Coca-Cola Imperator

Pour augmenter ses parts de marché face à Pepsi, le leader mondial des sodas a trouvé une recette simple : être omniprésent dans les zones urbaines les plus fréquentées du monde. Exemple à la gare de Penn Station à New York, en présence du PDG de Coca-Cola, Muhtar Kent.

"Regardez cette boisson ! Ça s'appelle Fuze, c'est un mélange de thé vert et de jus de fruits qui cartonne ici et que nous lancerons bientôt dans toute l'Europe." Muhtar Kent tourne la bouteille pour mettre la marque du bon côté et observe la place qu'elle occupe dans la vitrine réfrigérée de cette petite épicerie. Puis, sans dire un mot, il fait quelques pas en arrière, histoire d'admirer la bannière Coca-Cola qui habille la devanture du magasin... "C'est magnifique, non ?"

Le patron de la marque de boisson la plus emblématique des États-Unis a du mal à cacher son plaisir. Et on le comprend. Il est venu avec sa garde rapprochée constater in situ si le plan mis au point par l'équipe marketing a été appliqué dans la gare new-yorkaise de Penn Station, un lieu où transitent chaque jour 600.000 voyageurs. Et ce qu'il voit est à la hauteur de ses espérances. Dans cette galerie marchande idéalement située, Coca-Cola est omniprésent. Des réfrigérateurs vitrés, des affiches publicitaires ont été placés dans chaque petite épicerie, chaque restaurant, et même chez le coiffeur et les cireurs de chaussures.

Nous sommes dans l'une des 300 "boost zones" de Coca-Cola. Derrière ce mot barbare se cache une idée simple : identifier les zones de chalandise les plus fréquentées et les inonder de produits et de PLV (publicité sur le lieu de vente) pour dynamiser les ventes. Ce concept est né en France il y a quatre ans, où il a été développé par les équipes de Coca-Cola Entreprise (CCE), le principal embouteilleur de la marque. "Nous devions être créatifs car notre marché était trois fois moins développé qu'aux États-Unis", explique Hubert Patricot, président de CCE Europe. L'efficacité de cette initiative française a surpris ceux qui, à Atlanta, au siège de la marque, scrutent avec attention les performances des filiales étrangères. Sur les 250 "boost zones" actives de l'Hexagone, les ventes ont bondi en moyenne de 15 % à 20 %. Ni une ni deux, le concept a été exporté. En Belgique et au Royaume-Uni, pour commencer. Puis aux États-Unis, depuis cet hiver. À Manhattan, trois zones sont déjà en place, à Central Park et dans les gares de Grand Central et de Penn Station. Sur l'ensemble du territoire américain, on en compte déjà une cinquantaine.

Visiter ces lieux à la gloire de Coca-Cola est d'ailleurs devenu l'un des sports préférés de Muhtar Kent. "Je viens toutes les semaines sur le terrain car on ne fait pas de business au bureau et je demande la même chose à mes équipes", explique le "big boss" d'origine turque qui a longtemps dirigé Coca-Cola Amatil Europe, l'un des embouteilleurs du groupe. Cette expérience lui sert beaucoup aujourd'hui. "Ça lui donne une énorme crédibilité auprès de nos équipes", analyse Steve Cahillane, président de CCE Amérique du Nord.

Cette fine connaissance de la vente en magasin et en café-hôtel-restaurant lui permet surtout de ne rater aucun détail sur le terrain. Questions et remarques fusent : "Pourquoi n'est-on pas présent chez ce petit vendeur chinois ?" "Ici, il manque de la lumière" ; "Ce frigo ferme mal, regardez, pourriez-vous le changer s'il vous plaît"... À la fois sérieux et décontracté, courtois mais exigeant, Muhtar Kent regarde, filme avec sa petite caméra microscopique, se penche dans les bacs à glaces, ouvre, prend, repose... À côté, les trois dirigeants de CCE Amérique du Nord et son directeur de cabinet personnel sont au garde-à-vous. Dans la limousine qui amène tout ce beau monde à bon port, Muhtar Kent improvise une petite réunion de travail : "Pourquoi ne livrerions-nous pas la nuit pour éviter le trafic et faire des économies ?" "Est-ce que vous êtes aussi allés démarcher les petits vendeurs de hot dogs et autres "donuts? autour de la gare ?" "Non, monsieur, car ils revendent toute la PLV qu'on leur offre sur Internet, mais il y a certainement un moyen de faire quelque chose", répond le responsable de région, en lui montrant les courbes de marché comparées de Coca et de Pepsi pour détourner son attention. Miracle ! Ça marche. Le regard noir de Muhtar Kent ne fait plus trembler son interlocuteur. Sourire aux lèvres, le patron jubile. Dans l'État de New York, sa part de marché est passée de 37,5 à 38,4 % en trois ans quand celle de son concurrent a chuté de 32,7 à 28,4 %. "Vous avez vu ! C'est génial, félicitations !" s'exclame-t-il.

