Armement : les trois dossiers très sensibles entre Ryad et Paris

Naval (patrouilleurs, corvettes, frégates), spatial (satellites d'observation et de télécoms), défense aérienne (Mark 3). Trois dossiers de très long cours entre l'Arabie Saoudite et la France, sur lesquels Paris espère beaucoup sans aucune garantie.
Michel Cabirol
Sur la période 2010-2014, Ryad a acheté pour 7,9 milliards d'euros d'armements français

Le jackpot saoudien pour la France attendra. Car la visite à Paris fin juin du ministre de la Défense saoudien, le prince Mohamed Bin Salman Bin Abdul Aziz Al Saoud, également vice-prince héritier du Royaume, n'a eu finalement que des retombées assez modestes pour la France et les industriels tricolores civils et militaires. Beaucoup de bruit pour peu finalement. Car les nombreux accords de principe annoncés sous les ors du Quai d'Orsay entre Laurent Fabius et le ministre de la Défense saoudien restent à conclure, notamment dans le nucléaire. Et concrètement, rien ne garantit à ce jour à la France qu'elle construira des EPR en Arabie Saoudite.

Seul le contrat de la Saudi Arabian Airlines, qui commande 20 A330-300 Regional et 30 A320ceo est en béton mais il avait été dévoilé par Airbus au salon aéronautique du Bourget le 15 juin. Que dire enfin du contrat entre le ministère saoudien de l'Intérieur et Airbus Helicopters pour l'achat de 23 appareils H145 pour une valeur d'environ 500 millions d'euros... Qu'il suscite pas mal d'interrogations et d'étonnements. Pourquoi? Parce que cet hélicoptère est fabriqué en grande partie en Allemagne - il ne profitera donc pas au commerce extérieur français. Surtout Berlin est actuellement très réticent à exporter ce type de matériels vers Ryad. Pourquoi cela changerait-il avec le H145? A suivre.

Les mauvais travers de la France à l'export dans le naval

C'est le dossier le plus explosif du moment... Quatre chantiers navals (Piriou associé à DCNS, CMN, Ocea et Couach) se livrent depuis plus de dix mois une guerre impitoyable en coulisse où tous les coups sont permis. Longtemps la France a pensé que l'offre de Piriou et de DCNS qu'elle soutenait, tenait la corde, face à Ocea, l'outsider soutenu par... Odas, qui représente dans le royaume les intérêts de Paris. Et ce d'autant que les responsables saoudiens avait également exprimé cette préférence. Kership, la co-entreprise formée par DCNS et Piriou, avait été notamment choisie par le prince Salman pour livrer entre 25 et 30 patrouilleurs de 30 mètres. Soit un contrat estimé à 600 millions de dollars sans les armements (missile anti-navire Marte de MBDA).

Mais c'était sans compter le patron de la marine saoudienne, qui est déterminé quant à lui avant de partir à la retraite, à choisir le petit chantier naval d'Arcachon (Gironde), Couach. Et comme le processus décisionnaire doit être consensuel en Arabie Saoudite, cela peut prendre encore du temps. Le choix du chef de l'état-major peut apparaître comme une vraie surprise à la plupart des observateurs mais n'en serait pas une, selon des sources proches de cette opération. Bref, ce dossier pourrait à termes faire des vagues. "Couach a-t-il la capacité à exécuter une telle commande et à en assumer les risques financiers?", s'interroge par ailleurs un industriel.

Un dossier qui rappelle les mauvais travers de la France en matière d'exportations d'armements. En tout cas, le prince Salman a confirmé "l'engagement" de l'Arabie Saoudite à acquérir des patrouilleurs rapides pour sa marine, qui vont "venir compléter les capacités des gardes-côtes saoudiens, aujourd'hui confrontés à des menaces croissantes". Et de préciser que les discussions portaient actuellement sur "le prix" des bâtiments.

Des satellites espions et de télécoms militaires pour Ryad

Sur le dossier des quatre satellites (deux d'observation et deux de télécoms), la France a longtemps cru qu'elle serait plus ou moins exemptée de concurrence internationale par Ryad. Mais les Américains ont débarqué en force sur cette campagne. Certains évoquent même une offre chinoise. Bref, les industriels tricolores, qui forment l'équipe France, ne sont plus aussi sereins. "Il y a une volonté de le faire avec nous", expliquait-on à La Tribune il y a encore quelques semaines.

Pour autant, Airbus Space Systems et Thales Alenia Space (TAS) espèrent toujours dupliquer en grande partie la très belle offre qu'ils avaient proposé avec succès aux Emirats Arabes Unis (EAU) dans le cadre du programme Falcon Eye s'agissant des satellites d'observation pour l'Arabie Saoudite. Comme à Abu Dhabi, c'est le gouvernement français qui pilote largement ce projet auprès de Ryad. Seul changement notoire, TAS est le maître d'oeuvre du programme saoudien.

