LVMH-Hermès, union à haut risque

Au-delà d'une conquête financière peu courtoise, le rapprochement entre ces deux marques pose des questions de stratégie qui confinent à la philosophie. LVMH voudrait améliorer la rentabilité d'Hermès sans toucher à son marketing, quand la maison familiale parle d'artisanat.
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Chez LVMH, lorsque l'on parle d'une intégration d'Hermès, on ne dit pas « si » mais « quand ». Malgré la commandite qui verrouille la maison, Bernard Arnault apparaît serein. Le « maître des marques », comme le surnomme le magazine « Forbes », affirmait d'ailleurs récemment avoir une bonne idée des « avantages » qu'il pourrait apporter à Hermès. La maison du 24 Faubourg serait selon lui une belle endormie qu'un prince pourrait réveiller sans froisser sa beauté. Pas question de toucher à la stratégie de qualité. Mais les lignes de rentabilité pourraient grimper en modifiant quelques points de gestion.

À commencer par la distribution internationale. C'est, selon LVMH, le point faible d'Hermès. En retard en Chine mais étonnamment présent à Dijon, Tours ou Atlanta, Hermès avance de surcroît avec des partenaires locaux (la famille Al Mana au Moyen-Orient), quand toutes les marques de son rang sont en coentreprises ou indépendantes afin de maîtriser prix, assortiments et service clients. La chaîne de distribution serait, elle aussi, déficiente, entraînant des erreurs dans les prévisions de ventes et l'approvisionnement en matières premières. La marque est du coup contrainte à faire des soldes. Pas très élitiste selon LVMH, qui s'empresserait de mettre fin à ces remises, ainsi qu'à la distribution par des détaillants. Les synergies seraient également nombreuses. Les achats média pourraient être réduits de 25 % par rapport à ceux actuels d'Hermès. La force de frappe de Louis Vuitton et Hermès réunis permettrait d'obtenir les meilleurs emplacements et les loyers les plus bas dans les centres commerciaux et les avenues Montaigne du monde entier. Même la logistique et certains postes de production pourraient être optimisés.

Oui, mais voilà. Hermès a-t-il besoin d'un tel grand frère ? La hausse des ventes de 25 % depuis le début de l'année semble dire le contraire. Le gérant de la maison, Patrick Thomas, oppose, lui, un non ferme et, il l'espère, définitif. Hermès est selon lui « un héritage formidable, une culture artisanale, une tradition de respect des hommes et des matières ». Ici, l'essentiel des produits est fait main en petites séries, avec 10 à 50 fois moins d'unités d'un même produit que chez Louis Vuitton par exemple. Par contre, chaque saison compte 50.000 références différentes (dont deux tiers de nouveautés), soit dix fois plus que le concurrent, qui préfère la rentabilité des volumes. Résultat, quand LVMH peut fait une culbute de 14 entre le coût de revient et le prix de vente d'un sac, Hermès se contente d'un multiple de 5 ou 6.

Mais la crainte la plus partagée est la disparition de « l'âme d'Hermès ». De cette éthique protestante et d'une certaine orthodoxie du luxe quand LVMH se dit croyant sans aller à la messe. Contrairement au groupe de Bernard Arnault, tellement international qu'il en devient apatride, Hermès est la marque emblème du luxe français, celle qui justement ouvre des boutiques à Aix-en-Provence ou à Metz. Mais toute cette belle sémantique n'appartient-elle pas déjà à un autre temps ? Celui de Jean-Louis Dumas, grand magicien du marketing, qui inventa, diversifia, internationalisa Hermès dans les années 1980 et 1990. Depuis sa disparition en mai dernier, les observateurs sont circonspects. Le choix récent de l'ancien designer de Lacoste, Christophe Lemaire, a laissé les journalistes de mode sceptiques. Le projet de yacht avec Wally en septembre 2009 est tombé à l'eau. La marque Shang Xia, destinée à mettre en valeur le meilleur de l'artisanat chinois, a changé de designer en à peine six mois et serait trop chère selon les analystes. Hermès aurait donc perdu de sa clairvoyance ? LVMH serait-il de bon conseil ?

L'âme d'Hermès en souffrirait à coup sûr. Comme avant lui, Dior, Guerlain ou Hublot. Certes, à chaque acquisition, LVMH essaie de conserver, voire renforcer, les valeurs de marque. Le designer John Galliano ou le patron charismatique d'Hublot, Jean-Claude Biver, sont laissés les plus libres possible. Mais les interventions périphériques (choix de photographe, décorateur, magazine, etc.) finissent par lisser les marques ou les rendre plus accrocheuses. Guerlain fait des jus plus grand public. Dior frôle le racolage en prêt-à-porter. Même Louis Vuitton, qui donne une vraie profondeur à sa marque, perd en exclusivité. Au regard du prix de ses sacs, Hermès serait moins à risque. Face au génie financier de Bernard Arnault, le mythe de la maison familiale fera-t-il le poids ?

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