Car là est tout l'enjeu de ces "boost zones" : prendre la place des concurrents, au premier rang desquels, l'ennemi de toujours, Pepsi. Les commerçants de la gare n'ont d'ailleurs quasiment pas le choix. "Je vendais du Pepsi depuis vingt ans, j'étais un vrai fan... Mais les gars de Coca-Cola sont venus me voir tous les jours pendant des semaines... Et je ne regrette pas d'avoir changé car mon business a progressé de 20 % depuis", explique le patron d'un petit restaurant de la gare, avec un accent de Brooklyn digne des films noirs des années 70. "Nous ne faisons que leur prouver que nos marques sont effectivement les meilleures", s'enorgueillit Steve Cahillane.

En fait, cette stratégie de conquête a été menée très progressivement. Les équipes de ventes commencent par inonder les boutiques et les restaurants de leurs produits (sodas mais aussi marques branchées comme l'eau Vitamin Water ou encore les jus Fuze et Nestea) en offrant des réfrigérateurs à ceux qui n'en ont pas, ou en remplaçant les vieux modèles de ceux qui ont déjà fait allégeance. "Notre but ? Faire en sorte que nos produits soient à portée de main partout et inciter les consommateurs à l'achat d'impulsion", explique Muhtar Kent. Puis elles déploient des bannières publicitaires dans tous les coins en faisant miroiter la progression des ventes que ces réclames feront faire au magasin. Enfin, elles tentent d'insérer leurs marques jusque dans les menus des lieux de restauration. "En France par exemple, seuls 20 % des gens pensent à prendre une boisson lorsqu'ils achètent un sandwich, alors que si on leur offre un menu, ils sont 30 % à 40 % à repartir avec les deux ", explique Hubert Patricot. Du coup, l'entreprise place ses jus d'orange Minute Maid dans les menus viennoiseries du matin, son "diet coke" à côté des salades fraîcheur, etc.

Convaincre les commerçants est souvent facile. "Ils avaient des présentoirs horribles, des fautes d'orthographe dans leurs menus, explique un des responsables locaux de CCE. Nous leur offrons un matériel flambant neuf et gratuit. " Les plus rétifs se laissent convaincre avec un petit chèque complémentaire. "Très rarement, je n'aime pas ça", élude le "big boss".

Nous arrivons maintenant au deuxième sous-sol de la gare, celui réservé aux trains de banlieue, qui déversent chaque jour des centaines de milliers de voyageurs venus du New Jersey ou de Long Island. En bas des escalators, une affiche attire le regard : "Ajouter des bulles de Coca-Cola à vos pop-corn !" Soudain, Muhtar Kent, 56 ans, retourne en enfance, se fraie un chemin au milieu des voyageurs et achète des pop-corn pour toute son équipe. La caméra avec laquelle il filmait tout depuis le début tombe en rade. Plus de batterie. "Mince, pourrez-vous me faire une série de photos "avant/après? la prochaine fois ?"

Avant/Après, ce sont surtout des chiffres, présentés dans la voiture de retour. En à peine six mois, les ventes sur cette zone ont déjà fait un bond de 15 % et pourraient monter au-delà de 30 % à terme dans cette gare particulièrement peuplée. La marque de thés glacés Nestea a même doublé ses performances alors qu'elle progresse d'environ 20 % sur l'ensemble du marché. Mais la mise de départ (non communiquée) a coûté cher et le retour sur investissement prendra trois ou quatre ans. Peu importe ! Le patron est content. « Bravo les gars, c'est vraiment une des meilleures "boost zones? que j'ai vue depuis le début", félicite-t-il, avant de s'engouffrer dans un taxi pour l'aéroport. Demain, il inaugurera deux nouvelles usines en Chine.

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