Si le partage entre les deux industriels est clair dans l'observation, ce n'est pas encore le cas dans les télécoms militaires où le sujet semble moins mature. "Si on partage l'observation, on partage les télécoms", précise-t-on chez Airbus. Ce qui laisse entendre qu'il existe des divergences entre les deux industriels sur la répartition des taches dans les télécoms.

Mais l'idée est de dupliquer également l'organisation industrielle qui a prévalu sur les deux satellites Yahsat Y1A et Y1B gagnés en 2007 et qui ont été fournis par Airbus et TAS à l'opérateur émirati, Al Yah Satellite Communications Company. Si la France gagnait cette commande le montant du contrat pour les quatre satellites ainsi que le segment sol est évalué à près de 3 milliards d'euros. Une signature est attendue plutôt en 2016.

Le contrat Mark 3, mirage ou réalité?

C'est un peu le serpent de mer entre l'Arabie saoudite et la France. Depuis de très longues années, Thales espère signer un contrat d'une valeur totale de 4 milliards d'euros pour équiper la défense anti-aérienne de courte portée du royaume, qui est composée de systèmes de missiles Shahine (Crotale amélioré, monté sur châssis AMX 30). Thales est le fournisseur attitré du Royaume depuis près de trente ans de sa défense anti-aérienne (contrat Al Thakeb en 1984). Un contrat jamais signé, mais toujours remis sur la table des négociations par la France, qui soutient le groupe d'électronique contre vents et marées au grand dam d'Airbus et de MBDA.

Lors de la dernière visite début mai de François Hollande à Ryad, Paris avait à nouveau inscrit Mark 3 à l'ordre du jour mais les Saoudiens ont demandé à ce qu'il soit retiré la veille de l'arrivée du président, selon plusieurs sources concordantes. Ce qui a fait sourire les concurrents de Thales qui ont conclu que Mark 3 était définitivement enterré par les Saoudiens. Pourtant le PDG de Thales, Patrice Caine, y croit toujours. C'est ce qu'il avait expliqué à la Tribune dans une interview à la veille de l'ouverture du salon du Bourget : "Les contrats de défense sont à maturation lente. Il a fallu patienter près de 15 ans pour le premier contrat export du Rafale. Pour Mark 3, ce n'est pas parce qu'on a dit non à Thales une fois, ou non pas maintenant que c'est non pour la vie".

Acharnement thérapeutique ou lucidité... Une chose est sure, le besoin opérationnel existe bel et bien en Arabie Saoudite. Aujourd'hui plus encore que hier compte tenu de la guerre lancée au Yémen et de la dangerosité de Daech. Pourquoi Thales y croit encore? Selon plusieurs sources concordantes, les Saoudiens, qui estimaient que le dossier n'était pas mûr, ont demandé à Thales d'intégrer des partenaires locaux à ce projet, notamment pour réaliser des opérations de maintenance. "La balle est dans le camp de Thales", qui doit travailler ce volet, explique-t-on à Paris. Ryad attend donc la nouvelle proposition du groupe électronique. Pour d'autres industriels, le besoin opérationnel saoudien devrait être confié à la concurrence, et plus précisément aux Américains.

Une relation historique entre Paris et Ryad dans la défense

Outre ces trois dossiers compliqués, Ryad serait en outre intéressé par dix corvettes Gowind de 2.500 tonnes, identiques à celles que DCNS a vendu à l'Egypte, selon nos informations. La très forte coopération entre les marines saoudienne et égyptienne serait un vrai atout pour la France. Mais l'Espagne, qui développe la corvette Avante 1800, se montrerait aussi très intéressée par les besoins de la marine saoudienne. Les industriels français craignent beaucoup les relations très étroites entre Ryad et l'ancien roi d'Espagne, Juan Carlos. C'est lui qui avait notamment permis en 2011 au consortium Al-­Shoula, formé de plusieurs compagnies saoudiennes et espagnoles (Talgo, Renfe, ADIF, OHL), de souffler ce contrat à Alstom, notamment. A plus long terme, DCNS espère vendre six frégates FREMM très fortement armées à Ryad (Sawari 3).

Lors de sa visite le 24 juin à Paris, le prince Mohamed Bin Salman avait rappelé les liens "historiques" dans la défense entre Paris et Ryad, premier client de la France sur la période 2005-2014. L'Arabie Saoudite a bien sur gardé haut la main le titre de meilleur client en 2014. Elle a commandé pour près de la moitié des ventes d'armes françaises l'an dernier. Soit 3,63 milliards sur 8,2 milliards d'euros. Sur la période 2010-2014, Ryad a investi dans 7,9 milliards d'euros d'armements français. Le prince a d'ailleurs rappelé que son pays voulait les meilleures technologies au meilleur prix. Il a enfin redit à la France qu'il souhaitait des contrats de gouvernement à gouvernement sans tierce partie. Ce qui pourrait condamner à terme Odas.

Michel Cabirol

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.