L’inquiétant blocage de la mobilité résidentielle

Par Mathias Thepot  |   |  1316  mots
Dans Paris et l'Ile-de-France, la mobilité des ménages est bloquée dans les zones où les prix de l’immobilier sont les plus élevés.
Le #ForumSmartCity, organisé par La Tribune le 20 novembre prochain, est l'occasion de revenir sur les problématiques et les perspectives de la ville de demain. Au cœur de la ville intelligente, le logement des habitants. La mobilité résidentielle est un facteur indispensable pour son dynamisme économique et social. Problème en Île-de-France : cette mobilité des ménages est bloquée dans les zones où les prix de l’immobilier sont les plus élevés. Explications.

La mobilité résidentielle dans les métropoles est un sujet peu abordé mais extrêmement préoccupant pour les ménages français. Beaucoup considèrent en effet l'accession à une habitation plus spacieuse et confortable comme un aboutissement. Dans les zones où les prix de l'immobilier sont très élevés, le rêve des Français s'envole face au coût prohibitif des logements, amplifiant le malaise vis-à-vis de l'immobilier résidentiel.

« Ne pouvant intégrer un parc social trop étroit, ni accéder à une propriété trop coûteuse, une partie importante de la population se retrouve "piégée" dans des logements qui ne correspondent pas toujours à leurs attentes, et dont les loyers augmentent trop vite », constate une étude du Crédoc sur « les difficultés de logement des classes moyennes et les besoins de mobilité résidentielle ».

Ce constat est particulièrement marqué dans l'agglomération parisienne, où l'écart de coût entre le parc privé et le parc social est tel que les habitations à loyer modéré endossent le rôle de « refuges » financiers alors qu'elles devraient être une étape dans le parcours résidentiel des ménages. À Paris, le marché du logement social a d'ailleurs atteint un tel état de blocage que le délai d'attente moyen pour obtenir un logement social est de... 7 ans ! Il faut dire que l'offre locative entre 12 et 20 euros du mètre carré est quasi inexistante dans la capitale, et l'accession à la propriété impossible pour l'immense majorité des ménages : le primo-­accédant moyen à Paris est un couple de 40 ans environ qui gagne 8.000 euros par mois. Même au niveau de l'agglomération, une grande part de la population ne peut que difficilement accéder à la propriété et vit dans un parc locatif privé au coût très élevé. Ceux qui ont subi des hausses de loyers plus importantes que leurs revenus ont vu leur niveau 
de vie se dégrader.

De nouveaux besoins de logements

Ainsi, les freins à la mobilité résidentielle portent-ils un préjudice capital à la société française. Cet immobilisme entraîne une réduction de l'offre disponible de logements anciens qui n'est pas compensée par un marché du neuf, à l'arrêt. Malheureusement, en parallèle, le nombre de ménages à loger progresse et la structure des besoins en logements se modifie du fait de l'augmentation des divorces, des séparations, des périodes plus importantes de célibat, ou du vieillissement de la population. De même, l'évolution de la structure de l'emploi, depuis une vingtaine d'années, est à l'origine de nouveaux besoins : la précarité qui s'accroît et la crise économique et financière de 2008-2009, qui a détruit des milliers d'emplois, ont mécaniquement induit une nouvelle mobilité résidentielle, vécue comme régressive. Clairement, « nous ne sommes plus dans la configuration des trente glorieuses où l'on démarrait sa vie dans un studio locatif pour finir dans une grande maison », explique l'urbaniste Jean-Claude Driant.

Les blocages dans le parcours résidentiel des ménages sont aussi préjudiciables d'un point de vue économique. C'est ici la dégradation du lien entre emplois et logements qui est en cause. Une autre enquête Crédoc réalisée pour le Medef en 2012 expliquait que les problèmes de logement des salariés affectent 40 % des grandes entreprises. En plus de compliquer le recrutement, les difficultés des salariés à se loger près de leur travail à cause des prix exorbitants des logements les poussent à s'éloigner, nuisent à leur productivité, dégradent le climat social dans l'entreprise et compliquent les négociations salariales, indique l'étude du Crédoc.

