veut pas, se " dévoue " ( pour les liquider)

à écrit le 08/06/2017 à 14:23
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Votre commentaire

à écrit le 08/06/2017 à 10:38
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Nos exportations françaises dont personnellement je me réjouis, nous obligent à une certaine neutralité . Nos voisins allemands qui l'ont bien compris se mêlent moins de politique étrangère que la France qui se veut le pays qui donne des leçons de dé...

à écrit le 08/06/2017 à 10:32
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Ca m'a l'air d'être une psychose bien franco-française. Les Américains, eux, ne se posent pas de question: ils vendent à tour de bras.

à écrit le 08/06/2017 à 8:02
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Les exportations créent par définition des interdépendances. Donc oui, il faut admettre qu'on puisse avoir une (petite) perte d'autonomie à chaque fois qu'on exporte. Mais cela vaut aussi pour le pays importateur! Acheter des armes à l'étranger suppo...

le 08/06/2017 à 11:35
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Vous direz ca aux familles des soldats tues par les armes francaises qu on a vendu (et encore, Saddam n a jamais paye les armes, c est au final le contribuable francais (coface) qui a paye pour des avions qui ont fini en iran). Il y certes un lege...

le 08/06/2017 à 16:53
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Bonjour, . "et encore, Saddam n a jamais paye les armes" => Je pense que c'est plutôt l'inverse comme détaillé sur ce lien http://www.lepoint.fr/actualites-monde/2010-02-11/grosse-embrouille-autour-des-mirage-f1-irakiens/1648/0/423106 . "c est...

le 08/06/2017 à 21:02
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aujourd'hui encore, la grande majorité des prêts consentis par la Coface est garantie par l'Etat français surtout quand ils concernent des domaines sensibles comme l'armement ou le nucléaire. Quand aux prêts garantis avant la "privatisation", c'est...

le 08/06/2017 à 22:56
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La diplomatie n’est pas la recherche de la solution parfaite, c’est trouver un équilibre entre différents risques. Et ce, même si le but n'est pas non plus de distribuer automatiquement des armes à nos futurs ennemis. Mais l'export, en contribuant...

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