Le plan de Carlos Tavares pour internationaliser PSA

Le PDG du constructeur français entend booster les performances commerciales d'un groupe redevenu très européen à la faveur du rachat d'Opel et de la chute de ses ventes en Chine.
Nabil Bourassi
Carlos Tavares, président du groupe PSA.
Carlos Tavares, président du groupe PSA. (Crédits : Arnd Wiegmann)

Carlos Tavares a-t-il mangé du lion ? Tout en annonçant des résultats 2018 spectaculaires - des ventes historiques, proches des 4 millions de véhicules et un chiffre d'affaires record, en hausse de +19 % après la consolidation des résultats d'Opel - le groupe PSA vient d'annoncer un nouveau chantier extrêmement ambitieux en lançant ses marques Peugeot et Citroën à l'assaut de deux contrées, et pas des moindres, les États-Unis et l'Inde. Ce n'est pas une surprise : le patron de PSA avait ces deux marchés dans le viseur dès l'annonce du plan de croissance « Push to Pass » qui avait succédé en 2016 au plan de redressement « Back to the Race ». Il s'agissait alors d'accélérer le déploiement de PSA hors du Vieux Continent afin de ne pas dépendre du seul marché européen. Pour celui qui a transformé le groupe automobile français, au bord de la faillite en 2013, en une entreprise prospère et dynamique, l'international était un véritable talon d'Achille.

Trois événements ont toutefois gâché une trajectoire qui paraissait pourtant bien engagée avec une part hors Europe qui pesait voilà trois ans, 48 % des ventes du groupe. D'abord la chute spectaculaire des ventes en Chine. Celles-ci sont passées de 650.0000 à 262.000 unités en 2018.  Et rien ne laisse penser que cette hémorragie sera stoppée cette année. À cela, il faut ajouter le retrait d'Iran à la suite de la dénonciation de l'accord sur le nucléaire par l'administration de Donald Trump, soit 300.000 immatriculations en moins par an, voire 400.000 en vitesse de croisière. Enfin, le rachat d'Opel en 2017 a permis de consolider un million de livraisons, une belle opportunité, mais qui ont été, pour l'essentiel, des ventes réalisées en Europe.

Une faiblesse structurelle

Résultat, le centre de gravité de PSA se situe désormais sur le Vieux Continent au point que la part des ventes du groupe hors Europe a été ramenée à... 20 % en 2018 ! Fort heureusement, le marché européen est resté solide, ce qui a permis à PSA d'afficher des résultats financiers étonnamment robustes dans un contexte où le secteur automobile a pourtant enregistré une baisse de ses marges opérationnelles.

Mais l'international reste une faiblesse fondamentale et structurelle pour le groupe. Car en Amérique latine comme en Russie, aucune des marques de PSA ne tient de positions significatives. L'Argentine fait exception. Avec environ 12 % des parts de marché, Peugeot et Citroën y sont bien implantés. Manque de chance, le pays s'est effondré sur le plan économique en 2018 et reste notoirement volatile. En réalité, le problème est encore plus grave car PSA n'est pas seulement trop européen... Il est même trop français ! Les ventes hexagonales de Peugeot, par exemple, représentent près de 27 % de ses ventes totales.

À titre de comparaison, les ventes domestiques de son concurrent Volkswagen représentent à peine 9 % de ses ventes mondiales. Cela se traduit pour Peugeot par un fort déséquilibre de sa présence sur le marché européen où il détient 18 % du marché français, mais seulement 2 % du marché allemand, soit deux fois moins que Renault. Selon certains experts, cette faiblesse structurelle en Allemagne explique en partie le rachat d'Opel en 2017. Pas question de renoncer pour autant, l'a répété Carlos Tavares. L'internationalisation est une priorité que le groupe mettra toutefois en oeuvre dans une nouvelle approche que celle de la course aux volumes.

Objectif : rapprocher ses usines de ses clients

Début 2018, PSA a lancé une offensive en Asean (Asie du Sud-Est), un marché d'environ 700 millions de consommateurs, en passant un accord avec le groupe familial malaisien Naza Automotive Manufacturing. Mais cet accord est dimensionné pour vendre... 50.000 voitures. En Afrique, PSA a multiplié les usines d'assemblage pour rapprocher sa production au maximum de ses clients et éviter les aléas douaniers. En Éthiopie, au Kenya, au Nigeria, en Algérie... À chaque fois, ce sont des micro-sites qui assemblent à peine 1000 voitures par an, sauf en Algérie (75.000). Au Maroc, une usine de fabrication doit prochainement démarrer sa production. Ses volumes - 90 000 unités sont très loin des 400 000 voitures produites à Tanger par Renault. Mais en Asie du Sud-Est comme en Afrique, Carlos Tavares vise 2 millions de voitures produites par an à horizon 2025.

