"Les grands céréaliers doivent augmenter les rendements en respectant l'environnement"

Par Propos recueillis par Lysiane J. Baudu  |   |  1144  mots
Thierry Blandinières, DG d'InVivo. / DR
Pour nourrir la planète en respectant l'environnement, les agriculteurs doivent innover davantage. Entretien avec Thierry Blandinières, DG d'InVivo, premier groupe coopératif agricole français.

LA TRIBUNE - Innovation et compétitivité sont-elles les clés de l'agriculture de demain ?

Thierry Blandinières. L'agriculture française est un acteur économique important, en France comme au niveau mondial. Notre chance est d'avoir, compte tenu de nos atouts climatiques, une production régulière, qui nous permet d'être constamment présents sur le marché mondial. Aujourd'hui, cependant, nous devons prendre en compte des pays comme la Chine, l'Ukraine, le Brésil et même l'Allemagne, cette dernière étant devenue très compétitive dans certaines filières. Et si le maïs, dans le Sud-Ouest de la France, affiche les rendements les plus élevés au monde, il existe encore une marge de progrès. Les grands céréaliers doivent augmenter les rendements à l'hectare tout en respectant l'environnement.

Nous devons donc remettre en cause notre modèle économique, afin d'être plus compétitifs. Ainsi, nous vendions jusqu'à présent du blé de qualité moyenne. Mais aujourd'hui, l'Ukraine et les États-Unis fournissent du blé de meilleure qualité, et nous perdons des marchés, au Maghreb, notamment. Les goûts des consommateurs, à mesure qu'une classe moyenne émerge dans le monde, évoluent. La filière blé doit donc s'adapter à cette nouvelle demande.

Comment s'adapter, justement ?

Pour avoir des taux de protéines plus élevés dans le blé, la terre doit être plus riche, ce qui pourrait signifier plus de fertilisants. Or, nous voulons offrir des produits plus qualitatifs, mais avec moins d'intrants, afin de mieux respecter l'environnement. Il s'agit donc d'adopter le concept d'agriculture de précision : des fertilisants seront utilisés, mais uniquement là où ils seront nécessaires.

InVivo a initié, dans le sillage du Grenelle de l'environnement, le programme « Epiclès ». Dans des fermes pilotes, nous cartographions les champs afin de déterminer quelle zone nécessite quel type d'intrants, et en quelle quantité. À l'aide de satellites et de logiciels, nous enregistrons le plus d'informations possible, nous les traitons et nous donnons des indications sur le type et la quantité d'intrants requis. Bref, nous avons nous aussi recours au big data !

Aujourd'hui, 1,8 million d'hectares, soit 10% des surfaces cultivables en France, sont sous « Epiclès ». Evidemment, il nous faut démontrer aux agriculteurs que cette nouvelle stratégie est rentable. Et c'est le cas ! Entre les avantages en matière d'écologie (avec moins d'intrants) et l'augmentation des rendements, le gain est de 50 euros à l'hectare en moyenne. Notre programme est si efficace que nous venons de signer un partenariat avec une société britannique, Hutchinson Group, pour le mettre en place à l'automne prochain au Royaume-Uni. Il ne s'agit pas de dire que pour protéger l'environnement, nous devons produire moins. Nous devons produire plus et mieux.

Le bio est-il de nature à aider l'agriculture française ?

Il existe deux normes dans le bio : la norme française, très contraignante, qui résulte d'une démarche politique, et la norme européenne, plus économique et calquée sur le système allemand, qui vise une montée en gamme de l'agriculture conventionnelle tout en restant compétitif.

Le bio est intéressant pour le poulet en Bretagne, mais restera une niche, compte tenu des contraintes. Faire du poulet bio ne règle donc pas le problème de la production plus standard. Alors que dans le Sud-Ouest, les producteurs ont opté pour une différenciation, avec des labels de qualité, la Bretagne s'est concentrée sur le couple prix-volume, afin d'être compétitive face au reste du monde. Cela a marché pendant trente ans. Mais ce n'est plus le cas, en raison de la présence des Brésiliens sur le marché, mais aussi de l'Allemagne, dont les élevages de poulets sont plus grands (notamment en ex-RDA) que chez nous, et plus compétitifs.

Or, si les Allemands ont réussi à s'adapter avec les mêmes normes que celles que nous devons observer, nous devons aussi pouvoir évoluer. Il nous faut réorganiser la production, autour de fermes plus compétitives, avec un schéma de méthanisation, par exemple. Une économie circulaire, qui permet une meilleure efficacité tout en réalisant des gains écologiques.

Nous voilà donc face à un paradoxe : pour faire plus d'écologie, il faut une taille critique, autrement dit, de plus grosses fermes... Idem pour les abattoirs. Ils doivent être plus grands pour être plus compétitifs.

Y a-t-il des échanges entre l'Inra et les agriculteurs pour stimuler l'innovation ?

Nous travaillons effectivement avec l'Inra, notamment autour d'Agri Sud-Ouest Innovation, le pôle de compétitivité Midi-Pyrénées et Aquitaine, dont l'objet est d'améliorer l'agrochaîne, autrement dit, la chaîne de valeur entre la fourche et la fourchette. Nous planchons ainsi sur un programme « maïs et eau », qui renvoie au concept d'agriculture de précision. Pour doser l'irrigation et éviter de gaspiller l'eau, nous tentons d'avoir une idée précise de la situation agronomique du terrain. Il ne s'agit pas, sur de telles surfaces, d'un goutte-à-goutte comme cela se fait en Israël, mais notre système est labellisé, et à ce titre, reçoit des subventions européennes et régionales.

Pourquoi l'innovation est-elle également une nécessité dans l'agroalimentaire ?

L'innovation dans l'agroalimentaire est clairement le relais de croissance de demain. Le secteur vins et spiritueux est celui qui exporte le plus avec celui des céréales, mais il fonctionne sur une logique de terroirs et d'AOC. Il s'agit donc, avec le vin en vrac, par exemple, d'adopter une nouvelle démarche marketing, afin de mieux valoriser cette production. Chaque filière doit revoir ses produits pour les adapter aux goûts du pays ciblé. Bordeaux fait déjà du rosé, c'est une belle innovation !

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>>> FOCUS

LES COOPÉRATIVES, UN MODÈLE PERTINENT

À l'heure où une nouvelle économie collaborative émerge, le modèle des coopératives agricoles prend toute sa pertinence. Emblématique de ce mouvement, le groupe InVivo, qui réunit quelque 200 coopératives agricoles françaises, rassemblant plus de 300000 agriculteurs, a fait de l'innovation sa spécialité.

Avec un budget annuel de R&D de 34 M€, le groupe a affiché un CA de plus de 6 Md€ sur l'exercice 2012-2013 (dont 50% à l'international). Au-delà du commerce des grains (premier exportateur de blé français), InVivo produit de la nourriture animale au Mexique, au Brésil, au Vietnam et en Indonésie et exporte le savoir-faire français. Le sien va de l'optimisation des intrants à une meilleure santé animale, en passant par une production céréalière accrue et de qualité.

Dirigé depuis juin 2013 par le corrézien Thierry Blandinières - diplômé de l'ESC Nantes et titulaire d'un Executive MBA d'HEC, il a commencé chez Procter et Gamble -, le groupe mise sur le développement durable, qu'il considère comme un vecteur essentiel de création de valeur pour l'agriculture.