Comment le lobby du vin travaille en coulisse pour échapper à la taxe sur les alcools

Par Sophie Lécluse  |   |  559  mots
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Les fabricants d'alcool fort demandent l'élargissement de la nouvelle taxe gouvernementale aux vins et aux bières. Mais ils se heurtent à un lobbying très puissant. Récit.

Défense de l'équité d'un côté, mise en avant du patrimoine culturel et des terroirs de l'autre. Il n'y a pas que les lobbys des sodas qui ont fort à faire en ce moment. Ceux des vignerons et des spiritueux ne chôment pas non plus. En cause, la taxe sur les alcools forts proposée par le gouvernement fin août, toujours en cours de discussion à l'Assemblée. Censée rapporter 340 millions d'euros à l'État, elle ne concerne que les boissons dont le degré d'alcool est supérieur à 18 degrés.

Côté spiritueux, la coupe est pleine. « Nous sommes tous d'accord pour participer à la réduction des déficits publics mais le gouvernement se fiche de l'équité et ne stigmatise les spiritueux que par peur des troubles publics que pourraient faire les vignerons en période électorale », s'insurge le président de la Fédération française des spiritueux, Jean-Pierre Lacarrière. Ces alcools dits forts ont déjà subi deux salves de hausse de leur droit d'accise en 1993 et 1997, alors que les vins n'ont pas été sollicités depuis 1982. Du coup, les impôts divers (droit d'accise, de consommation, cotisation à la sécurité sociale) représentent 80 % des 12 euros dépensés par le consommateur pour s'offrir sa bouteille de Ricard ou de Martini. « Alors que les spiritueux ne représentent que 22 % des volumes d'alcool pur consommés en France », s'énerve un industriel. Lui et les autres producteurs de spiritueux réclament donc un élargissement de l'assiette de la taxe aux vins et à la bière.

« 45.000 morts par an »

C'est sans compter le lobby ultra puissant des viticulteurs. Ce mardi, le député du Bas-Rhin, Yves Bur, a proposé cet élargissement à la commission des affaires sociales. Immédiatement rejeté. « Je ne m'imaginais pas un instant qu'il serait voté, souffle Yves Bur à « La Tribune », mais je voulais souligner l'incohérence de notre politique de santé publique, qui préfère oublier la majorité des boissons alcoolisées, alors même que l'on dénombre 45.000 morts liés à l'alcool chaque année en France. » Son amendement aurait rapporté 50 millions d'euros supplémentaires. Insuffisant pour l'exécutif face au risque de manifestation dans toute la France. Ce mercredi, dans « une note confidentielle à ne pas diffuser », le maire de Beaune, Alain Suguenot, demandait même à tous les députés amis du vin de se réunir avant la séance de question-réponse de l'Assemblée pour parer à toute nouvelle tentative venant de « collègues irresponsables ».

Les associations professionnelles des vins de Bordeaux ou des pays d'Oc, d'habitude si volubiles, ont, elles, préféré ne pas répondre à nos questions. Seule l'association de défense baptisée Vin et Société rappelle que le vin paie déjà 1 milliard d'euros de taxe et apporte 6 milliards à la balance commerciale et qu'il serait donc inadmissible de le mettre dans le même panier que les spiritueux. Comme avec les sodas, ce sera donc aux consommateurs d'effacer l'ardoise. Le prix de la bouteille de pastis, de crème de cassis ou de liqueur devrait croître de près de deux euros. Et au-delà de Pernod Ricard, seul grand groupe à être véritablement touché en France, la menace sur le bilan sera bien réelle pour des centaines de PME, des whisky bretons au génépi des Alpes.