Autrement dit, le dispositif industriel paraît sous-dimensionné. l'ancien directeur général délégué aux opérations de Renault a tiré les leçons de l'échec vertigineux de l'expérience chinoise. Selon lui, déverser des centaines de milliers de voitures sur un marché est aussi ruineux en investissement qu'en positionnement de marque. Il s'agit désormais d'installer progressivement des griffes avec des canaux de distribution solides, plutôt que se retrouver avec des réseaux surdimensionnés, des stocks monstrueux et des voitures bradées, ce qui n'est jamais bon pour la valeur résiduelle. En Chine, Peugeot est en train de fermer la moitié de son réseau après avoir passé près d'un an et demi à écouler ses stocks. « On ne court plus après les volumes », répète à l'envi Carlos Tavares.

Pas question pour autant de différer les implantations. Au contraire. D'ailleurs, s'il y a bien un marché qui se prête excellemment bien à cet exercice, c'est l'Inde. Avec 3 millions d'immatriculations, pour plus d'1 milliard d'habitants, ce pays est un extraordinaire gisement de croissance. « Nous nous attendons à un marché de 6 millions d'unités en 2025 », estime Linda Jackson, la directrice générale de Citroën, qui lancera un premier véhicule dès 2021. Évidemment, ce n'est pas cet horizon qui intéresse Carlos Tavares, mais bien celui où le pays deviendra le deuxième marché du monde.

> Lire aussi : Citroën envisage de produire 60.000 véhicules par an en Inde

Mais la réalité est plus complexe. Le marché indien n'a cessé de faire tourner en bourrique les constructeurs et prévisionnistes du monde entier. Son explosion est annoncée depuis vingt ans, et cela fait vingt ans qu'il fait du surplace. Les Indiens se déplacent majoritairement en deux roues. Et les infrastructures sont encore insuffisantes pour développer un marché automobile à la mesure de sa démographie. En outre, les constructeurs n'ont pas encore réussi à percer le mystère du type de carrosserie qui ferait mouche en Inde. Renault a dû s'y reprendre à plusieurs fois avant d'installer un volume de vente significatif, et cela a pris dix ans. Lancée en 2007, la Logan a été un échec retentissant. Le Duster a retenu la marque au losange en Inde. Mais c'est le Kwid qui lui a permis de percer. Pour mieux apprivoiser le marché, PSA avait signé début 2017, un accord de coentreprise avec le groupe CK Birla. Dans la foulée, il rachète la marque Ambassador... Un vieux label poussiéreux classé haut de gamme qui avait fini par devenir la marque des taxis, avant de mettre la clé sous la porte en 2014.

Le marché américain, un immense challenge

Aux États-Unis, le chantier est d'une tout autre nature. Il s'agit d'un marché mature cette fois, mais conséquent avec 17 millions de voitures, le deuxième marché automobile du monde. C'est Peugeot qui est chargé d'attaquer le marché. Mais pour le coup, il se donne jusqu'en 2025 pour y planter son drapeau. Jean-Philippe Imparato, patron de la marque, a promis de divulguer son plan dans un an.

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Le challenge est immense et il est acquis qu'il faudra passer par des voies moins classiques pour s'installer sur ce marché. « Je n'ai pas besoin d'usines ou de réseaux aux États-Unis, j'ai une gamme de SUV et des centaines d'ingénieurs à Rüsselsheim [le fief d'Opel, ndlr] qui ont travaillé pour General Motors et connaissent bien le marché américain », a répondu Carlos Tavares face à des journalistes sceptiques.

Une stratégie de gamme mondialisée

Enfin, dernier enjeu majeur mais plus discret, l'internationalisation de la marque Opel. Rachetée en août 2017, celle-ci est encore en train d'ingurgiter le traitement de cheval que lui administre Carlos Tavares pour remettre sa structure de coûts aux standards de PSA (l'écart de marge opérationnel est d'environ deux points). Le groupe français veut utiliser cette marque pour aller chercher des consommateurs très sensibles à la réputation de l'allemand. L'ex-filiale de General Motors vient ainsi d'être mandatée pour s'installer en terre russe, pays où les autres marques du groupe sont déjà implantées, mais il est urgent de faire sortir Opel de son pré carré européen.

L'internationalisation du groupe reste donc un impératif absolu et les échecs essuyés jusqu'ici ne freinent pas la volonté de Carlos Tavares. Il juge que le problème chinois reste d'abord un problème opérationnel. « Nous n'avons pas toutes les manettes » a-t-il expliqué en marge du salon de Genève à des journalistes, en faisant référence au fait que les opérations en Chine s'effectuent à travers une joint-venture contrôlée à 50 % par le groupe local Dongfeng (accessoirement son actionnaire à 14 %). La stratégie de gamme mondialisée n'est donc absolument pas remise en cause. Peugeot veut bien allonger l'empattement du 3008 et Citroën équiper son C5 Aircross d'une banquette à l'arrière afin de s'adapter aux goûts locaux, mais les produits restent essentiellement les mêmes quels que soient les continents, à quelques modèles près. Une stratégie radicalement différente de celle mise en oeuvre par Renault.

