Pourquoi le Patroller de Safran a gagné face au Watchkeeper de Thales

Safran et la direction générale de l'armement (DGA) ont enfin signé le contrat portant sur l'acquisition de 14 drones Patroller et deux stations sol par l'armée de Terre.
Michel Cabirol
"Le Patroller s'est avéré le mieux pour répondre au besoin de l'armée de terre, notamment pour ses qualités optroniques, son endurance, et ses capacités à voler sur le territoire national", a expliqué le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian

La compétition entre Safran et Thales a été dure, très dure. Les deux groupes se sont rendus coup pour coup pour gagner un contrat de 350 millions d'euros pour équiper l'armée de Terre de la future génération de drones tactiques (14 vecteurs et deux stations sol). Au final, le Patroller de Safran a gagné le match aux points face au Watchkeeper de Thales. L'outsider a fini par vaincre le favori.

"Au final, et sans ambiguïté, c'est le Patroller qui s'est avéré le mieux pour répondre au besoin de l'armée de terre, notamment pour ses qualités optroniques, son endurance, et ses capacités à voler sur le territoire national", a expliqué le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian dans son discours lors de la signature mardi du contrat Patroller.

Mis en service fin 2018

Après une première tentative la semaine dernière - l'avion du ministre n'avait pas pu se poser en raison du mauvais temps -, la direction générale de l'armement (DGA) et Safran ont signé le contrat mardi à Montluçon en présence du ministre de la Défense. Mais Jean-Yves Le Drian s'est félicité de disposer "dans le domaine des drones tactiques, d'une filière industrielle solide avec deux produits d'une qualité exceptionnelle".

Le drone Patroller, qui a volé pour la première fois en 2009 en Finlande, entrera en service dans l'armée de Terre à partir de la fin 2018. Il ne sera que temps car des "obsolescences sont incompatibles avec le maintien en service du SDTI au-delà de 2017", avait expliqué fin 2014 le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Jean-Pierre Bosser. Exporté dans cinq pays, le SDTI actuellement en service dans l'armée de Terre, a été fabriqué sur le site de Montluçon, le berceau des activités de défense du groupe Safran.

Des essais réussis

Longtemps favori, Thales a très certainement perdu la compétition à l'issue des essais de l'été 2015. La filiale défense de Safran, Sagem, a parfaitement réussi ses essais devant les techniciens de la section technique de l'armée de terre (STAT) et de la DGA. "Nous avons réalisé des essais qui se sont déroulés comme dans un rêve", explique-t-on au sein de Safran. C'est lors de ces essais que le match a définitivement basculé et finalement tourné en faveur du Patroller. Le drone de Sagem a démontré qu'il était non seulement apte à satisfaire le besoin de l'armée de Terre mais qu'il était également supérieur à son rival, le Watchkeeper. L'analyse des essais par la STAT confirmera l'impression laissée par le Patroller à l'été.

Le Patroller "correspond parfaitement au besoin militaire. Je suis très content du choix du Patroller parce que je sais que nos soldats auront ce qu'il faut sur les théâtres d'opération", avait expliqué mi-février le patron de la STAT, le général Charles Beaudouin, aux députés de la commission de la défense.

Thales ne s'en remettra jamais en dépit d'une proposition de dernière minute, baptisée le Watchkeeper X. Ce drone "était favori parce qu'il était déjà en service et "combat proven" en Afghanistan (éprouvé au combat, ndlr) mais Thales n'avait en revanche pas beaucoup de marges de manœuvre pour le faire évoluer. Car changer trop brutalement son design revenait à dire que le Watchkeeper actuel n'était pas le produit adéquat, explique-t-on à La Tribune. Il perdait alors l'avantage d'être en service et venait sur le terrain du Patroller".

Sur ce terrain, le drone de Sagem avait l'avantage de partir d'une feuille blanche pour développer un système qui collait au plus près des besoins de l'armée de Terre. La capacité d'évolution du Watchkeeper est pour sa part limitée. Thales, qui n'est pas propriétaire de l'aéronef, est également obligé de soumettre à l'industriel israélien Elbit ses demandes d'évolution. En outre, les équipes de Sagem en tant qu'outsiders ont eu une écoute quasi religieuse du client. Ce qui n'a pas toujours été le cas de celles de Thales.

Une première claque en 2014

Le Watchkeeper a reçu une première claque quand Jean-Yves Le Drian a finalement décidé de lancer un appel d'offres en 2014. Thales a longtemps cru possible de signer un contrat de gré à gré avec la DGA. L'armée de Terre y était favorable. D'autant qu'elle avait poussé très loin sa coopération avec son homologue britannique sur le Watchkeeper. C'est pour cela que son choix sur le drone de Thales était fait. Mais il n'a pas été possible à la DGA de passer un contrat de gré à gré avec le groupe électronique, selon la version officielle.

En dépit d'une étude très poussée des juristes de Thales et du ministère de la Défense, le groupe électronique et l'armée de Terre n'ont pu éviter l'appel d'offres. Au grand dam à l'époque de l'armée de terre et du chef d'état-major Pierre de Villiers, qui voulait absolument fin 2014 le Watcheeper et qui trouvait la décision de la DGA frileuse. Mais la décision de la DGA sécurisait l'achat en évitant tout recours juridique d'un groupe concurrent. Ce qui aurait encore repoussé la livraison du drone tactique.

