Quand les héritiers de Louis Renault réclament justice

Par latribune.fr  |   |  574  mots
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Les sept petits-enfants de l'industriel accusé de collaboration souhaitent obtenir réparation de la nationalisation-sanction de 1945, l'une des décisions les plus symboliques de l'après-guerre.

Ils sont sept et, ensemble, ils ont déposé lundi dernier une assignation devant le tribunal de Paris destinée à obtenir l'indemnisation du préjudice matériel et moral causé par la nationalisation du groupe automobile dont leur grand-père était propriétaire. C'est Le Monde daté du 13 mai qui a levé le voile sur cet étonnant recours judiciaire des petits-enfants de Louis Renault. "Il s'agit d'un cas unique car c'est la seule nationalisation qui ait été faite sans jugement et sans indemnisation" a expliqué à l'agence Reuters leur avocat, Me Thierry Lévy.

Le précédent recours de la famille en 1959 avait échoué

La démarche des héritiers est rendue possible par le nouveau droit ouvert par l'instauration, en mars 2010, de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui permet de contester devant le juge une disposition législative. "Nous considérons aujourd'hui qu'il y a un moyen d'agir avec la QPC" estime Thierry Lévy, affirmant que la démarche des héritiers est avant tout fondée sur le droit. Les petits-enfants de Louis Renault avaient déjà tenté de faire valoir leurs droits en 1959 mais leur demande avait été rejetée par le Conseil d'Etat, jugeant que l'ordonnance de 1945 avait un statut législatif et qu'elle ne pouvait être remise en cause ni par le juge administratif, ni par le juge judiciaire.

Louis Renault avait été emprisonné à Fresnes au lendemain de la libération de Paris, en septembre 1944, pour collaboration avec l'ennemi. Il est mort en détention sans avoir été jugé. Moins d'un mois plus tard, le projet d'ordonnance portant confiscation et nationalisation des usines Renault était soumis au gouvernement provisoire de la République française. La séance était présidée par le général de Gaulle. L'ordonnance sera prise le 16 janvier 1945. La confiscation ne s'est appliquée qu'aux parts détenues par Louis Renault et les administrateurs, les petits actionnaires étant expropriés, mais indemnisés.

Le cas Renault unique en son genre selon l'avocat de la famille

"Aucune autre entreprise n'a fait l'objet d'un pareil traitement, même parmi celles dont les dirigeants ont été condamnés par la justice pour des faits de collaboration", souligne Thierry Lévy. Des archives montrent que le ministre de la Justice de l'époque avait mis en garde contre les limites du droit de confiscation, argument aujourd'hui repris par les héritiers.

Thierry Lévy considère que l'ordonnance et ses mesures d'exécution constituent une "voie de fait" puisque la confiscation, qui est une sanction pénale, ne pouvait être prononcée qu'après un jugement de condamnation définitif. Elle a, selon lui, porté atteinte à cinq principes constitutionnels.

Cette "irrégularité grossière" par laquelle l'Etat s'est attribué "l'ensemble des droits et des biens ayant un lien avec l'exploitation des usines Renault" ouvre droit à la réparation du préjudice matériel et moral des héritiers, dit-il. Dans son assignation, l'avocat demande la désignation d'un ou de plusieurs experts pour évaluer dans un délai de quatre mois le préjudice matériel et économique des héritiers.

Les petits-enfants du fondateur des usines Renault ont obtenu en 2010 une forme de réhabilitation symbolique de l'industriel devant la cour d'appel de Limoges. Ils ont en effet réussi à faire retirer de l'exposition permanente du Centre de la mémoire d'Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) une photo montrant Louis Renault aux côtés d'Adolf Hitler.