La marque au losange vend ainsi le Duster de Dacia sous sa propre marque en Amérique latine, ou un Kwid invendable en Europe, ou un SUV coupé en Russie (l'Alaskan). Renault joue tantôt sur des produits d'entrée de gamme, ou davantage premium comme en Chine où il a lancé le Kadjar et le Koleos. Carlos Tavares n'en démord pas : sa stratégie d'internationalisation est bien, à terme, une stratégie de croissance organique et donc de volumes. Mais la stratégie de positionnement de marque est plus importante. Selon lui, c'est elle qui permet d'inscrire une performance commerciale dans la durée, mais également de tirer les finitions et les options vers le haut (et donc également la rentabilité). Avec plus de 9 milliards d'euros de trésorerie et une marge opérationnelle de plus de 7 %, il considère avoir du temps, tout en restant déterminé. « Nous ne nous avouerons jamais vaincus », a-t-il clamé à Genève en parlant du marché chinois.

Une lente érosion des ventes hors d'Europe :

  • 2008 : 30% des ventes de PSA hors d'Europe. Avec la crise des subprimes, le groupe s'effondre en Europe.
  • 2014 : Carlos Tavares, l'ex numéro 2 de Renault, prend la tête de PSA
  • 2016 : 48% des ventes de PSA hors d'Europe. En Chine, le marché bascule vers les constructeurs chinois
  • 2018 : 20% des ventes hors d'Europe. Avec le rachat d'Opel, PSA ajoute un million de ventes européennes dans ses comptes
  • 2021 : Citröen plante son drapeau en Inde. Peugeot prévoit de revenir aux Etats-Unis en 2025

Des ventes en baisse ou trop faibles hors du continent européen

  • Amérique Latine : 175.257 (-15%)
  • Europe : 3.106.160 (+30,6%)
  • Eurasie : 15.288 (+0,5%)
  • Chine : 262.583 (-32,2%)
  • Asie du Sud Est Pacifique : 26.479 (+1,6%).
  • Afrique et Moyen-Orient : 291.998 (-52,8%)
  • Chine : 262.583 (-32,2%)

Nabil Bourassi

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Commentaires 9
à écrit le 21/03/2019 à 15:04
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Il ne reste plus que trois pays européens qui fabriquent des bagnoles, se concentrer d'abord sur ce marché de 500 millions de personnes me semble plus que normal. Cette ruée vers la Chine était stupide, on ne peut pas s'épanouir au sein d'un march...

à écrit le 20/03/2019 à 13:29
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Mr Tavarès réïtère l'opération gagnante de Volkswagen en vendant ses voitures sous les marques relou seat Skoda et et même Audi (auto union) les pires bagnoles jamais inventées, en vendant des Opel (le mauvais élève allemand) qui sont en réalité des...

le 21/03/2019 à 8:32
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2 Opel, 270000 km aucune panne !!!!!!!

à écrit le 20/03/2019 à 10:05
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Tavares a beau être un homme extrêmement brillant et talentueux . Il doit savoir mieux que quiconque que le marché américain est très spéciale. Les japonais et les allemands ont pu s'installer car ils offraient une bonne image aux yeux du public am...

le 20/03/2019 à 11:13
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Je rappelle quand même que les constructeurs allemandes sont des nains à côté des constructeurs japonais au pays de l'oncle Sam. Si les Allemands galèrent pour avoir 8% du marché, je n'ose imaginer l'effort à déployer pour PSA.

le 20/03/2019 à 13:03
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Vous parlez de ces américains qui ont mis une raclée à VAG avec le dieselgate alors que la SEC s' emploie à nouveau en ce moment à revitaliser le groupe ?

le 21/03/2019 à 16:06
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Cher Jason, Les gens de PSA n'ont pas attendu votre brillante intervention pour imaginer qu'il était peut être opportun d'acquérir FCA qui est parfaitement implanté sur le marché américain. L'acquisition de marques bien implantées et d'un gigantesqu...

à écrit le 20/03/2019 à 8:40
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Il ne reste plus que trois pays européens qui fabriquent des bagnoles, se concentrer d'abord sur ce marché de 500 millions de personnes me semble plus que normal. Cette ruée vers la Chine était stupide, on ne peut pas s'épanouir au sein d'un marc...

le 21/03/2019 à 9:57
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@ multipseudos: "La Chine a ouvert son marche, il y a vingt ans alors que le pays n'etait pas encore mature. " A partir du moment où on "ouvre un marché" celui ci peut difficilement être "mature". Vous trollez... -_-

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