Le Patroller vainqueur technique

L'avion "dronisé" de Sagem a séduit l'armée de terre pour ses capacités techniques, notamment la charge utile optronique très performante, basée sur les acquis du PEA Boom financé par la DGA et développée par Optrolead, la filiale à 50-50 entre Thales et Sagem. "Elle est bluffante", juge une source proche du dossier. "Le Patroller permettra une approche multi-capteurs, emportant simultanément deux charges utiles - optique et radar par exemple, a expliqué le ministre. Cette capacité est essentielle sur le terrain, car elle apportera des renseignements précieux au chef tactique pour le conforter dans la manœuvre terrestre, pour l'aider à préserver au mieux la sécurité de ses hommes, l'orienter dans ses décisions."

Faute de capacité d'emport, le Watchkeeper n'était pas capable d'emporter des capteurs large champs haute résolution comme ceux du Patroller, indispensables dans les opérations de reconnaissance et de renseignement dans la profondeur, notamment pour la  préparation des frappes. En outre, le Patroller dispose d'une modularité qui, liée à une capacité d'emport élevée, permettra l'intégration de nouveaux capteurs et, à terme, d'armement tels que les roquettes guidées laser et le missile antichar MMP de MBDA.

"Nous mettons à disposition une optique qui permet de voir à trois kilomètres avec une précision de 50 centimètres, assure le général Olivier Tramond, conseiller militaire du groupe Safran. Le Patroller est capable de reconnaitre si un berger afghan tient dans sa main une Kalachnikov ou une fourche."

20 heures en mission

En outre, la plateforme high-tech en carbone fabriquée par l'industriel allemand Stemme, qui a été jugée "robuste et sûre", dispose d'une capacité d'endurance de 20 heures, très au-delà de la spécification demandée dans l'appel d'offres et d'un rayon d'action de 180 km par rapport à la station sol. Ce qui va obliger l'armée de Terre à repenser son organisation en vue de télé-opérer le Patroller, qui reste en l'air quasiment trois fois plus longtemps que son prédécesseur, en formant beaucoup plus d'équipages.

Le Patroller a également la capacité de pouvoir voler en France. Ce qui est un plus pour l'armée de Terre à condition que le drone garde sa "pilotabilité". Ce qu'espère l'armée de Terre, notamment pour la formation des équipages. La filiale défense de Safran avait d'ailleurs réalisé en novembre 2014 avec son drone Patroller "un ensemble d'essais en vol permettant de démontrer la faisabilité d'intégration d'un drone dans un espace aérien partagé suivant la réglementation de l'aviation civile et les procédures du contrôle aérien". Il n'est pas exclu que l'armée de Terre mette un pilote dans la boucle pour certaines missions.

Le Patroller made in France à 85%

Le ministre de la Défense s'est félicité que "le Patroller est 'Made in France' à 85%". Selon Jean-Yves Le Drian, il "marque la présence de l'industrie française, de son excellence, dans un domaine aussi important pour notre souveraineté que celui des drones". Pour produire le Patroller, Sagem va créer ou maintenir 300 emplois directs en France, notamment à Montluçon, mais également à Dijon, Fougères, Eragny et Poitiers.

Enfin "si le Patroller est vendu à l'export - et je crois savoir que certains pays ont déjà présenté des marques d'intérêt, d'autres emplois seront alors créés", a assuré le ministre.  L'Egypte est effectivement intéressée par le Patroller. Toutefois, le directeur général de Safran, Philippe Petitcolin a demandé à ses équipes de se concentrer "à 100%" sur le développement du Patroller pour le client français avant de se lancer dans des campagnes commerciales.

Une équipe de France?

Si le Patroller a gagné, l'armée de Terre souhaite toutefois améliorer quelques points. Elle voudrait notamment rapatrier le radar de Thales sur le drone de Sagem, qui a embarqué un radar de Selex (Finmeccanica). Le radar de Thales a d'ailleurs été récemment sélectionné par le Qatar pour être intégré sur les drones de l'armée qatarie. C'est aussi le cas pour tout ce qui est Comint (écoute des communications transitant par radio) où Thales est meilleur que la technologie privilégiée par Sagem. Agnostique, Safran n'a pas entamé pour l'heure de discussions avec son rival malheureux. "Trop tôt, il faut laisser les choses s'apaiser", explique-t-on au sein du groupe.

Mais il n'est pas sûr que Thales veuille donner un avantage au Patroller à l'export où les deux drones tactiques vont continuer à s'affronter. En outre, la DGA n'y semble pas favorable principalement pour des raisons de certification. Seul le ministre peut inverser cette tendance au seul objectif de donner le meilleur matériel aux soldats en opération. Ce qui n'est pas rien...

Michel Cabirol

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Commentaires 2
à écrit le 17/04/2016 à 18:18
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Bien du matériel français à 85% , maintenant il nous reste à construire tous ses composants sur le territoire nationale, le teste sur differante théâtre d'opération, et développement et intégrées toute les systèmes possibles.... Armement embarqué, d...

à écrit le 07/04/2016 à 9:02
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Bonne nouvelle, les usages et la performance reprennent le dessus et les petits arrangements...

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