En effet, dans la réalité, « on peut être conduit à ne pas accepter une offre d'emploi à tel ou tel endroit à cause du coût du logement trop élevé », explique Jean-Claude Driant.

Par exemple, certains établissements de Santé situées en première couronne de Paris éprouvent les pires difficultés à attirer du personnel hospitalier - dont les salaires sont souvent bas et les amplitudes horaires au travail élevées - du fait du niveau des loyers d'habitations trop importants à proximité des hôpitaux.

Direction la province

La perte d'attractivité pourrait à l'avenir être un vrai sujet d'inquiétude pour l'agglomération parisienne qui perd davantage de ménages qu'elle n'en accueille, principalement du fait du prix élevé du logement. Même les cadres ont tendance à quitter Paris. En fait, « les seuls flux migratoires positifs en Île-de-France concernent la tranche d'âge des 18-25 ans, attirés par les nombreux centres universitaires de la région et les perspectives d'emploi », indique le Crédoc. Pour séduire davantage, les communes de l'agglomération parisienne devront s'attaquer à « la diversification des "solutions-­logements" », explique Claire Julliard, responsable de la chaire Ville et Immobilier à l'université Paris-Dauphine.

« Elle permettrait aux ménages d'emprunter d'autres canaux de mobilité résidentielle. Elle permettrait aussi d'amortir les chocs qui marquent les parcours. Bref, pour répondre à la demande de logement, il s'agit de concevoir l'offre comme un système à l'échelle de l'ensemble du territoire d'usage des ménages. »

À plus petite échelle, c'est ce que dit avoir réalisé Gérard Collomb, président du Grand Lyon :

« Nous avons essayé de développer toutes les gammes de produits, c'est-à‑dire à la fois du locatif social, très social, intermédiaire, de l'acces­sion sociale à la propriété et de l'accession libre. Ici, on s'aperçoit que contrairement à ce qu'il peut se passer en Île-de-France, toutes ces gammes de logement sont présentes », se réjouit-il.

« Tous les niveaux de loyers sont proposés. Et concernant l'accession à la propriété, on peut trouver à Lyon des logements aux prix de 2 700 euros le mètre carré (ce qui, comparé à l'agglomération parisienne est remarquable) jusqu'à 5 500 euros, voire 6 000 euros du mètre carré pour des biens extraordinaires », ajoute-t-il.

Dissocier le foncier du bâti

Les élus franciliens tentent, de leur côté, d'innover pour proposer, comme à Lyon, toutes les gammes de logements à leurs administrés. La plus grande difficulté pour eux : résoudre l'équation économique quasi insoluble de la production de logements à prix abordables dans l'agglomération parisienne. Certains maires à Saint-Ouen ou à Nanterre ont, pour ce faire, passé des pactes avec les promoteurs immobiliers. Ils supposent que les collectivités vendent leurs terrains aux promoteurs à des prix réduits sous condition que les logements construits soient commercialisés ou loués à des prix abordables pour les habitants. En bons termes avec les professionnels de l'immobilier, la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, compte également développer ce type de dispositif. Des mécanismes dissociant le foncier du bâti sont également à l'étude dans la capitale et dans plusieurs communes aux alentours.

« Ce concept reste très intéressant et permet de faire baisser les prix pour l'acquéreur du logement », explique Ian Brossat, adjoint au maire de Paris en charge du logement.

En parallèle, « des communes de l'agglomération parisienne remettent aussi au goût du jour le PSLA [prêt social ­location-accession] », détaille Jean-Claude Driant. Un mécanisme oublié qui permet à des ménages sans apport personnel d'acquérir le logement qu'ils louent.

Enfin, au niveau national, un vaste plan de construction de logements intermédiaires a été annoncé par le président de la République pour fluidifier le parcours résidentiel des ménages. Pour l'instant, seule la filiale de la Caisse des dépôts, la SNI, a lancé par le biais d'un plan nommé « Argos » une collecte auprès d'investisseurs institutionnels pour construire 10.000 logements à loyers intermédiaires, et dont une part significative devrait se faire dans l'agglomération parisienne. Le Grand Paris permettra-t-il de reconquérir cette mobilité ou sera-t-il un facteur aggravant de tension ? 

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